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Ambassadeur Hippolyte Ouédraogo, ancien collaborateur de Thomas Sankara : « Sa grande naïveté et sa foi en l’amitié et à la parole donnée ont été fatales à Thomas Sankara »

Publié le dimanche 15 octobre 2017 à 01h40min

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Ambassadeur Hippolyte Ouédraogo, ancien collaborateur de Thomas Sankara : « Sa grande naïveté et sa foi en l’amitié et à la parole donnée ont été fatales à Thomas Sankara »

En matière d’informations sur la révolution burkinabè et de son leader charismatique Thomas Sankara, Hippolyte Ouédraogo est incontestablement une mine d’or inexploitée que nous venons de découvrir. Pour le devoir de mémoire, l’Histoire et la postérité, cet autre travailleur de la présidence du Faso sous la révolution nous feuillette à travers cette interview les pages de son expérience professionnelle et relationnelle avec celui qui a été assassiné le 15 octobre 1987, il y a 30 ans.

Lefaso.net : Pourriez-vous vous présentez à nos lecteurs ?

Hippolyte Ouédraogo : Je me nomme Hippolyte Ouédraogo, je suis né le 13 août 1950 à Imasgo, province du Boulkiemdé. Je suis administrateur civil de formation, j’ai occupé les fonctions de sous-préfet à Po en 1977, de secrétaire général et de haut-commissaire de provinces. J’ai été conseiller municipal, député, ministre délégué à l’Enseignement technique et professionnel et enfin ambassadeur à Dakar de 2008 à 2013, je suis présentement à la retraite.

Vous avez fait partie des collaborateurs de Thomas Sankara ; quelles ont été précisément vos fonctions ?

J’ai travaillé à la présidence du Faso au département des affaires politiques et diplomatiques, précisément en tant que chef de division des affaires politiques.

Comment l’avez-vous connu et combien de temps avez-vous travaillé avec lui ?

J’ai connu le Capitaine Thomas Sankara à Po. En arrivant comme sous-préfet en 1977, je l’ai trouvé dans cette ville en tant que Commandant du Centre National d’Entrainement Commandos (CNEC). Nous avons travaillé ensemble, lui en tant que militaire et moi comme administrateur. Nous avons entretenu de bonnes relations de collaboration et le respect que nous nous vouions mutuellement s’est transformé en relations amicales. Bien que n’étant plus ensemble à Po par le jeu des mutations, nous avons continué à entretenir ces relations.

A l’avènement de la Révolution d’août 1983, j’ai été nommé haut-commissaire de provinces et par la suite appelé à la présidence du Faso au département affaires politiques sous la direction de Fidèle Kientéga qui a été chef de département de mi-1985 au 15 octobre 1987.

Quels souvenirs gardez-vous de l’homme ?

Le président Thomas Sankara a été incontestablement un patriote de premier ordre, un homme d’une grande culture intellectuelle, charismatique et intègre, les gens de son espèce se compte du bout des doigts. Il avait un franc-parler qui dérangeait et une longue avance sur sa génération.

A Po, il partageait le même repas (garba) avec ses soldats, le soir il jouait à la guitare au milieu de ses éléments. Il aimait la discipline et l’ordre et ne tolérait pas les mauvais comportements des soldats à l’encontre des populations locales qu’il protégeait.

Quelle appréciation faites-vous de la classe politique révolutionnaire ?

Il faut tirer son chapeau à la classe politique du temps de la révolution qui a posé beaucoup d’actes et qui a positivement transformé la vie de la nation et attiré beaucoup d’admiration à l’étranger, ce qui a beaucoup contribué au rayonnement extérieur du Burkina Faso. Malheureusement cette classe était composite et traversée par plusieurs courants idéologiques antagoniques. Aujourd’hui, je ne saurais m’aventurer dans l’appréciation de cette classe politique, je laisse le soin à ses animateurs d’en parler.

Comment avez-vous vécu la tragédie du 15 octobre 1987 ?

Qui dit tragédie parle d’évènement douloureux et ce n’est pas de gaieté de cœur que je dois me replonger dans cette nuit de tristes souvenirs.
Cependant, parlant des évènements du 15 octobre, je m’en souviens comme si c’était hier, ce jour-là, le président Thomas Sankara a travaillé toute la matinée au palais. C’est vers 15h30 qu’il est arrivé à la présidence et une demi-heure à peine après, il s’engouffrait dans son véhicule pour le conseil de l’Entente. C’est le bruit des portières des véhicules qui me l’on fait savoir. A peine arrivé au Conseil, notre attention a été attirée par les crépitements des fusils.

Nous qui étions à la présidence, nous nous demandions ce qui s’y passait. Mais personne n’avait la réponse en ce moment. C’est alors que j’ai pu joindre le Commandant Yé Bongnessan Arsène pour en savoir davantage. Malheureusement, il n’était pas plus informé que moi. Une deuxième tentative a donné les mêmes résultats infructueux.

C’est alors que j’ai songé à rentrer en contact avec Ernest Nongma Ouédraogo, ministre de l’Intérieur d’alors, mais impossible car son téléphone était constamment occupé. Le crépitement des armes se poursuivant au conseil de l’Entente, ordre nous a été donné par le chef du bureau militaire de la présidence d’évacuer les lieux et de rentrer à la maison.

C’est ainsi que dans la panique générale, j’ai quitté les lieux en compagnie de mon collègue, le regretté Abdoul Karim Salambéré. Nous avons pris le chemin de la maison en passant par la route de l’hôtel Indépendance et c’est au niveau des feux tricolores appelés aujourd’hui « feux Oumarou Clément Ouédraogo » que nous avons croisé un véhicule berline de couleur blanche (je ne me rappelle pas de la marque) escorté par plusieurs militaires harnachés qui se rendaient à toute allure au conseil de l’Entente. Sur le champ, nous avons cru voir le capitaine Blaise Compaoré à bord. Mais là, je ne suis pas affirmatif car dans cette panique généralisée, chacun allait dans tous les sens, c’était difficile d’identifier les occupants d’un cortège qui allait à vive allure.

Ce qui est certain, quelques vingt minutes plus tard, nous nous sommes arrêtés à Koulouba dans un magasin pour attendre de voir ce qui allait se passer. Plusieurs personnes nous y ont rejoints autour du poste radio qui s’y trouvait. Ayant pris notre mal en patience, le visage interrogatoire et la gorge serrée, la musique militaire de la Radio Nationale en pareille circonstance est venue confirmer nos inquiétudes : c’était bel et bien un coup d’Etat et la déclaration qui s’ensuivit a fini par nous convaincre que Thomas Sankara a été tué avec ses compagnons au conseil de l’Entente par les hommes de x.... C’était la consternation totale, la suite tout le monde le sait.
Je voudrais profiter de cette occasion pour remercier trente ans après tous ceux qui m’ont appelé ou qui se sont déplacés le 15 et le 16 octobre à mon domicile pour savoir si je ne faisais pas partie des camarades qui ont été abattus au conseil de l’Entente lors de l’attaque car j’étais du groupe de travail qui s’y trouvait. Mais à la dernière minute, une mission à moi confiée m’avait permis d’éviter le sort de mes camarades. C’est mon destin, je n’ai pas d’autres explications.

Etiez-vous au courant de la crise au sein du CNR ? A quoi était-elle due à votre avis ?

Assurément, ce n’était un secret pour personne, tout le monde savait que le CNR traversait une crise profonde et que du jour au lendemain quelque chose pouvait se passer au sommet de l’Etat. Les tendances se définissaient au jour le jour et les contradictions idéologiques s’exacerbaient au fur et à mesure.
C’est ainsi que les tracts inondaient les rues et se distribuaient le matin comme des petits pains. Les deux camps s’observaient en chiens de faïence et il n’était pas rare de voir des personnes de nos relations nous interpeller sur la gravité de la situation, en nous demandant de dire au président de faire beaucoup attention car la situation politique se dégradait.

Certaines chancelleries au temps fort de la crise sollicitaient des audiences pour dire au président de cesser d’être naïf car l’heure était grave. Mais lui avait l’air de minimiser toutes les alertes et quand les journalistes l’interrogeaient sur les possibles contradictions entre lui et son ami Blaise, il tentait chaque fois d’évacuer la question. Il disait que si un jour son ami voulait porter atteinte à sa vie, la situation serait imparable.

Ainsi que je le disais, le CNR était traversé à un moment donné par des courants idéologiques contradictoires et antagoniques de telle sorte que l’exacerbation de ces antagonismes polarisés sur les deux principaux leaders de la révolution ne pouvait qu’entraîner un crash.
Les étapes du crash sont les suivantes :
 Le 4 août 1987 à Bobo, à l’occasion de la célébration du quatrième anniversaire de la révolution, lorsque le président Thomas Sankara a osé dire qu’il préférait un pas avec le peuple que dix pas sans le peuple, l’autre camp a crié au scandale et à la dérive droitière.
 A Tenkodogo, la célébration du 4e anniversaire du Discours d’orientation politique (DOP) s’est terminée en queue de poisson et chaque camp a rejoint Ouagadougou en ordre dispersé en empruntant des chemins divers. Ainsi, les analystes politiques avaient compris que la situation était à son comble.
 Il y a lieu de ne pas oublier les « universités d’été » tenues à Po en vue d’harmoniser les divergences idéologiques des différents groupes révolutionnaires. Malheureusement cette rencontre s’est soldée par un échec.

Est-ce que vous vous attendiez à ce dénouement tragique ? Qu’en pensez-vous ?

Dénouement oui, mais tragique non, car entre deux amis et deux frères c’était la chose la moins attendue. Le scénario prévisible était que le camp triomphant sur l’autre procède à l’arrestation et à la mise en prison des vaincus et pourquoi pas une réconciliation arbitrée par des leaders internationaux. Mais entre frères d’armes, tout se termine souvent par des passes d’armes ; c’est ça la différence entre les civils et les militaires, les régimes démocratiques et ceux d’exception.

Quelles sont les différentes responsabilités que vous pourriez établir dans l’avènement de cette tragédie ?

Les véritables responsables de cette tragédie à mon sens sont d’abord endogènes, portés par certains groupes et groupuscules idéologiques au sein du CNR et de l’appareil d’Etat. La soif du pouvoir, les règlements de comptes qui s’apparentaient à une lutte de places qui ne disait pas son nom ont poussé le bouchon à l’éclatement. L’opposition nationale profitant de cette faille a certainement eu un rôle timide dans cette tragédie, car certaines mesures prises par la révolution de Thomas Sankara ne plaisaient pas à tout le monde, par exemple la mesure sur la gratuité des logements…

Puis il y a les responsabilités exogènes portée par tous ceux qui de l’extérieur ne voyaient pas d’un bon œil le succès social et moralisateur de la révolution burkinabè. Craignant l’externalisation de la révolution et son appropriation par la jeunesse africaine, des lobbys politiques et financiers se sont mutualisés pour lui barrer la route en cherchant coûte que coûte à porter atteinte à l’intégrité physique du président Thomas Sankara. Les mots d’ordre comme produisons et consommons burkinabè, la mesure portant suspension des fruits provenant des pays voisins alimentaient cette hantise.

Je ne voudrais pas alimenter la thèse de ceux qui prétendent que le régime socialiste français du temps du Président François Mitterrand aurait joué un rôle dans cette situation. En tout état de cause, les choses vont se clarifier lorsque la France va accepter de déclassifier le dossier confidentiel sur cette affaire comme le demandent la famille du défunt et ses avocats.

Quelle appréciation faites-vous de l’après-15 octobre 1987 ? Comment l’avez-vous vécu personnellement ?

J’ai vécu l’après 15 octobre au plan émotionnel. J’ai été beaucoup meurtri par les différentes insultes proférées dans les médias sur la personne du Président Thomas Sankara et de la campagne orchestrée par ses anciens camarades pour salir son nom et anéantir sa renommée comme si le fait de l’avoir tué ne suffisait pas. Il a été traité de phallocrate et d’apatride.
Pour qui connait Thomas Sankara, ces qualificatifs étaient infâmes et inacceptables. Certains anciens membres de son gouvernement et d’autres personnes qui arpentaient les couloirs de la présidence se sont associés par opportunisme pour l’insulter et le vilipender. Quel dommage ! Pour anéantir l’intégrité légendaire qu’on lui reconnaissait, ils ont soulevé le problème de la valise d’argent prétendu trouvée au palais qu’ils ont brandi comme un trophée de guerre.

Au plan professionnel, quelques trois semaines après le 15 octobre, si j’ai bonne mémoire, nous qui travaillions à la présidence, nous avons été invités à récupérer nos effets personnels après que nos tiroirs et documents aient été passés au peigne fin, question de vérifier que nous n’avions pas des documents compromettants. Il y a lieu d’ajouter que pendant un certain temps, nous avons beaucoup rasé les murs et résisté à la fronde des triomphalistes qui nous montraient du doigt comme les mauvais conseillers de Thomas Sankara. Mais ils ignoraient combien nous avons été fiers de servir la révolution.

Après avoir été remis à la disposition de nos ministères d’origine, j’ai été affecté comme préfet-maire à Ouahigouya où j’ai continué de servir mon pays avec enthousiasme et abnégation. Nous étions alors sous le régime du Front Populaire.

Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara a été accusé de tous les torts. Ces reproches étaient-ils pertinents ?

Les absents ont toujours tort et les morts davantage. Par ailleurs, il est dit que la défaite est orpheline et la victoire a plusieurs pères. Dans des situations pareilles, pertinentes ou pas, en tant que premier responsable, tu es obligé de porter le chapeau et d’assumer même (ad posthum) en tant que père de la révolution.
Thomas Sankara était le principal inspirateur de la vision du mouvement populaire. A ce titre, il était normal pour ces détracteurs de lui faire porter le chapeau, la responsabilité collective étant la chose la moins partagée dans le cas d’espèce. Certains reproches peuvent être considérés comme pertinents. Par contre, d’autres sont des reproches à charge.

En tout état de cause, il faut reconnaitre que les idées de Thomas Sankara étaient en avance sur les gens de son époque. Son patriotisme à toute épreuve l’a souvent poussé à des extrêmes soutenus du bout des lèvres par certains de ses proches compagnons. Les mesures comme le mot d’ordre « produisons et consommons burkinabè », la gratuité du logement, l’interdiction d’avoir plus d’une parcelle, l’interdiction d’importer les fruits à partir de la Cote d’Ivoire, le problème du paiement de la dette, les attaques répétées contre l’impérialisme et son modèle d’exploitation sont autant de choses qui n’ont pas toujours été appréciées ni des dirigeants de l’intérieur ni des puissances d’argent de l’extérieur. Au demeurant, sa grande naïveté et sa foi en l’amitié et à la parole donnée, lui auraient été fatales.

Le 4 août 1987, à la commémoration du 4e anniversaire de la RDP, Thomas Sankara avait dit dans son discours qu’un pas avec le peuple vaut mieux que dix pas sans le peuple. Quelle appréhension faites-vous de cette déclaration ?

En effet, cette déclaration a constitué une des gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase, car ces détracteurs s’en sont servis comme un trophée de guerre en criant à la déviation droitière. Pour eux, Thomas Sankara dévoyait les principes sacrés de la révolution et serait en train de faire marche arrière pour épouser la thèse des ennemis de la révolution qui prétendaient qu’il allait trop vite en avant en renversant tout avec son rouleau compresseur.
C’est comme si dans toute action, on ne doit pas s’accorder une période de pause pour faire le bilan de son action, relever les insuffisances et les lacunes avant de poursuivre sa trajectoire. Car aller sans son peuple, c’est aller droit au mur et c’est ce que Thomas Sankara voulait éviter.

L’une des raisons que le Front Populaire a avancées pour la prise du pouvoir a été justement la dérive droitière du président CNR. Le Front Populaire a pris le pouvoir sous prétexte qu’il voulait approfondir la révolution. Mais il a fait tout le contraire. Finalement il a fait ce qu’il reprochait à Thomas Sankara ? Quelle analyse faites-vous de ce retournement ?

Pour ma part, ce fut un prétexte ridicule car le Front Populaire, au lieu d’approfondir la révolution, la dévoyée et même liquidée par la suite. Je dis cela car toutes les grandes décisions significatives qui donnaient le contenu à la révolution en tant que changement fondamental de la société ont été abandonnées. C’est ainsi que le faso dan fani et le développement de la cotonnade ont été abandonnés.

Les vieilles habitudes négatives en matière de gouvernance combattues par la révolution sont redevenues des pratiques courantes : les trois luttes ; la lutte contre l’accaparement des parcelles, la corruption et le clientélisme etc. ont été abandonnés. Tous ceux qui ont vécu cette époque pourront compléter la liste. De ce point de vue, on peut se demander alors qui de Sankara ou de son remplaçant est porteur de la dérive droitière ?

Selon certaines sources, Thomas Sankara aurait pensé entre temps à une Constitution. Qu’en savez-vous, vous qui avez été son proche collaborateur ?

Ce dont je me souviens, certains débats menés au conseil de l’Entente par les membres du CNR visaient à la création d’un parti qui allait formaliser l’existence du CNR à l’instar des autres partis issus des mouvements révolutionnaires en Afrique comme ailleurs : le FRELIMO au Mozambique, le MPLA en Angola, pour ne citer que ces deux exemples. Cette tendance au sein du CNR était devenue dominante. Pour ce qui concerne l’idée de Constitution, je ne la rejette pas, mais je ne saurais en parler. Certainement que d’autres voix plus avisées que la mienne pourraient davantage nous en éclairer.

Quel bilan faites-vous des programmes populaires de développement initiés par le CNR ?

Avec le recul, il convient de dire que le Programme populaire de développement (PPD) du CNR a constitué un levain qui a permis la mobilisation populaire autour des grands chantiers nationaux et qui a donné consistance et contenu matériel à la vision révolutionnaire car au-delà des mots et des discours, il fallait les actions.

C’est ainsi que la construction des cités du 4 aout a été conçue comme une réponse à la problématique du logement. Les salles de cinéma qui ont peu survécu à la révolution étaient une réponse à la fuite des jeunes vers les centres urbains car il fallait stabiliser la jeunesse rurale pour lui permettre d’être les leviers du développement local. Le mot d’ordre « une commune, un CEG, un village une école » était à la base de l’essor et du relèvement du taux de scolarisation etc.

Si l’utilité de ces programmes est indiscutable, son mode de conduite a causé problème et occasionné des résistances car certains cadres de haut niveau arrachés à la capitale et à leur famille ont été envoyés en province pour gérer ces projets. L’application du slogan, « rapprocher l’administration de l’administré » a entrainé l’affectation d’agents dans des localités situées loin des villes pour occuper des postes auxquels ils n’étaient pas préparés. Ainsi, un bilan objectif des programmes PPD, même s’il est positif a comporté les lacunes que je viens d’évoquer.

Quelles sont les personnalités politiques de la RDP que vous avez connues et fréquentées en son temps ?

Il serait fastidieux ici de vouloir citer les personnalités politiques de la Révolution démocratique et populaire(RDP) que j’ai connues, car du fait de ma position à la présidence, j’ai vu passer presque la totalité des ministres du CNR, des membres du CNR eux-mêmes et tant d’autres personnalités.

Quel souvenir gardez-vous de feu Valère Dieudonné Somé ? Serait-il vraiment l’auteur exclusif du Discours d’Orientation politique(DOP) ou a-t-il été un contributeur ?

Je garde un bon souvenir de feu Valère Dieudonné Somé comme tant d’autres personnes en témoigne la qualité et l’importance des personnes et personnalités qui ont pris part aux cérémonies organisées à l’occasion de ses obsèques. Ce fut un intellectuel de haut niveau qui a beaucoup contribué au développement de son pays en tant que professeur d’université, chercheur, membre du gouvernement et membre du CNR.

J’ai eu beaucoup d’admiration pour cet intellectuel écrivain et politicien caractérisé par son calme, son inspiration positive et sa hauteur de vue. Aurait-il été auteur exclusif du DOP ? Je ne saurais le dire, car je ne veux pas trahir la pensée des défunts. Ce qui est sûr s’il n’est pas l’instigateur principal, il a été un des acteurs éminents et il faut le lui reconnaitre et lui tirer son chapeau.

Il y a également une confusion concernant l’auteur de l’hymne nationale, le Ditanyè. Qui de Thomas Sankara et de Patrick G. Ilboudo l’a-t-il écrite ?

Quant à l’identité réelle de l’auteur de l’hymne nationale, ce qu’il faut savoir, c’est qu’elle provient d’un cerveau supérieur plein d’inspiration. Si les deux cerveaux dont il est question combinés ont secrété ce chef-d’œuvre que nous avons chanté en cœur avec fierté sous la révolution et qu’ont repris nos enfants avec gaieté et que nos petits enfants vont laisser à la postérité, force est de reconnaitre que ces deux cerveaux méritent respect et devraient reposer au panthéon des hommes illustres du Burkina Faso.

Quel souvenir gardez-vous de feu Salifou Diallo ? S’était-il rapproché de Thomas Sankara avant le 15 octobre 1987 ?

Comme tout le monde l’a reconnu, Salifou Diallo a été une bête politique qui a marqué l’histoire du Burkina Faso. A ce titre, personne ne peut le remplacer. Il faut faire autrement. J’ai connu Salifou Diallo dans les années 1986 ; j’étais à la présidence et lui au cabinet du ministre d’Etat à la Justice du côté du secrétariat général du gouvernement. De ce fait, nous relevions tous de la même entité départementale. Nous nous retrouvions souvent pour la montée ou la descente des couleurs, nous allions ensemble à moto chacun à certaines réunions et il lui arrivait de passer me voir dans mon bureau à la présidence.

Quant à la question de savoir s’il s’était rapproché de Thomas Sankara avant le 15 octobre 1987, ce dont je me souviens, c’est qu’au temps fort de la crise, entre les deux amis, il est venu à mon bureau parce qu’il voulait une audience avec le président Thomas Sankara, ce que j’ai pu lui obtenir. A l’issue de l’audience qui lui a été accordée, il est repassé à mon bureau, il m’a dit que le président Thomas Sankara était un véritable visionnaire et que si beaucoup de gens pouvaient s’entretenir avec lui comme lui il l’avait fait, on sortirait rapidement de cette crise et que le pays pourrait mieux aller de l’avant. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Il m’a toujours épaté de par son intelligence, sa vision et la facilité de sa plume. Formé à l’école de l’idéologie politique, il avait la conviction de ce qu’il faisait.

Je l’ai retrouvé plus tard en 2006 au gouvernement. C’est quelqu’un qui, malgré ses activités politiques transversales, maitrisait ses dossiers et même ceux des autres départements en conseil des ministres. En plus, il était un des rares ministres à pouvoir aller à l’encontre de certaines idées du Premier Ministre et même celles du Président du Conseil. Seulement, il n’hésitait pas à rebondir chaque fois qu’un autre ministre des composantes minoritaires avançait un point de vue contraire à celui de la majorité gouvernementale. Son leadership était tel que ce sont les autres ministres qui se relayaient pour le saluer quand bien même il arrivait en retard et c’est ça qui me plaisait en lui.

Etes-vous d’accord avec ceux qui affirment que la révolution sankariste portait les germes authentiques d’un développement endogène pour son pays le Burkina Faso ?

Ma réponse ici est affirmative, car l’histoire a démontré qu’aucun peuple ne peut se développer sans d’abord compter sur ses propres forces et sans s’adosser sur les fondements culturels sociologiques et religieux de la nation. La vision de la révolution était caractérisée par un certain nombre de concepts et de stratégies qui, expérimentés et pratiqués, ne pouvaient que conduire à un développement économique et social véritable.

Je me réjouis aujourd’hui de constater le retour du port du faso dan fani au plus haut niveau de l’Etat, ce qui est une volonté politique affichée par l’exemple. La décision du port systématique du faso dan fani le 8 mars, Journée Mondiale de la Femme, va relancer la valorisation de la cotonnade, apporter une plus-value monétaire dans les ménages comme c’était le cas sous la révolution.

L’intensification des infrastructures socio-éducatives et sanitaires est un prolongement des jalons posés par la révolution à travers le PPD. L’amélioration de la gouvernance comme postulat a été un des fondements de la RDP. En clair, la révolution sankariste, si elle avait vécu plus longtemps, elle aurait imprimé au pays des belles lettres de noblesse surtout qu’elle aurait fait mille pas avec le peuple.

In fine en quoi résumez-vous l’héritage Thomas Sankara pour la génération actuelle et la postérité ?

Pour terminer, disons que la révolution burkinabè qui a incontestablement marqué l’histoire de notre pays aurait été un passage obligé pour l’éveil des consciences malgré les écueils que sa courte durée n’a pas permis de corriger à cause de la dérive droitière que lui ont infligée certains de ses fils. Aujourd’hui, des révolutionnaires sankaristes sont au pouvoir et animent la vie politique au haut niveau de l’Etat. Il leur appartient en lien avec les autres formations qui se réclament de la révolution de faire en sorte que l’héritage de Thomas Sankara qu’on ne saurait étouffer ou assassiner à nouveau serve à la génération actuelle et à la postérité. C’est un grand enjeu et le peuple les observe.

Votre mot de fin ?

Les faits sont têtus ! Et chasser le naturel, il revient aux galops. Thomas Sankara et ses idées ne mourront jamais. La preuve, c’est que trente ans après, et grâce à l’insurrection populaire, il faut avoir le courage de le reconnaitre, des cérémonies de souvenirs sont organisées publiquement à son hommage, chose inespérée il y a cinq ans. Puisse le sang versé des valeureux Burkinabè féconder le Faso et amener tous les fils et filles de ce pays au pardon, à la réconciliation, à la paix sociale et à l’unité pour que nos martyrs reposent en paix.

Interview réalisée par Cyriaque PARE et Kakiswendépoulmdé Marcel Marie Anselme LALSAGA

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