La démocratie à l’épreuve du feu ou la liberté sans limite
Dans notre dernière publication intitulée « Les racines de l’indisciplines sont à rechercher dans la classe politique décrédibilisée », nous avons annoncé que si nous comprenons la réaction violente du peuple, nous ne lui trouvons cependant pas d’excuse. Dans les lignes qui vont suivre, nous allons analyser les manifestations des actes d’indiscipline du peuple et ses implications sociopolitiques pour notre Etat-nation en construction.
En rupture avec les habitudes que d’aucuns ont trouvé trop académiques, nous allons tenter une nouvelle approche en introduisant par un conte, comme le savaient faire nos parents pour éduquer les auditeurs.
Il était une fois dans un village paisible de notre savane africaine où la population vivait paisiblement. Un jour, tous les actifs du village devaient se rendre dans le plus grand marché de la zone et il ne devait y rester que les enfants et les vielles personnes malades. Quelqu’un dit au chef de village « Si nous ne ligotons pas le fou, il risque de mettre le feu au village en notre absence et tout le village sera nettoyé » (dans le sens de fini, terminé). Le fou fut alors ligoté et on alla au marché. Entre temps, ce dernier réussit à défaire ses liens et retrouva sa liberté. « Haha, dit-il, il parait que si je suis libre, je vais mettre le feu au village ». Toutes les personnes qui, par maladie ou vieillesse, « ne servaient à rien » furent jetées dans les puits et ravins du village. Les cases furent incendiées et à la fin, se dit-il « qu’est-ce que j’ai bien travaillé. Le village est bien propre maintenant ». (traduction libre).
La leçon principale de ce conte est la suivante : Il faut éviter de communiquer sa mauvaise pensée aux autres au risque de les voir vouloir la réaliser par ce qu’on appelle en psychologie l’effet pygmalion. Ainsi, aux images violentes des marcheurs des premières heures des contestations contre le régime Blaise Compaoré vont suivre la réaction terrible et répressive des forces de l’ordre jetant le pays dans une mare de sang avec les victimes qui seront, par la suite spoliées, par les mêmes politiques.
Les réactions sociopolitiques consécutives aux actes de violences sont les mêmes comme si quelqu’un avait écrit un manuel de procédure. Ainsi, aussi bien après les mutineries de 2011, les 30 et 31 octobre 2014, la attentive de coup d’Etat de 2015 ainsi que l’attaque djihadiste du 15 janvier 2016… on nous a toujours joué la même musique : Ainsi, au moment où le Président du Faso « exprime sa compassion pour les blessés et ses condoléances pour les morts », les réseaux sociaux mettent RIP sous votre photo… la routine quoi. Quant aux rescapés, nombreux sont ceux qui regrettent d’avoir survécu tant leur quotidien déjà difficile devient pénible, voire catastrophique. Après les batailles des vautours sur « Les morts sont les militants de tel parti politique », on se tiraille encore sur la destination des sommes débloquées pour le dédommagement, de la prise en charge des-ayant-droit, les factures des stèles dressées au Rond-point des martyres et autres médailles distribuées à titre posthume. On a l’impression qu’ils sont « morts pour rien ». « La morale n’agonise plus au pays des hommes intègres », elle a rendu l’âme et les auteurs de ces forfaits continuent d’aller à l’église, au temple, à la mosquée… « Dieu vous voit ».
Comment en est-on arrivé là ?
Nous partons de l’hypothèse que la classe politique discréditée qui est sur scène depuis 1987 -certains de nos lecteurs ont proposé de descendre à 1983- est la principale responsable de cette situation. Par cynisme, elle a instrumentalisé la foule qui échappe à son contrôle aujourd’hui.
Une petite leçon de psychologie sociale permet de comprendre comment les choses ont été préparées. L’instrumentalisation de la foule est le sport favori des politiques sous tous les cieux et chez nous, cela a commencé depuis la lutte pour les indépendances. Si les premières manifestations ont commencé en cette période, c’est bien sous les premiers régimes que les politiques ont compris ce qu’est la force des foules et en Haute-Volta de 1966, le premier président de la République l’a appris à ses dépens. Une simple marche de syndicat en janvier 1966 a fini par avoir raison de son régime en quelques heures, démontrant une fois de plus « qu’il n’y a pas de petite querelle ». Ensuite, on instaurera une culture d’attroupement pour la moindre cérémonie officielle ou visite d’Etat en sortant les élèves des classes. Au passage du cortège, ils devront applaudir, chanter, danser, crier et tout cela en cœur. La finalité est que nous avons des adultes conditionnés à applaudir depuis leur enfance, à crier, chanter en cœur… à ne pas faire ce qu’on lui demande de ne pas faire, c’est-à-dire réfléchir.
La foule ne réfléchit pas, elle agit et c’est tout. Les religieux, les militaires et les politiques l’ont bien compris : pour motiver la foule, il faut la faire chanter et en cœur de préférence . Dans les églises, c’est en ce moment que le panier pour la quête arrive, le ton monte… et… vous vous sentez obligé… vous vous exécutez. Rappelez-vous bien le comportement d’une certaine jeunesse d’un pays voisin pendant la crise post-électorale. Face aux troupes françaises sur un pont de la capitale et sous la conduite d’un meneur, on se déshabillait et on chantait : « armée française, allez-vous en… ». Nos OSC, dont nombre d’adeptes ressemblent à cette jeunesse violente, pour diverses raisons avaient pour principal rôle d’haranguer les foules. Ils ont ainsi instauré comme méthode d’allumage le chant de l’hymne national à la moindre réaction. Jamais notre hymne n’a été chanté que pendant ces manifestations et particulièrement lors des négociations successives d’octobre 2014 et octobre 2015 dans le hall de l’hôtel de la place où se sont déroulés les travaux. Dans ce jeu trouble du mélange des genres, les leaders ont été rémunérés en espèces ou en nature et ils se reconnaîtront. Il va falloir revoir l’enseignement de l’instruction civique et nous dire exactement quand et où chanter notre hymne national.
Pour en revenir à notre foule-peuple, il faut reconnaître qu’elle repose sur un socle de personnes conditionnées depuis l’enfance, pour ceux qui ont été à l’école, et tous les badauds dont la grande partie est formée de jeunes désœuvrés, d’oisifs en quête du moindre spectacle. Dès que vous avez un petit accident, ce sont eux qui accourent et nombreux sont ceux qui sont prêts à vous spolier, car si vous avez une voiture haut de gamme dans le genre 4X4, « c’est parce que vous êtes un voleur », leur a-t-on appris sans doute. Ils ont été embrigadés et formés dans la rue par les mêmes politiques d’hier et d’aujourd’hui. Un maire de Ouaga à l’époque les avait utilisés pour casser une manifestation aux heures les plus chaudes de l’affaire Norbert Zongo. Il aura la vie sauve lui-même par sa prouesse à escalader le mur de la maternité et son adresse à fuir en P 50.
Si vous croyez qu’il n’y a que les militants dans les meetings et les travailleurs dans les marches des syndicats, vous devez revoir votre manuel. Pour un oui ou un non, on organise les marches et meetings, on fabrique les pyromanes et discrètement ou même souvent au grand jour, on met à leur disposition les moyens nécessaires pour « la mission à eux confiée ». Et après, ceux-ci se précipitent devant les caméras pour dire combien de voitures ou de maisons ils ont brulées en toute impunité. Après tout, on a brulé « chez les voleurs » se dit-on, comme si le bitume et les institutions nationales appartenaient à « ces voleurs ». Les nids de poule de ce que l’on appelle Boulevard circulaire ainsi que les grandes avenues de Ouaga ne sont-ils pas les stigmates de cette pratique de contestation enseignée au peuple ?
Rappelez-vous qu’avant les évènements des 30 et 31 octobre 2014, les jeunes instrumentalisés et équipés se baladaient dans les rues de nos grandes villes en indiquant les domiciles « à bruler ». Ils avaient ainsi annoncé « nous allons bruler leurs domiciles ». Et en réponse, les zélés et aveuglés par le pouvoir qui avaient tout à perdre n’ont pas su désamorcer la bombe. S’engouffrant dans la logique pyromane des casseurs, ils déclareront « s’ils brulent vos maisons, bruler les leurs ; on va voir qui va reconstruire le premier ».
Le feu est devenu le principal instrument de contestation et de protestation de la foule au Burkina Faso. A la moindre occasion, on met le feu : logement de maître, mairie, commissariat de police, car de transport en commun ou voiture qui fait un accident dans la rue ou sur la route… La classe politique assiste impuissante au ce retour de bâton, en témoigne la réaction sur les réseaux sociaux lorsqu’un député a été frappé dans la rue. Les compassions vont plutôt du côté de son âge que de celui de son mandat qui est obtenu dans un contexte démocratique lié à son appartenance ethnique et non à son idéologie politique.
Et la loi dans tout ça : Impunité ou impuissance ?
S’il y a quelqu’un qui a compris que le feu ne connait ni ami ni ennemi, c’est bien les Peuls. Dans la culture peule, l’épreuve du feu consiste à faire semblant de bruler la main de l’enfant afin qu’il comprenne la dangerosité de cette matière qui fait partie des quatre éléments fondamentaux de l’univers.
Lors de tous ces événements violents où le feu règne en maître, les forces de l’ordre se contentent d’appeler les soldats du feu. Nous n’avons pas encore écho d’une interpellation policière suite à un incendie criminel dans une mairie, un commissariat de police, un palais de justice, « un domicile de voleur » ou l’Assemblée Nationale… On a l’impression que « ceux qui sont brulés » avaient tort. Toute se passe comme s’ils méritaient ce qui leur arrive. Soit ! Mais la sécurité des biens et des personnes est garantie par la constitution. Par conséquent, mettre le feu au domicile d’un présumé voleur est un acte criminel et devrait être sanctionné à la hauteur du forfait. Et si vous brulez une institution comme un palais de justice ou un commissariat de police, c’est pour les voleurs ça aussi ? Si vous brulez nos bitumes, qui a volé l’argent pour les réaliser ? En brulant nos mairies, le palais de justice… vous avez mis le feu à nos réalisations de proximité et ce sont nos actes de naissance qui partent en fumée.
Nos politiques se sont amusés avec le feu en instrumentalisant les enfants puis les adultes. Il y a le feu partout même si l’on ne voit pas toujours la flamme. Que ce soit dans les textes fondamentaux comme la constitution ou le code électoral ou dans les textes régissant le quotidien comme le code de la famille et des personnes, le code pénal, les sources de conflit sont partout. Dans les actes de gestion au quotidien des partis politiques, des OSC… avec toutes les injustices, la victimisation et la fabrique de martyres… à coup de mensonges et d’acharnement. Dans la circulation, délaissant la piste cyclable, les motocyclistes et les vélos vous profèrent des menaces si vous roulez sur votre droite. Au moindre accident, votre voiture part en fumée et les femmes sont traitées de tous les noms d’oiseau -que la décence nous interdit de répéter ici- parce qu’elles sont dans une voiture haut de gamme.
Dans cette même logique, la fabrique de la violence continue dans le silence coupable des citoyens honnêtes. L’Etat a jusqu’à présent démontré son impuissance à assurer la sécurité des biens et des personnes. Si le long règne de Blaise Compaoré a semé la violence sur le terreau de l’impunité et de l’injustice, la transition viendra -avec sa défaillance et sa cupidité- renforcer la conviction selon laquelle « les politiques sont là pour eux-mêmes et non pour le peuple ». La démission des forces de l’ordre et des parents d’élèves, l’arrogance des puissants et le laxisme des autorités politco-administratives… ont produit une jeunesse sans repère moral. Un enfant qui donne des bons d’essence ou l’argent à son professeur peut-il écouter sa leçon de morale ? Un maitre d’école violenté et humilié avec toute sa famille peut-il retourner dans sa classe avec ses bourreaux d’élèves en toute sérénité ? Les parents d’élèves font vider les élèves par les directeurs d’école pour le recouvrement des cotisations devenues obligatoires, car l’adhésion à l’Association des Parents d’élève n’est pas libre. Quelle autorité politique a levé le petit doit soit pour exiger justice ou simplement chercher à voir clair dans la mort du petit Barro à Mangorotou ? Le drapeau national a été déchiré et qui a été interpellé ? Les miliciens embrigadent, interpellent, rackettent, brulent et assassinent parce que « l’Etat n’arrive pas à assurer sa mission de sécurité » qui est, rappelons-le un droit constitutionnel. Ils sont allés jusqu’au Niger voisin mettant en péril nos relations de bon voisinage. Toute la communication gouvernementale a consisté à justifier l’injustifiable.
Honnêtement, personne n’a été braqué et forcé à être maire, député, ministre ou même président. Il y a un cahier des charges à respecter et celui qui ne peut pas doit avoir le courage et l’honnêteté de dire aux citoyens, « je ne suis pas à mesure d’assurer la mission pour laquelle j’ai été élu ». C’est encore plus facile pour ceux qui n’ont pas été élus, car il suffit de s’adresser au copain qui vous a compté. Aucun Etat n’est impuissant, ce sont les hommes portés devant les choses à un moment de l’histoire qui montrent leur faiblesse. L’impuissant, c’est ceux qui sont entre la chaise et la table.
Il appartient à la classe politique qui a sollicité le suffrage du peuple et qui l’a obtenu de se ressaisir. Semer toujours la bonne pensée dans la tête de ses enfants, de ses administrés est la voie royale pour les amener à vous suivre dans votre idéal de construction d’une société prospère. Il ne faut pas penser comme le village qui ligote son fou mais comme ceux qui pensent bon et agissent bien. « Force doit rester à la loi » est devenu une formule creuse et vidée de tout contenu tant l’action gouvernementale actuelle ne le démontre pas.
Abou Bamba DOUKARE (ABD)
Lefaso.net