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Portrait du professeur Assimi Kouanda en patron du parti politique présidentiel burkinabè (1/2)

Publié le samedi 10 mars 2012 à 08h32min

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5 mars 2004/4 mars 2012. A huit années d’intervalle (et à un jour près), voici les deux dates clés du parcours politique d’Assimi Kouanda. Le 5 mars 2004, il était nommé directeur de cabinet du Président du Faso avec rang de ministre (sans figurer, pour autant, dans les organigrammes gouvernementaux). Le 4 mars 2012, toujours dircab du PF, le voilà propulsé à la tête du parti présidentiel : le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP).

Beau parcours pour cet homme qui n’a pas l’image d’un… homme politique, mais celle d’un intellectuel considéré comme un des meilleurs spécialistes de l’Afrique et du monde arabo-musulman (on notera d’ailleurs que Blaise Compaoré confie fréquemment la direction de son cabinet à des personnalités de la sphère musulmane : Mohamed Sanné Topan, ambassadeur à Bamako, Yéro Boly, ambassadeur à Rabat, et, aujourd’hui, Assimi Kouanda).

La direction du cabinet du PF n’est d’ailleurs pas un poste qui vous place, au Burkina Faso, sous le feu des projecteurs (d’autant moins que Blaise lui-même aime à rester de plus en plus dans l’ombre). Et Kouanda est bien plus connu de ses étudiants pour son enseignement et ses travaux universitaires que de la classe politique burkinabè. Il est par contre, du fait de ses fonctions, en proximité avec toutes les personnalités qui ont rendez-vous au Palais de Kosyam avec le « patron ». C’est dire que son carnet d’adresses est loin d’être négligeable et bien plus fourni « à l’international » que celui d’un simple professeur d’université.

Assimi Kouanda* est né le 31 décembre 1956. En 1981, il présente un mémoire de maîtrise à l’université de Ouagadougou sur « les conditions sociologiques et historiques de l’intégration des Yarse dans la société mossi de Ouagadougou ». C’est en France, au sein de l’université Paris I- Panthéon Sorbonne qu’il poursuivra ses études supérieures sanctionnées par un doctorat de troisième cycle. En 1984, il soutiendra sa thèse sur « les Yarse, fonction commerciale, religieuse et légitime culturelle dans le pays moaga (évolution historique) ». Son directeur de thèse est Jean Devisse qui animait alors un troisième cycle Histoire de l’Afrique. Son centre de recherches africaines était établi au cœur du quartier historique du Marais, à Paris, à quelques encablures du métro Saint-Paul. Devisse était une des personnalités majeures des études africaines à Paris, avec quelques autres professeurs dont Michel Alliot (la « vieille » génération) et Catherine Coquery-Vidrovitch (la nouvelle génération).

A cette époque, en 1985, avait été publié à Paris, par les éditions La Découverte, un livre que Kouanda considère comme la Bible sur les ethnies, le tribalisme et l’Etat en Afrique : « Au cœur de l’ethnie ». Ce livre avait été, à son époque, l’occasion de revisiter les travaux des ethnologues et des anthropologues. Il s’agissait, disait Jean-Loup Amselle (qui avait dirigé cette étude avec Elikia M’Bokolo), « de voir à quoi pourrait aboutir le dépassement de la problématique ethnique ». De ces textes, effectivement essentiels, et auxquels Kouanda a collaboré, il faut retenir que « le tribalisme est toujours le signe d’autre chose ». Kouanda a retenu la leçon, notamment lors de « la crise ivoiro-ivoirienne »** qui va marquer, durablement, le temps de sa collaboration avec le président du Faso. En Côte d’Ivoire, le passé, alors, venait de rattraper le présent et allait formater les années à venir. En historien, Kouanda allait apprécier, particulièrement, cette période dramatique mais riche d’enseignements. Or, l’enseignement, c’est sa « tasse de thé ».

Assimi Kouanda était en Haute-Volta quand la « Révolution » s’est emparée du pouvoir. Il n’a pas encore trente ans. Il va s’investir pleinement dans ce moment d’histoire particulièrement dense. Au lendemain de l’adoption (3 octobre 1983) du fameux « DOP », le Discours d’orientation politique qui va formater la vie quotidienne des instances dirigeantes de la « Révolution », Kouanda devient un des animateurs des inter-CDR, ces gardes rouges qui luttaient « contre la déviation, les analyses gauchisantes et tous les trafics de mentalité ». Des mots dans l’air du temps d’alors mais qui ont fait vibrer, pendant quelques années, une partie des « élites » burkinabè.

Enseignant à l’université de Ouagadougou dès 1984, Kouanda sera assistant au département histoire et archéologie et, en 1989, sera inscrit sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître assistant avant d’être nommé chef du département histoire et archéologie, vice-doyen des affaires académiques de la faculté des langues, des arts, des sciences humaines et sociales de l’université de Ouagadougou. Dans le même temps, il s’investit dans l’action politique locale. Il sera maire de la commune de Nongr-Maasom, à Ouagadougou, de 1989 à 1991 ; par la suite, de 1995 à 2000, il sera conseiller municipal dans la capitale. Rien d’essentiel, cependant, politiquement.

C’est alors que cet éminent spécialiste des études arabo-musulmanes va être nommé ambassadeur à Rabat, au Maroc. Jusqu’au moment où il sera appelé à prendre la suite de Yéro Boly (les deux hommes sont des amis) à la direction du cabinet du Président du Faso, avec rang de ministre. Nous sommes le 5 mars 2004. Une page se tourne dans la vie du « prof ». Qui, cependant, continuera assidument d’enseigner, notamment l’histoire des religions. Et de s’occuper de ses chevaux, sa grande passion.

Au cours du printemps 2010, il va être nommé directeur de campagne du candidat Blaise Compaoré à la présidentielle de la fin de l’année ; un job qui avait été assuré par Salif Diallo pour la présidentielle 2005 (un Salif Diallo alors en exil comme ambassadeur à Vienne mais dont on annonçait le retour en grâce). « La crise ivoiro-ivoirienne » n’était pas encore résolue (et personne n’imaginait vraiment, alors, quelle tournure dramatique elle allait prendre à l’issue de la présidentielle qui, elle aussi, se déroulait fin 2010) mais on percevait déjà les tensions qui traversaient la société burkinabè.

J’avais alors interrogé Kouanda sur cette « distanciation » qui était, selon moi, devenu le mode de production politique du président du Faso et que l’on ne manquait pas, ici et là, de lui reprocher, tout particulièrement au lendemain des cruelles inondations qui avaient rudement secoué le pays en septembre 2009. Pour Kouanda, ce n’était que la traduction du bon fonctionnement de la démocratisation de la vie politique burkinabè : le président préside, le premier ministre est le vrai chef d’un gouvernement qui gouverne tandis que l’Assemblée nationale s’assemble et vote les lois, que l’opposition s’oppose, que les médias commentent librement, etc. Autrement dit : tout baigne. En substance, Kouanda me dira que la forme avait peut-être changé mais pas le fond et que les institutions mises en place dans le cadre de la démocratisation devaient fonctionner en toute indépendance. Il ajoutera : « Notre système politique, diversifié, ne nécessite plus l’omniprésence du chef de l’Etat sur la scène politique » (cf. LDD Burkina Faso 0224 et 0225/Mardi 29 et Mercredi 30 juin 2010).

Mais manifestement, à Kosyam, on percevait que quelque chose ne fonctionnait pas. Au début de l’année 2011, Kouanda se trouvait nommé, en tant que directeur de cabinet du Président du Faso, au portefeuille de ministre chargé du cabinet présidentiel dans le gouvernement de Tertius Zongo. Dans le même temps, quelques vieilles gloires de la « Révolution » (dont Bongnessan Arsène Yé) reprenaient du service.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

* Présenté récemment comme un Mandè, j’ai écrit : « groupe ethnique très minoritaire au Burkina Faso ». J’ai tout faux. Il s’agit en fait non pas d’un groupe ethnique mais d’un groupe linguistique et pas du tout aussi minoritaire que je l’affirme. Mais je suis preneur de toutes précisions (et corrections) en la matière.

** Dans cet ouvrage, Jean-Pierre Dozon avait rédigé un texte sur « les Bété : une création coloniale » qui, selon moi, permettait vingt ans avant « la crise ivoiro-ivoirienne » de mieux en comprendre les fondements.

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