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Dr Ismaël Thiam, Conseiller en Nutrition et Survie de l’Enfant à l’OOAS : “Les taux de malnutrition varient entre 20 et 40% dans l’espace CEDEAO”

Publié le mercredi 9 juillet 2008 à 10h23min

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L’Organisation Ouest africaine de la santé (OOAS) célèbre cette semaine, les 21 ans de la signature du protocole qui l’a portée sur les fonts baptismaux, sur le thème “Santé et nutrition pour un développement durable”. Quels enjeux et quel intérêt revêt-il ce thème ? Dans l’entretien qui suit, le Dr Ismaël Thiam, Conseiller en nutrition et survie de l’enfant nous éclaire là dessus. Le Dr Thiam est également membre de l’Institut royal de santé publique du Royaume Uni.

Sidwaya : L’Organisation Ouest africaine de la santé (OOAS) fête cette année le 21e anniversaire de la signature du protocole de sa création sous le thème “Nutrition et santé pour le développement”. Pourquoi le choix de ce thème ?

Ismaël Thiam (I.T.) : Le choix du thème est lié d’abord au fait que la nutrition est un domaine d’intervention prioritaire pour notre organisation et ensuite, c’est qu’on a tendance à négliger cette problématique dans les politiques et les programmes, malgré les avancées notables qu’on a en terme de recherches.

L’alimentation et la nutrition se trouvent par ailleurs, à la croisée des Objectifs du millénaire 1, 4 et 5, ce qui traduit toute leur importance et leur pertinence. La nutrition est ainsi, un axe, que nous essayons de positionner au cœur du développement. En tant qu’agence spécialisée de cet instrument de développement et d’intégration économique qu’est la CEDEAO (ndlr : Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), nous voulons porter à l’attention des décideurs, qu’un développement économique centré sur l’humain et durable est impossible sur un lit de morbidité et de mortalité, à l’image de la réalité de notre sous-région.

L’OOAS a ainsi dans sa mission, l’avantage comparatif d’harmoniser les politiques, d’encourager la mise en œuvre des meilleures expériences afin d’amener nos populations à des standards de santé acceptables. Enfin, il ne faut pas occulter le fait que la lutte contre la malnutrition nécessite la prise en compte de certains facteurs, notamment l’accès à l’eau et à l’assainissement, l’éducation, le développement des infrastructures, la bonne gouvernance. Bref, la nutrition doit sortir des sentiers battus, je veux dire, s’inscrire dans la multisectorialité et la transdisciplinarité. Pour aborder cette thématique, il faut élever le niveau du débat, c’est-à-dire s’inscrire dans une approche post-moderne de la santé publique, comme l’ont fait Baum, Contandriopoulos et Levy entre autres.

S : Justement, quelle est la situation de la nutrition dans l’espace CEDEAO ?

I.T : Elle est alarmante. La dernière publication dans le Lancet montre des taux de malnutrition chronique variant entre 20 et 40% dans les pays de la CEDEAO. Les carences en vitamines et minéraux peuvent coûter jusqu’à 2% du PIB (ndlr : Produit intérieur brut) dans certains pays, sans tenir compte des taux de prévalence élevés de certains pays. Les dégâts causés par ces carences en VMD (ndlr : vitamines et minéraux), regroupent la carence en vitamine A (en fer et iode pour ce qui est de nos interventions). Ils font partie de la faim cachée qui tue de manière insidieuse ou crée des incapacités. Il faut souligner ici les baisses de performances scolaires, les hémorragies de la délivrance (pour l’anémie), les troubles visuels allant jusqu’à la cécité (pour la carence en vitamine A), le crétinisme, et bien d’autres troubles métaboliques de la thyroïde (pour la carence en iode). Il faut aussi signaler que la malnutrition est la cause de 2/3 des décès chez les enfants de moins de 5 ans souffrant de pneumonie, de diarrhée, de paludisme ou d’affections néonatales. Ce qui justifie nos efforts en matière de santé de la mère, du nouveau-né et du jeune enfant, en collaboration avec le projet de l’USAID (Africa 2010/USAID) dans certains pays. En 2006, le forum de nutrition de la CEDEAO s’est focalisé sur la sous et la surnutrition.

De plus en plus, on note une flambée insidieuse et gravissime des maladies chroniques liées à l’alimentation (diabète, maladies cardiovasculaires, hypertension). Les changements de comportements alimentaires sont un aspect du problème. Cependant, les difficultés, quant au choix d’une alimentation équilibrée posent un autre problème du fait de l’analphabétisme et de la pauvreté. Dans les dix prochaines années, ces maladies chroniques tueront plus que les maladies infectieuses y compris le VIH/SIDA, selon certaines estimations. Au demeurant, il n’ y a pas à désespérer s’il y a une volonté politique capable de mobiliser la biodiversité, avec les aliments de la filière traditionnelle, dont les valeurs biologiques sont connues pour apporter une solution à ce problème. L’OOAS travaille dans ce domaine avec Bioversity International et la FAO.

Sans pour autant, rêver, je suis conscient des réalités de la mondialisation comme des limites de nos politiques agricoles. Ces dernières devraient être développées et mises en œuvre afin de nous rendre moins dépendants des céréales importées. Par ailleurs, la flambée des prix des denrées alimentaires a provoqué au sein des populations des mécontentements et des manifestations de rue. Il y a donc urgence à prendre des mesures à caractère économique, vu leurs implications sur la consommation alimentaire, comme sur l’accès aux besoins humains de base.

S : Que fait donc l’OOAS dans le domaine de la nutrition ?

I.T. : L’OOAS intervient dans le domaine de la nutrition sur la base de ses avantages comparatifs centrés sur la prévention et l’atteinte des communautés, au nom du principe d’équité. Ces interventions ciblent directement la nutrition, mais aussi ses causes immédiates et sous-jacentes. Nous avons par ailleurs l’avantage, contrairement à d’autres organisations, d’être plus flexible. Nous intervenons à travers le plaidoyer auprès de décideurs, des chefs d’Etat, comme des partenaires pour la mise en œuvre d’interventions qui rentrent dans nos principes opérationnels. Nous intervenons à travers un partenariat formel, sur la base de protocoles d’accords, afin de nous assurer mutuellement que les préoccupations de nos populations sont prises en compte pour ce qui est de la lutte contre la malnutrition protéino-énergétique et les carences en vitamines et minéraux, de même que leurs déterminants.

Tous les deux ans, un forum de nutrition de la CEDEAO se tient pour passer en revue la situation nutritionnelle de la sous-région, faire des échanges d’expériences sur les bonnes pratiques et aborder un thème d’actualité. Cette année, le thème retenu est focalisé sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Nous avons fait des progrès significatifs sur la fortification des aliments en vitamines et minéraux (iode, vitamine A, fer, acide folique), qui a été facilitée par l’adoption d’une résolution de l’Assemblée des ministres de la Santé à Abuja en 2007. L’OOAS coordonne l’Alliance pour la fortification en Afrique de l’Ouest à cet effet.

Le programme régional de fortification est en cours de mise en œuvre avec la Commission de l’UEMOA (ndlr : Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest), mais va s’étendre aux pays de la CEDEAO, grâce à un financement USAID par le biais de notre partenaire Hellen Keller International. Avec le CILSS (ndlr : Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel), nous avons entamé une collaboration qui, à terme, devrait permettre de juguler les situations d’urgence grâce à un système d’information intégrant la nutrition et la sécurité alimentaire. Enfin, l’OOAS appuie de par son mandat, toutes les interventions nutritionnelles qui s’inscrivent dans le cycle de la vie. C’est dans cette perspective que nous nous félicitons, de travailler avec Africa 2010, tant en nutrition, mais également sur la santé maternelle, du nouveau-né et de l’enfant.

S : En dehors de la nutrition, quels sont les autres axes prioritaires d’intervention de l’OOAS ?

I.T : Je vais m’appesantir sur les progrès menés en matière de réduction de la mortalité maternelle, la médecine traditionnelle, et la prévention de la cécité. L’OOAS a montré ses capacités en matière de développement, de renforcement et d’harmonisation de pas mal d’aspects relatifs aux ressources humaines en santé, dans la sous région. L’utilisation des Technologies de l’information et de la communication (TIC) est une réussite, notamment dans le cadre de la prévention de la cécité, de la nutrition. De manière concrète, tous les chargés de programmes de nutrition et de prévention de la cécité des pays de la CEDEAO ont reçu des équipements appropriés à cet effet, en plus du renforcement de leurs capacités. Des programmes sur le paludisme, le contrôle des épidémies, la santé de la reproduction sont par ailleurs, en cours de mise en œuvre.

S : En quoi la malnutrition compromet-elle le développement ?

I.T : L’alimentation et la nutrition sont des “biens et des services”. Elles doivent être analysées à la lumière des lois d’Ernest Engel, en ce sens que les dépenses alimentaires sont en rapport avec les effets, prix revenus et avec les comportements. L’accroissement des revenus influe sur les dépenses alimentaires tant du point de vue quantitatif que qualitatif, de manière absolue comme relative. En conséquence, la résolution des problèmes de nutrition ne relève pas du secteur de la santé uniquement. C’est fondamentalement par des mesures économiques qu’on peut les résoudre. La deuxième chose, du point de vue macro économique, c’est que lorsqu’un Etat veut accroître ses richesses, il faut entre autres, agir sur le levier de la productivité.
La fonction de productivité, de prime abord est liée aux investissements en termes de capitaux, or cette relation a la contrainte de ce que les anglo-saxons appellent “productivity possibilty, frontier”. Les investissements en alimentation et nutrition peuvent contribuer à lever cet obstacle, dans le cadre de la prise en compte du capital social, et du capital humain, visant à réduire la charge de morbidité et de mortalité, pour améliorer l’accès aux services sociaux de base en prenant en compte la dimension genre. Le Consensus de Prix Nobel d’économie de 2008, (Copenhaguen Consensus) a fait ressortir que les interventions en nutrition devraient être prioritaires dans l’Agenda Global.

Des études d’estimation de coûts de non investissements, dans la nutrition, ont été également menées dans le cadre du développement de l’outil, de plaidoyer PROFILES, par au moins 13 pays de la CEDEAO, montrant les coûts monétaires de la malnutrition et des carences en vitamines et minéraux. Par ailleurs, les derniers rapports du PNUD, l’indice de pauvreté humaine N° 1 qui est l’indice de pauvreté des pays en voie de développement, associant l’insuffisance pondérale, l’accès à l’eau et l’accès à l’éducation, renvoient les pays de la CEDEAO dans les pires positions, en terme de classification, entre 2005 et 2007. En d’autres termes, résoudre la malnutrition, ses causes et ses conséquences relève d’un argumentaire fondamentalement économique. Cela est le défi non exclusif des nutritionnistes.
Le fond du débat doit s’articuler sur les choix de modèles de développement socio-économique (avantages comparatifs de Ricardo, modèle libéral humainement et socialement protecteur, protectionnisme). Tout cela renvoie à des choix d’intérêts.

Propos recueillis par Frédéric OUEDRAOGO

Sidwaya

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