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DOT EN PAYS DAGARA : Le mercantilisme a-t-il pris le pas sur le symbole ?

Publié le mercredi 23 février 2011 à 01h28min

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Se marier est l’une des préoccupations des Hommes, même si certains disent ne pas y trouver leur compte. En pays dagara, le mariage est une impérieuse nécessité. C’est par lui que le jeune homme ou la jeune fille se responsabilise, s’intègre dans sa société et perpétue sa famille (son clan ou sa lignée). Pour sceller le mariage, il a été institué la dot. Une pratique qui a suscité notre curiosité en raison de sa singularité. Cette tradition a traversé le temps et semble n’avoir pas pris de rides du fait de son ancrage dans la conscience collective. Et ce, malgré son interdiction par le Code des personnes et de la famille (CPF).

La dot en pays dagara est le symbole du mariage. Elle conclut l’union entre la femme et l’homme dans la société dagara. Elle va au-delà des deux personnes (le couple) et unit deux familles. Dans le souci d’harmoniser les unions entre la femme et l’homme, la dot a été instituée par le peuple dagara. Selon l’abbé Jean Marie Kusielè Dabiré, docteur en théologie au Centre diocésain de formation (CDFA) de Diébougou, elle se fait en 3 phases. La première est la plus symbolique et les composantes du don sont 350 ou 360 cauris, selon la zone, une pintade et une poule. La seconde phase varie d’une femme à une autre et est fonction du nombre de cauris qui avait été utilisé pour doter la mère.

Ce nombre peut être de 1 200 à 3 000 cauris, selon toujours l’abbé Dabiré. La troisième phase est constituée d’autres prestations comme l’exécution de travaux agricoles dans la famille des beaux-parents du futur marié. A cela, il faut ajouter une paire de bœufs (un taurillon et une génisse). Cette tradition instaurée par les ancêtres a pour rôle d’harmoniser et de sacraliser l’union entre l’homme et la femme en pays dagara. Dans cette contrée, payer la dot est synonyme d’être un homme responsable et respectueux des valeurs traditionnelles, fait savoir l’abbé Jean Marie Dabiré. En outre, la dote garantit la sacralité du mariage et permet aux couples de jouir de leurs droits dans la société.

Egalité des sexes dans la forme, soumission de la femme dans les faits

De son côté, l’abbé Constantin Gbaanè Dabiré, philosophe et anthropologue au CDFA de Diébougou, pense que le système de la dot confine la femme dagara dans un statut d’infériorité tout en lui conférant dans le même temps, une importance, une reconnaissance. En effet, le mariage dagara tient compte de la femme en ce sens que c’est son nom qui est donné à l’enfant. Lequel nom n’est pas le même chez les Dagara que chez les Occidentaux. Par exemple, l’enfant issu d’une femme Da mariée à un Somda portera le nom Da mais pas celui du clan ou de la famille qui reste une propriété exclusive du mari. Pour illustrer davantage notre propos, prenons le cas de nos deux interlocuteurs : Constantin Gbaanè Dabiré et Jean Marie Kusièle Dabiré.

A leurs noms de famille Dabiré, on peut conclure qu’ils sont tous de la même famille dans le système français ou occidental. Mais dans la société dagara, ils sont de familles différentes. Leurs familles respectives sont Gbaanè et Kusielé. Les autres noms, au nombre de quatre ou sept (Somé, Hien, Da, Kambou, Somda, Méda, Poda), selon l’abbé Constantin, ne sont que des subdivisions de la famille (les clans ou les lignées) et restent la propriété de la femme. Sur la base de ce constat, l’abbé Jean Marie conclut que "la dot en pays dagara permet un équilibre entre l’homme et la femme pour éviter une domination hégémonique de l’homme".

Telle que conçue, elle exclut toute subordination de la femme. Mais dans les faits, l’homme a subtilement installé une hégémonie dans les rapports avec la femme, soutient, par ailleurs, l’abbé Constantin Dabiré. "La femme reste toujours la cadette de l’homme", affirme-t-il. "Kaon bè dan inouon yè". Littéralement traduit, "la pintade ne devient jamais poule". Et la pintade dans cette sagesse populaire dagara symbolise la femme et la poule, l’homme. Cela pour dire que la femme reste toujours femme. Dans ce contexte, l’acceptation par la seconde moitié de l’homme de jouer les seconds rôles annihile tout conflit. Si le principe d’équilibre est respecté, la dot se révèle être un élément régulateur de la société.

"La dot, par essence, n’a pas pour vocation de soumettre la femme", soutient l’abbé Constantin Dabiré. Pour lui, elle doit être symbolique et non une soumission unilatérale. Du reste, déclare le religieux, c’est la femme qu’on accuse d’infidélité et non l’homme. Cependant, ajoute-t-il, le caractère cyclique de la dot est utilitaire et assure une cohésion sociale. En effet, les cauris utilisés pour doter la sœur d’un garçon ainsi que les petits de la génisse sont utilisés également pour doter sa femme quand arrivera son tour de se marier. Quant au taureau, il est tué pour les sacrifices du mariage.

Cela avait le mérite de permettre à chacun de se marier même s’il n’avait pas les moyens. Ce qui semble être aux antipodes de la société actuelle où, très souvent, il faut avoir de l’argent pour se marier.

Une affaire des parents et des oncles

Certains estiment que la dot pousse des jeunes à l’exode rural ou l’immigration pour rechercher les sommes nécessaires au mariage. Anderman Hien, conseiller municipal du secteur n°2 de Diébougou et fils d’un chef coutumier, soutient que la dot est sacrée et doit rester telle. Cependant, il reconnaît que ses mutations fragilisent la société et les jeunes en sont le plus victimes. Pour lui, le refus de certains jeunes de se marier les expose aux maladies et cultive l’irresponsabilité. Mais à la question de savoir s’il faut supprimer la dot, sa position est claire : "La suppression de la dot serait la décapitation de la société dagara".

Du reste, poursuit-il, la dot est une question qui relève des parents et des oncles. Il se dit plutôt surpris que des jeunes la redoutent. "Quand un jeune homme aime une femme, fait-il savoir, et que cette dernière est consentante, il le fait savoir à ses parents et à ses oncles qui prennent les dispositions pour payer la dot".

Un dévoiement dû à la modernité

Au fil des mutations sociales et économiques, ces dispositions sont dévoyées faisant croire que la femme dagara a une valeur marchande. Pour l’abbé Jean Marie Dabiré, la valeur marchande des cauris a commencé avec l’apparition du F CFA imposé par le colon. Cette situation a débouché sur une convertibilité du cauris en F CFA. Il y a 30 ou 50 ans de cela, 20 cauris correspondaient à 5 F CFA, mais de nos jours un cauris se négocie 5 ou 10 F CFA, fait-il savoir. La mauvaise interprétation du droit coutumier dagara par les autres sociétés présente la situation comme du commerce, déplore notre interlocuteur.

Il ne faut donc pas rapporter la situation à sa propre culture pour que l’analyse ne soit pas biaisée. Les cauris de la dot sont sacrés et ce caractère sacramentel ne doit être violé sous aucun prétexte. Pour cela, et de l’avis de l’abbé Constantin Dabiré, les cauris de la première étape de la dot ne doivent être utilisés à d’autres fins qu’à doter une autre femme. L’inobservance de cette loi conduit très souvent à des situations conflictuelles dans les familles. Les parents fautifs qui sont dans l’incapacité de donner les 360 ou 350 cauris pour la dot de leur progéniture assistent, impuissants, à leur rébellion et perdent toute crédibilité et dignité dans leur famille et leur village. Selon la mentalité traditionnelle dagara, on ne peut retenir une fille en âge de se marier.

Mais en compensation des services à sa famille, il faut que le futur époux puisse symboliquement accomplir des tâches dans sa future belle-famille. Au regard des incompréhensions, l’abbé Jean Marie Dabiré, recommande "de ne pas fustiger les traditions africaines mais de les analyser selon nos réalités au lieu de se laisser phagocyter par d’autres cultures comme les cultures occidentales où dans certains pays c’est même la femme qui dote l’homme". Cela, de son avis, serait inadmissible pour certaines femmes qui refuseraient cette inversion de rôle. Pour lui, il faut faire l’historique de la dot pour comprendre ses mutations.

Le mieux serait de tendre vers l’uniformisation de la dot. Mais compte tenu des nuances dans certains rites souvent même dans les échanges linguistiques qui se déteignent dans le système du mariage, cette option sera difficile à concrétiser, a relativisé l’abbé Jean Marie Dabiré. Le législateur a tranché la question de la dot à travers le Code des personnes et de la famille afin d’éviter des litiges entre familles. Mais si les deux familles s’entendent pour vivre leurs coutumes sans heurts, notre interlocuteur pense que cela est à saluer. Du reste, soutient-il, de nos jours, dans la plupart des unions, il y a d’abord le mariage traditionnel dont le symbole est la dot avant le mariage civil. "Cette situation est la preuve tangible que nous ne pouvons pas vivre en excluant nos cultures", conclut l’abbé Dabiré.

François SOME (Collaborateur)

Le Pays

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