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Alors que le « sarkozysme » est tenté par le « sarko-lepénisme », Gérard Longuet, ancien de l’extrême droite française, est promu ministre de la Défense et des… anciens combattants (2/2)

Publié le vendredi 4 mars 2011 à 12h37min

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La stratégie de « l’empeachment croisé », conçue par Gérard Longuet pour neutraliser les leaders de la droite qui auraient pu empêcher Jacques Chirac d’être appelé à Matignon comme premier ministre d’une « cohabitation » à laquelle était contraint le président François Mitterrand, aura été concluante. Chirac étant premier ministre, Longuet entre au gouvernement comme secrétaire d’Etat (mars-août 1986) puis ministre délégué (1986-1988) auprès du ministre de l’Industrie, des P & T et du Tourisme, chargé des P & T.

Son ministre de tutelle n’est autre que son ex-compère du mouvement « Occident » : Alain Madelin. François Léotard, qui voulait la Défense, va obtenir la Culture et la Communication. Les ex-subversifs de l’extrême droite française, reconvertis en ultra-libéraux, sont dans la place ; où ils vont jouer Edouard Balladur contre Chirac. Mais Longuet aurait pu jouer, aussi, la carte « Mitterrand ». Lors de cette première cohabitation, Longuet sera, aux dires de Alain Juppé, « fasciné » par le président de la République et aurait même espéré, dira-t-on, que dans la perspective de 1988, Mitterrand s’engage dans une ouverture permettant aux « centristes » d’entrer dans un gouvernement « socialiste » (qui n’était plus, rappelons-le, « socialo-communiste »). Longuet était d’ailleurs tout autant « fasciné » par Balladur ; en fait, ce sont les hommes au pouvoir qui le fascine !

Une droite déchirée et qui ne se rassemblera pas permettra à Mitterrand de conserver l’Elysée en 1988 et aux socialistes de revenir au pouvoir. Longuet retrouvera son siège de député. Il sera réélu en 1993, ce qui le propulsera une nouvelle fois au gouvernement lors de la deuxième cohabitation. Il préside le Conseil général de Lorraine depuis 1992 et va présider le Parti républicain (PR) de 1990 à 1995. Balladur à Matignon c’est lui qui va négocier avec le premier ministre la composante PR du gouvernement : Léotard, Madelin, Longuet sont incontournables ainsi que Charles Millon, Pascal Clément et Alain Lamassoure (à noter que c’est Nicolas Sarkozy qui va négocier les portefeuilles des ministres RPR). Longuet va obtenir le ministère de l’Industrie, des P & T et du Commerce extérieur (il va être celui qui va déréglementer France Télécom, ouvrant la porte à sa privatisation qui sera assurée par… François Fillon) tandis que Léotard obtiendra, enfin, la Défense.

Mais Longuet va devoir démissionner du gouvernement le 14 octobre 1994 (après Alain Carignon quelques mois auparavant et Michel Roussin quelques mois plus tard) puis de la présidence du PR à la suite de sa mise en examen dans une série « d’affaires » dont celle de la construction de sa villa de Saint-Tropez, de ses activités de consultant immobilier pour la Cogedim (sa femme, Brigitte, est associée fondateur du cabinet LRS Associés, spécialisé dans le droit… immobilier), du financement du PR… Malgré une série de non-lieux et de relaxes, sa carrière politique est plombée. Il perdra son mandat de député en 1997 avant de décrocher celui de sénateur UMP de la Meuse et de sauver sa présidence du Conseil général. Jean-Pierre Raffarin, lui aussi venu du « centre », lorsqu’il sera premier ministre, le nommera, en janvier 2005 à la tête de l’Agence de financement des infrastructures de transports en France (AFITF).

Ayant rejoint l’UMP et s’étant rapproché de Sarkozy, Longuet va jouer un rôle dans lequel il excelle : l’éminence grise en charge de la stratégie politique. Conseiller de Sarkozy, candidat à la présidentielle 2002, vice-président des réformateurs de l’UMP, il va être en pointe dans l’évolution institutionnelle de la Vème République, militant pour que le chef de l’Etat puisse être aussi chef de parti et en droit de s’adresser directement au Parlement. Il prône une « République parlementaire rationalisée » dans laquelle « le président est en charge de l’essentiel ». Adepte de la marche en avant, y compris quand la « marche forcée », Longuet n’aime pas les institutions dont les pouvoirs sont « conditionnés ».

Mais l’accession au pouvoir de Sarkozy ne lui profitera pas. Elu sénateur en 2001 (après avoir été, pendant dix ans, patron d’une société de conseil, activité qu’il demandera et obtiendra de pouvoir poursuivre), il restera dans l’ombre au palais du Luxembourg jusqu’à sa nomination, en juillet 2009, à la présidence du groupe UMP du Sénat. Mais il visait autre chose : ministre ou président de EDF. Il gardera donc sa liberté de parole et en abusera parfois. Notamment en ce qui concerne « l’ouverture à gauche » prônée par le chef de l’Etat. Quand celui-ci proposera le nom de Malek Boutih, né en France de parents algériens, PS et ex-patron de SOS-Racisme, pour présider la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), Longuet estimera que « ce n’est pas le bon personnage […] Il vaut mieux que ce soit le corps français traditionnel qui se sente responsable de l’accueil de tous nos compatriotes […] Un vieux protestant, la vieille bourgeoisie protestante, parfait […] Si vous mettez quelqu’un de symbolique, extérieur, vous risquez de rater l’opération ». Longuet ne ratera pas la polémique. Il est vrai qu’après des années de silence, il a tendance à se lâcher.

« Pour mener une politique libérale, dira-t-il (Le Figaro Magazine - 20 novembre 2010) au lendemain de la formation d’un gouvernement dont il n’était pas, il vaut mieux des libéraux. Aujourd’hui, le projet est, pour l’essentiel, libéral. Je m’en félicite. Mais on le réalise avec la génération 1995. Sur trente ministres, vingt sont issus du RPR et les deux ministres d’Etat [Alain Juppé à la Défense et Michèle Alliot-Marie aux Affaires étrangères] ont fait toute leur carrière dans le sillage de Jacques Chirac. Ce n’est pas tout à fait l’idée que je me fais du rassemblement que représente l’UMP […] En clair, nous avons la victoire des idées, pas la participation des hommes ». C’est fait, aujourd’hui, avec sa nomination comme ministre de la Défense !

Mais il ne faut pas se leurrer. Cette nomination est bien plus une opération politique que la reconnaissance de sa compétence. A un an de la présidentielle 2012, le nouveau locataire de l’Hôtel de Brienne aura du mal à imprimer sa marque à nos armées. Par contre, Longuet, vieux routier de la vie politique, homme de droite peu effarouché par l’extrême droite (en 1992, il préconisait une alliance avec le Front national pour faire échec à la gauche), sera utile à Sarkozy. Et s’il n’est pas utile, sa position au gouvernement l’empêchera d’être nuisible. On pourrait s’étonner de voir ainsi revenir sur le devant de la scène politique les « ultra-libéraux » de la « bande à Léo ».

La « jeune garde » libérale des années 1980 est devenue une arrière-garde ; ils avaient entre 30 et 40 ans, ils ont aujourd’hui entre 60 et 70 ans. Ils étaient dans les arcanes du pouvoir quand Sarkozy en cherchait encore fébrilement la porte d’entrée. Et si Sarkozy les rappelle, c’est qu’en moins d’un mandat il a perdu en cours de route ses troupes tandis que ses généraux doutent, désormais, qu’il puisse les mener à la victoire. Longuet à 65 ans. C’est ma génération ; pas celle de mes enfants. Pas rassurant alors que le monde explose sous la pression de sa jeunesse et que le totalitarisme n’est même plus accepté là où « l’occident » voulait nous faire croire qu’il était culturellement ancré.

Dans cette période géopolitique incertaine, la France aime à renouer avec ses vieux démons, ceux de l’exclusion. L’UMP lance son débat sur « laïcité-islam » tandis que, demain, jeudi 3 février 2011, Sarkozy sera au Puy-en-Velay (point de départ du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle), pour évoquer « l’héritage patrimonial de la France ». On revient aux fondamentaux du mouvement « Occident » ; sans ses pratiques pour l‘instant. Tandis que les musulmans ont pris la place des communistes.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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