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Laits chinois à la mélamine : Deux chercheurs burkinabè lèvent l’équivoque

Publié le vendredi 10 octobre 2008 à 00h43min

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Les deux acteurs de l’article, Nicolas Barro et Marcel Daba Bengaly (de gauche à droite).

Au moment où le scandale du lait contaminé en Chine défraie la chronique et crée une psychose mondiale nous avons reçu cet écrit de deux spécialistes de l’Université de Ouagadougou, Nicolas Barro, biochimiste et chercheur en alimentation et santé des populations et Marcel Daba Bengaly, chercheur en nutrition et santé. Leur article très riche, lève l’équivoque et fait la différence entre la mélamine (pigment de la peau) et la mélamine, substance mise en cause.

Le scandale du lait contaminé en Chine continue de prendre une ampleur internationale qui soulève une série de questions sur ce « le lait de la mort » qui a créé une psychose mondiale. Deux spécialistes du CRSBAN du Pr. Alfred Traoré de l’Université de Ouagadougou nous apportent des éclaircissements sur ce scandale sans précédent et préjudiciable à la santé publique. Il s’agit du Dr Marcel Daba Bengaly, chercheur en nutrition et santé et du Pr. Nicolas Barro, Biochimiste et chercheur en alimentation et santé des populations. Depuis un certain temps, les laits et produits laitiers d’origine chinoise sont réputés être dangereux pour la santé humaine, notamment chez les bébés qui ont pour principal aliment, le lait.

En effet, des dizaines de milliers de bébés chinois sont malades pour avoir bu du lait frelaté, et quelques-uns en sont morts. Cette situation est due à l’ajout frauduleux d’un adjuvent qui est un composé chimique appelé la mélamine. Dans la psychose générale créée par ce scandale, beaucoup de confusions sont faites ; on entend souvent parler de lait contaminé à la mélanine (pigment de la peau) et certaines rumeurs font cas de menace pour les bébés noirs. Il n’en est rien. Pour lever toute équivoque, il nous semble opportun de faire d’abord la différence entre la mélanine pigment biologique et la mélamine, substance impliquée dans l’intoxication des bébés chinois.

La mélanine : N comme molécule naturelle

La mélanine ou plutôt les mélanines sont des molécules normales de l’organisme humain, dérivées des acides aminés (tyrosine et cystéine) que nous obtenons par la digestion des protéines. Ce sont des pigments responsables de la coloration de la peau, des cheveux et poils, de l’épithélium de l’iris, etc. Il existe deux principaux types de mélanine comportant chacun deux sous-groupes, et un type mineur moins connu : l’eumélanine (noire ou brune), la phaéomélanine (rouge ou jaune) et la neuromélanine. Ces molécules assurent une protection de l’organisme contre l’agression par certaines radiations nocives du soleil (rayon UV) et de l’environnement. La mélanine est donc une molécule naturelle très utile à l’Homme. C’est du reste son absence qui explique la fragilité des albinos face au soleil. A ne pas confondre avec la mélamine.

La mélamine : M comme mauvaise en alimentation

La mélamine ou le Formaldéhyde de mélamine (FM) fait partie de la grande famille des résines aminées dérivées de l’urée, de la thio-urée et des cyanamides. La mélamine, de nom chimique 1,3,5-Triazine-2,4,6-triamine, est parfois dénommée cyanuramide ou cyanurotriamine. La formule chimique brute de cette molécule de couleur blanche est C3H6N6 : elle renferme donc beaucoup d’azote (N) qui est un atome utilisé dans le dosage des protéines. Malgré sa richesse en azote, cette molécule n’est ni un acide aminé, ni un nutriment. Elle est plutôt utilisée dans la fabrication de certaines colles, du formica, des ustensiles de cuisine en plastique, etc.

En alimentation, la mélamine utilisée comme source d’azote non protéique ou Non-Protein Nitrogen (NPN) a été indexée dans la mort de certains animaux (chats, chiens, veaux…) aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique. En effet, la mélamine et l’acide cyanurique (qui est un sous-produit métabolique de la mélamine) peuvent réagir dans certaines conditions pour former des cristaux de cyanurate de mélamine qui bloquent les fonctions rénales. Ainsi, lorsque les fonctions assignées aux reins ne peuvent plus être effectuées, la mort de l’individu peut survenir par endo-intoxication. C’est au regard de cette toxicité potentielle que la mélamine fut déclarée comme adjuvent alimentaire illégal par plusieurs gouvernements dont celui de la Chine en avril 2007.

Toutefois, il est important de noter que la mélamine n’est pas considérer comme hautement toxique si elle est ingérée à faible dose. Il n’y a donc pas lieu de la considérée comme un poisson virulent et fuir tous les produits laitiers par peur d’être "foudroyé" par cette molécule. A ce propos, il faut souligner que les enfants chinois intoxiqués auraient consommé le lait frelaté pendant 3 mois avant l’apparition des symptômes. Qu’est-ce qui peut donc bien justifier ces morts à la mélamine malgré son interdiction comme adjuvent alimentaire ?

Une explication plausible : la mélamine cache le lait coupé d’eau

Selon les experts de l’OMS et de grandes firmes agroalimentaires, les distributeurs auraient coupé le lait avec de l’eau (à hauteur de 30 %) et ajouté de la mélamine pour que le mélange passe positivement les tests de richesse en protéines. Une autre hypothèse (qui n’exclut pas la première) serait que les laits, du fait d’une alimentation de mauvaise qualité des vaches, avaient des taux en protéines très bas pour être acceptés dans l’alimentation infantile. Il faut noter que les laits destinés à la consommation humaine doivent avoir une teneur minimale en protéines qui est généralement déterminée par la méthode de Kjeldahl.

La détection est possible dans nos laboratoires

Les protéines étant des chaînes d’acides aminés contenant des atomes d’azote, la méthode de Kjeldahl consiste à mesurer la quantité d’azote dans un échantillon pour ensuite déduire la concentration en protéines. La molécule de mélamine (C3H6N6) contenant 6 atomes d’azote, on comprend bien que lors des contrôles, on mesure la quantité de composés azotés (protéines + mélamine) du “lait mélaminé”. On obtient donc une teneur en protéines erronée et surévaluée.
En bref, l’adjonction de ce composé chimique a pour effet de donner l’illusion, lors des contrôles, que le lait contient plus de protéines qu’il n’en contient en réalité. Pour détecter la mélamine, on utilise des techniques plus élaborées (mais aussi plus coûteuses), la chromatographie en phase gazeuse ou la chromatographie liquide à haute pression.
La dernière née des méthodes de détection de la mélamine est le Kit Abraxis utilisant la technique Elisa (Enzyme Linked Immunosorbent Assay) qui repose sur la spécificité de reconnaissance d’antigènes par des anticorps. Nous pouvons rassurer la population que ces techniques (équipements et compétences) sont disponibles dans plusieurs laboratoires au Burkina, notamment au CRSBAN. Que faire face à ce scandale mondiale ?

Ne pas céder à la panique

De toute évidence, la pire des choses à faire serait de rentrer dans cette psychose qui a traversé depuis un certain temps, les frontières de la Chine pour s’internationaliser. Il serait par exemple très hasardeux de changer dans la panique, l’alimentation des nourrissons.
A ce titre, L’OMS et la FAO ont signalé que le remplacement des préparations en poudre pour nourrissons par d’autres produits tels que le lait condensé, le lait additionné de miel ou le lait frais n’était pas valable car ces produits compromettent la santé et l’état nutritionnel des nourrissons, qui sont particulièrement vulnérables.

Le gouvernement burkinabè ayant interdit l’importation des laits et produits laitiers chinois, il est important que les consommateurs burkinabè retrouvent confiance. Ce scandale sera certainement une occasion de renforcer les systèmes de contrôle des aliments et de surveillance des maladies d’origine alimentaire comme le recommandent l’OMS et la FAO.

C’est enfin, l’occasion de redire que l’allaitement exclusif au sein est la meilleure façon d’alimenter les nourrissons pendant les six premiers mois. On oublie souvent de dire que chaque mammifère produit du lait adapté aux conditions de vie et au bon développement de son petit en fonction des paramètres environnementaux (climat, milieu de vie, saison etc.) ; le lait de vache ne saurait donc être meilleur au lait maternel.

Pr Nicolas BARRO et Pr Marcel Daba BENGALY

Sidwaya

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