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Dr Suzanne Ouandaogo/Yaméogo, enseignante à l’Université de Ouagadougou : “Il faut interdire la construction de puits dans les parcelles de 300 m2 ayant des latrines”

Publié le vendredi 13 février 2009 à 02h09min

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Dr Suzanne Ouandaogo/Yaméogo

Dr Suzanne Ouandaogo/ Yaméogo a obtenu avec brio, son titre de docteur de l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse en sciences de la terre avec spécialité hydrogéologie. Ceci après présentation d’une thèse sur les ressources en eau souterraine de Ouagadougou. Dans cet interview qu’elle a accordée le vendredi 30 janvier 2008, elle dévoile en quelques mots, le contenu de son mémoire de 249 pages : les types d’eau souterraine, leur qualité, les systèmes de protection, etc. Autant de questions qui laissent transparaître l’existence latente d’un problème de santé publique lié à la consommation d’eau polluée d’une part et le cri du cœur de l’impétrant pour sa résolution.

Sidwaya (S.) : Qu’est-ce qui vous a motivé à étudier les eaux souterraines à Ouagadougou dans le cadre de votre thèse de doctorat en sciences de la terre ?

Suzanne Yaméogo (S.Y.) : L’étude sur les eaux souterraines entre dans le cadre d’un projet de l’UNESCO en lien avec (PNUE), le programme des Nations unies pour l’environnement, qui était intitulé “Aquifères superficiels et profonds, vulnérabilité dans les grands centres urbains”. Nous avons été très actives pendant les travaux et les résultats ont constitué notre sujet de thèse ; telle est la première motivation. Deuxièmement, étant enfant, j’ambitionnais de faire des études dans les sciences de la terre. Cette vocation s’est raffermie avec le temps et j’ai choisi de me spécialiser dans le domaine de l’eau. Parce que le Burkina Faso est confronté à un problème d’eau.

Et ce sont les femmes qui sont les plus concernées par ce problème puisque chargées de la corvée de l’eau. Moi-même, j’ai fait cette corvée. J’ai voulu alors à travers cette étude, contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la femme.

S. : Pourquoi avoir choisi la ville de Ouagadougou pour vos recherches plutôt qu’une autre localité qui comporterait plus de forages ou de puits comme un village ?

S.Y. : Les recherches ont été effectuées à Ouagadougou parce qu’il s’agit d’un grand centre urbain qui a une démographie galopante. On estimait la population à plus d’un million d’habitants en 2000. Cette forte croissance a entre autres pour conséquence l’apparution spontanée d’habitats avec une pénurie d’eau. Ce dernier problème a été résolu en 2004 avec l’arrivée des eaux du barrage de Ziga. Cependant, il subsiste un problème de qualité d’eau car il n’existe aucun système d’assainissement de base au niveau des quartiers périphériques de la capitale.
Les activités anthropiques menacent également la qualité des eaux d’une manière générale et surtout, des eaux souterraines d’une manière particulière.

S. : Comment expliquez-vous la constitution des eaux souterraines ?

S.Y. : Lorsqu’il pleut, une partie de l’eau s’évapore, une autre s’infiltre et une dernière ruisselle. L’eau qui s’infiltre traverse différentes couches de roches appelées aquifères. Elle est stockée dans un aquifère et constitue alors une nappe aquifère. Les aquifères sont de deux types, les aquifères superficiels captés par les puits peu profonds atteignant dix mètres de profondeur et les aquifères profonds captés par les forages qui peuvent aller de 30 à 60 mètres de profondeur.

S. : Quels sont les parties de la capitale concernées par vos recherches ?

S.Y. : Trois zones ont été retenues dans le cadre de l’étude qui s’est étalée sur trois ans, de 2004 à 2007. Il s’agit du quartier de Boulmiougou pris comme témoin avec trois puits et quelques forages, le centre ville englobant le canal principal, l’Université, les eaux de l’hôpital, de la Société nationale d’électricité (SONABEL) et le barrage n° 3. La dernière zone, exécutoire, se situe dans le quartier de Kossodo en raison des rejets industriels. Nous y avons fait des prélèvements d’eau de puits, de forages, ainsi que de l’eau usée.

S. : Que peut-on retenir de vos investigations ?

S. Y. : A partir des recherches, nous avons élaboré des bulletins d’alerte rapide sur la qualité des eaux des puits et forages de la capitale. Nous avons fait une ébauche d’une carte de la vulnérabilité des nappes essentiellement profondes c’est-à-dire celles captées par les forages. La carte montre que les parties Nord-Est et Nord-Ouest de la ville sont très vulnérables à la pollution, la première étant exposée aux rejets industriels, la seconde, une zone très fracturée. Une autre carte portant sur la répartition spéciale des nitrates a été également dressée. Celle-ci montre la teneur de nitrate contenue dans les puits qui alimentent une majeure partie de la population de Ouagadougou. Ces résultats ont fait l’objet de communications dont celle de juin 2004 primée par le Centre international de l’éducation des filles et des femmes en Afrique (CIEFFA) et le ministère en charge des Enseignements secondaire et supérieur qui avait pour thème : “Problématique de l’eau pour un développement durable”. La communication qui abordait un sujet crucial aussi bien au plan national, régional que international visait à informer tous les acteurs qui travaillent dans le domaine de l’eau, à savoir les municipalités, les laboratoires, etc. sur la qualité de cette ressource.

S. En clair, existe-t-il des nappes polluées à Ouagadougou ?

S.Y. : Oui il y a des nappes aquiférés polluées dans la capitale, notamment celles superficielles captées par les puits peu profonds.

S. : Les nappes d’eau souillées représentent-elles une menace en milieu urbain ?

S.Y. : Dans ces trois zones concernées par nos investigations, nous avons constaté, à l’issue d’analyses, que les eaux de forages étaient aptes à la consommation humaine. Par contre, les eaux de puits peu profonds et très peu protégées ne le sont pas. Parce qu’elles contiennent des substances indésirables appelées nitrates et des germes fécaux. Les puits ciblés pour suivre la qualité de leurs eaux côtoient de fait, des latrines et des fosses sceptiques. Toute chose qui indique qu’il y a eu contamination directe des systèmes sceptiques avec les puits non busés ou protégés. On a fait un inventaire de 1 800 puits dans presque toutes les concessions. Notre enquête a fait ressortir que certaines eaux contenaient une teneur excessive en nitrate allant jusqu’à 200 mg/l, pourtant les normes de l’OMS situent la quantité tolérable de cette substance à 150mg/l. Cela constitue un problème de santé publique surtout pour les nourrissons qui ont moins de six mois et pour les femmes enceintes.

Les nitrates ne sont pas dangereux en tant que tels, mais transformés en nitrite dans l’organisation, ils deviennent nocifs pour son fonctionnement. Malheureusement l’organisme des nourrissons ne peut pas empêcher cette transformation. Que se passe-t-il en conséquence ? L’oxygène n’est pas bien distribuée au niveau des cellules, ce qui provoque la mort par asphyxie, la mitemo-globunimie. Des études ont démontré que les nitrates étaient à l’origine de certains cancers de l’estomac. Mais elles sont restées au stade informationnel et aucune recherche approfondie n’a été menée pour confirmer ou infirmer cela. Par ailleurs, les germes contenus dans les eaux de puits polluées peuvent provoquer des maladies pour leurs consommateurs. Mais les gens ne font pas le lien entre l’eau et leur maladie puisque pour beaucoup d’entre eux, l’eau qui est la vie ne peut pas constituer un danger.

S. : Quelles sont les sources de pollution ?

S.Y. : Les sources de pollution sont essentiellement les systèmes sceptiques c’est-à-dire les latrines et les fosses sceptiques qui contaminent directement l’eau souterraine notamment celle des puits. D’une part, parce que les puits n’ont pas de margelle et leurs eaux ne sont pas protégées, d’autre part, ils ne sont pas busés. Si bien que lorsqu’il pleut, il y a une recharge directe des puits. Et le niveau de l’eau des puits monte jusqu’au niveau de celle des latrines, entraînant une contamination en germes et en nitrate. En ce qui concerne l’eau des forages, il n’y a pas de problème sauf aux endroits où ils jouxtent des dépotoirs de cimetière ou de rejets domestiques. Dans ces sites, on a enregistré une teneur en nitrate inférieure à 50mg/l. Cette quantité bien que faible, constitue un problème car l’eau de forage ne doit pas contenir
de nitrate.

S. : On parlait à une certaine période, de la présence d’arsenic dans des forages au Burkina. Qu’en est-il de cette substance à Ouagadougou ?

S.Y. : On a fait des analyses d’éléments en trace appelés ainsi car il faut des microgrammes pour nuire à la santé humaine. On n’a pas trouvé de l’arsenic dans nos recherches. Nous avons seulement trouvé du plomb dans les rejets industriels.

S. : Avez-vous enregistré lors de vos recherches des cas de malades ou de décès, liés à la consommation des eaux polluées ?

S.Y. : Pour le moment, nous ne pouvons pas établir de lien entre le décès d’une personne donnée et la consommation de l’eau. Il aurait fallu faire une enquête épidémiologique ciblée des puits contenant du nitrate et administrer un questionnaire aux utilisateurs de l’eau de ces puits. Ce qui aurait permis de faire des liens, des études sanitaires et tirer des conclusions. Nous n’avons pas approché les agents de santé pour savoir si des personnes étaient décédées suite à la consommation de nitrate. Mais des gens nous ont fait savoir que lorsqu’ils consomment l’eau des forages à une certaine période de l’année, ils ont des problèmes urinaires, notamment des douleurs pendant l’expulsion de l’urine. Nous allons dans nos perspectives, essayer de faire une étude pour trouver la cause de ces maux. En général, lorsqu’une personne meurt de cancer de l’estomac ou d’autres organes, on ne cherche pas à découvrir la cause du mal. Parfois même, on évite de dire qu’il s’agit d’un cancer car le mot en lui-même fait peur aux gens.

S. : Les aquifères pollués peuvent-ils être purifiés ?

S.Y. : Il existe des systèmes pour décontaminer l’eau et traiter les nitrates par la dénitrification. Procédé qui consiste à utiliser des bactéries anaérobiques pour casser la molécule de nitrate et la transformer en gaz, composé d’eau et d’azote. Ceci est très coûteux. C’est pourquoi il faut protéger les captages à l’amont (barrages, puits...) afin de lutter contre la pollution.

S. : Qu’est-ce que vous préconisez pour la sauvegarde et la protection des aquifères en milieu urbain ?

S.Y. : Sur le plan local et individuel, on peut éliminer par traitement les eaux qui sont contaminées par les germes en utilisant des pastilles, de l’eau de Javel mensuellement, tous les trois mois ou tous les six mois. Il est également possible d’interdire la construction des puits dans les parcelles qui ont moins de 300 m2 et qui contiennent déjà des latrines. On a noté dans des concessions que les puits et latrines étaient distants de seulement deux mètres. Nous avons été parfois sidérés par la proximité des deux fosses. Dans une famille, le taux de nitrate était si élevé dans l’eau de puits que j’ai approché les responsables pour leur signifier le danger auquel il s’exposait par la consommation de cette eau. Mais je me suis entendu dire : “Madame, nous consommons cette eau depuis des années et nous n’en sommes pas pour autant tombés malades”. Cela parce que les gens ne font pas le lien entre les maladies qu’ils ont et l’eau. Il y a donc nécessité de sensibiliser les populations, principalement celles qui consomment l’eau de puits. Une étude a montré qu’il faut un minimum de 50 mètres entre les puits et les latrines, si ces dernières sont construites pour dix ans, sinon 100 mètres si elles vont au-delà.

Il convient par ailleurs, de réglementer ou interdire les activités polluantes (polluant chimique, bactériologique industriel etc.) autour des barrages de captage et faire des enquêtes pour évaluer le niveau de connaissance des risques liés à la consommation de l’eau non potable des consommateurs.
Au plan collectif, nous recommandons de mettre en place dans chaque secteur de la ville, des bacs pour les ordures qui ne seront plus drainées par les principaux canaux à ciel ouvert traversant la ville et contaminant plus ou moins les nappes. Nous préconisons des travaux d’assainissement collectif dans le respect des normes internationales en vigueur pour protéger les zones non polluées. C’est onéreux mais ce n’est pas impossible pour le bien-être des collectivités. Une législation pourrait réglementer le suivi systématique de la qualité de l’eau en zone urbaine et périurbaine.

S. : Y a-t-il un système d’alerte ou d’information qui puisse permettre à la population de prendre connaissance des dangers auxquels elle s’expose par la consommation de l’eau des nappes polluées ?

S.Y. : Nous avons six bulletins d’alerte rapide qui donnent des informations à la population sur la pollution et la vulnérabilité des eaux souterraines. Les bulletins présentent la qualité minéralogique de chaque site (puits, forage, rejets industriels ou domestiques). Des paramètres chimiques ont été dosés, en l’occurrence le calcium, le magnésium, le potassium, etc. Et après six mois de suivi, nous élaborons un bulletin donnant les résultats et indiquant les sites qui présentent des problèmes de qualité. Les bulletins de format A4 sont disponibles à mon niveau et toute personne qui en a besoin, peut me contacter.

S. : Quelles sont les principales difficultés auxquels vous avez été confrontés pendant les travaux ?

S.Y. : Nous avons rencontré des difficultés surtout pendant les prélèvements de l’eau dans les puits. Nous avons été reçus dans certaine famille, à bras ouverts. D’autres se sont opposées catégoriquement au prélèvement parce qu’ils ne voulaient pas connaître la qualité de l’eau qu’ils consomment. Nous n’insistons pas dans ces cas de figure. Nous avons fait du porte-à-porte pour remplir les fiches d’enquête et avons pu ainsi répertorier les 1 800 puits. J’étais l’initiatrice et deux personnes m’ont assistée. Ça n’a pas été facile, nous avons fait du porte-à-porte. L’assemblage des données existantes n’a pas non plus été facile. On n’a pas eu beaucoup de données sur les nitrates dans les structures en charge de la gestion de l’eau. Et c’était un casse-tête chinois pour les retrouver.

S. : Quel est l’apport scientifique de cette étude pour le Burkina Faso ?

S.Y. : Cette étude est une première au Burkina Faso. L’ébauche de la carte de vulnérabilité de la nappe profonde et la répartition spatiale des nitrates sont des apports scientifiques de haut niveau car elle n’existaient pas. 2008 a été déclarée par les Nations unies comme l’année de l’assainissement et j’espère que ce travail va contribuer au Burkina Faso à améliorer les conditions de vie des populations, surtout celles de la capitale et participer à l’atteinte d’un des objectifs du millénaire pour le développement de l’Afrique qui est de réduire d’ici à 2015, le pourcentage de la population qui n’a pas accès à un approvisionnement en eau potable ni à des services d’assainissement de base. L’étude aura alors été utile et ceci est mon vœu le plus cher.

S. : Peut-on extrapoler l’étude à d’autres villes du pays ayant des formations géologiques semblables à celles de Ouagadougou ?

S.Y. : Oui c’est possible, le Burkina Faso étant constitué de 80% de socle et de 20% de formations sédimentaires. Celles-ci s’étalent du Sud-Ouest en allant vers le Mali. Le reste est composé de socles granitiques très fracturés. L’étude pourrait donc se mener dans d’autres villes semi-urbaines qui ont les mêmes problèmes d’eau et d’assainissement.

S. : Quel conseil donnez-vous aux consommateurs d’eau de puits ?

S.Y. : Avant de consommer l’eau de son puits, il faut au préalable, la soumettre à une analyse chimique pour connaître sa qualité chimique et bactériologique. S’il s’avère qu’elle est bonne pour la consommation humaine, alors il n’y a pas de problème à la consommer. Dans le cas contraire l’utiliser à d’autres fins : lessive, lavage de véhicules, etc.

Propos recueillis par Séraphine SOME (serasome@yahoo.fr)

Sidwaya

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