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Manifestations de soldats : Le point de vue d’un militaire

Publié le lundi 28 mars 2011 à 03h43min

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C’est presque les larmes aux yeux que j’ai accueilli la malheureuse manifestation des soldats durant la nuit du 23 au 24 Mars. En tant que militaire, ces événements m’attristent profondément. Comment en est-on arrivé là ? Cette question, je me la suis posée un millier de fois depuis mercredi ; et comme la plupart des Burkinabé, j’ai du mal à comprendre.

Tout ce que je sais, c’est qu’il y a un gros souci dans l’armée burkinabè. Il va falloir le régler et vite au risque de le payer très cher dans un avenir proche. A travers le prisme de mon vécu militaire, je m’en vais vous exposer ce que je pense être les raisons intrinsèques de ces dérapages qui sont entrain de devenir un sinistre réflexe. De mon point de vue, le problème se situe à trois niveaux :

1. LE RECRUTEMENT

Analphabètes n’est pas synonyme de « être con ». Seulement, pour un métier aussi exigeant et pour lequel on doit avoir assez de ressources pour être maître de la force qui nous est confiée par la République, il faut un minimum de niveau intellectuel. Et il est temps de se rendre à l’évidence que la capacité à courir vite ne constitue pas un critère de recrutement fiable. Certes, les capacités physiques restent capitales pour le corps militaire, mais aujourd’hui il en faut beaucoup plus. A force de chercher ceux qui courent vite, on finit par « ramasser » d’ex brigands difficilement « coulables » dans le moule de la discipline militaire. Le constat est dur mais il est réel : le niveau global de nos hommes du rangs est loin d’être à la hauteur de celui requis pour comprendre le principe de fonctionnement d’un pays démocratique par rapport à son Armée. En plus du recrutement à la base, la formation initiale laisse à désirer.

2. LA FORMATION

Il suffit de mettre pied dans l’enceinte de la formation des nouvelles recrues à Bobo pour se rendre compte des conditions lamentables dans lesquelles ils sont formés. On pourra toujours évoquer le manque de moyens mais je situerai le problème à un autre niveau : le manque de politique réelle de formation dans notre Armée. Que veut-on faire de nos soldats quand on les recrute ? Cette question est censée trouver réponse dans une politique de formation clairement établie, politique qui n’existe simplement pas. Comment former des gens quand il n’y a pas un cadre formel clairement défini ? Certes il existe des programmes d’instruction militaire mais ils ne s’inscrivent pas dans un cadre clair ; ce qui rend les objectifs à atteindre totalement flous.

Le problème se corse quand on tente la comparaison avec les cadres militaires (les officiers). La plupart de nos officiers sont extrêmement bien formés, beaucoup étant passés par les meilleures écoles d’officiers au monde (Saint-Cyr en France, Westpoint aux USA ou ARM au Maroc). Seulement, le fossé intellectuel est vertigineux entre ces officiers et leurs soldats qui, pour beaucoup, n’ont que le CEPE. La question de la formation reste donc liée à celle du recrutement que nous évoquions plus haut. Tout cela se déteint bien évidemment sur le commandement en lui-même.

3. LE COMMANDEMENT

Une Armée qui s’ennuie ne peut générer que les vices. C’est exactement ce qui se passe. Et les vices en général c’est l’interventionnisme, la corruption, l’impunité. Certains caporaux ou soldats de 1ere classe ont une influence impensable au sein de leur corps. Certains officiers en arrivent même à être « potes » avec des caporaux. Et c’est ainsi que l’on commence à tolérer l’intolérable quand certains soldats « influents » sont mis en cause. Ces derniers constituent les mauvais exemples qui alimentent l’indiscipline et pourrissent l’institution. Il y a donc là une faute de commandement qu’il faut au plus vite corriger. Que devient la crédibilité d’un jeune chef qui demande une punition pour un subordonné indiscipliné et qui se la voit refusée par son supérieur sans raison évidente ?

Le mal est là. Il ronge notre Armée mais il n’est pas encore tard. Il est encore temps de se remettre sur les bons rails avant que l’Armée ne soit prise en otage par ses hommes du rang. Pour cela, il faut que nos chefs militaires ouvrent le bon œil. Ce qui s’est passé durant la nuit de mercredi constitue une occasion pour se poser les bonnes questions. On pourrait par exemple commencer par élever le niveau de recrutement de nos soldats (BEPC minimum). La rédaction d’une politique de formation dans notre Armée s’avère capitale. Aussi, il serait salutaire d’introduire des cours de droit civil au Groupement d’Instruction à Bobo avec par exemple l’intervention de corps professoral civil pour faire comprendre à nos soldats, dès là bas, le sens profond de leur engagement. Ce serait à mon sens, traiter le mal à sa source.

Ce ne sont là que les réflexions d’un jeune militaire qui aime son pays et son métier. L’Armée a tellement à apporter au peuple burkinabè qu’il serait dommage de la laisser se perdre au point de se retourner contre ceux qui font sa raison d’être.

Un militaire anonyme

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