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Vente illicite de manuels scolaires : Les enseignants épinglés racontent

Publié le mardi 12 février 2008 à 09h52min

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Agniamou Sougué et Mamadou Zouon étaient des enseignants du ministère de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation. Ils sont désormais au chômage. Leur ministère de tutelle a demandé et obtenu du conseil des ministres, leur révocation de la Fonction publique avec poursuites judiciaires.

Motif : ils ont reconnu eux-mêmes avoir vendu illicitement des livres de l’Etat. Le gouvernement a donc placé la barre haut, très haut même dans la sanction comme s’il voulait rappeler que force doit toujours rester à la loi et à l’autorité. Mais l’acte posé et l’avertissement martelé si fort ne sont-ils pas disproportionnés ?

30 octobre 2007. Jour ordinaire de rentrée scolaire à l’école primaire publique de Sissa. Un village situé à quelque 80 km de Bobo-Dioulasso dans la province du Houet. Agniamou Sougué, âgé de quelque 36 ans, assis à même le plancher à l’arrière d’une « peugeot bâchée » arrive à « son » école. C’était un matin. Deux gendarmes de la brigade territoriale de Bobo-Dioulasso, puissamment armés de fusils d’assaut, l’ont pris en sandwich pour l’y ramener. Agniamou Sougué était le directeur de l’école de Sissa. Instituteur principal, il était « le maître des élèves de CM1 ». Momentanément libéré des serres des gendarmes, Sougué descend de la « bâchée » et met pied à terre. Pris de peur, les enseignants arrêtent les cours. Les enfants en profitent pour bavarder bruyamment. Sougué et son escorte se dirigent vers le magasin de l’école dont ils procèdent à l’inventaire. Les instituteurs sortent des classes, les élèves aussi. Et c’est à cet instant précis qu’ils viennent de reconnaître « le directeur de l’école ».

L’image est forte et humainement touchante dans la méthode et la pratique : comme de petits oiseaux blessés, les enfants se sont recroquevillés d’abord par petits groupes pour observer les « visiteurs » avant de prendre inconsciemment leur distance des lieux. Les enseignants avaient les larmes aux yeux. Informés probablement par les enfants, les « vieux » du village sont sortis des concessions et se sont mis à une distance raisonnable pour observer la perquisition du magasin de l’école par les deux gendarmes qui en repartiront d’ailleurs quelques instants après, toujours raccompagnés de Agniamou Sougué.

Les personnes interviewées à Sissa ont suggéré que les gendarmes auraient pu arriver dans le village en toute discrétion et en tenue civile en prenant bien sûr, soin de mettre le directeur de l’école à bord de la cabine chauffeur. Amidou Ouédraogo, membre du bureau de l’Association des parents d’élèves (APE) de Sissa qui a confirmé être informé de l’arrivée des gendarmes à l’école par son enfant, a déclaré déplorer le « mauvais traitement » réservé au maître de CM1. L’inspecteur de l’enseignement de base, Ernest Kini, par ailleurs chef administratif direct de Sougué qui avait surpris ce même 30 octobre, les gendarmes sur le chemin du retour, les avait sommés de mettre l’instituteur à l’abri des regards malicieux. Ses vœux n’ont pas été exaucés !

Quant aux enseignants, cette visite-surprise des gendarmes est perçue comme une humiliation sociale pour eux. Elle semble bien enfouie désormais dans le recoin de leur conscience professionnelle. Selon Pelagie Ouattara Ky, maîtresse de la classe de CP1, cette perquisition est un « déshonneur » pour leur école. « La spécificité d’une école, justifiera l’enseignante, réside en ce qu’elle est un milieu psychoéducatif pour les enfants ». Et elle ajoute, très apeurée, avec un air de sincérité : « Les vrombissements des voitures inhabituelles nous donnent la trouille à l’école parce que nous avons la forte impression que les gendarmes reviendraient nous auditionner à tout moment... J’ai eu très peur ce matin (NDLR : 21 janvier dernier) quand nous avons entendu le bruit du véhicule de Sidwaya ».

Agnimou Sougué n’enseigne plus

Agniamou Sougué a été affecté le 8 octobre 2007 à l’école de Sissa. A l’invitation de Ernest Kini, le chef hiérarchique de Sougué en poste dans le département de Satiri, le maître de CM1 se rend, le 10 octobre, dans cette ville pour entrer officiellement en possession de 699 manuels scolaires, supposés être la livraison de toute l’école de Sissa. Il appose, devant témoins, sa signature au bas du bon de sortie n°48212 du magasin de Satiri et il repart avec les 699 livres pour son école. Seulement voilà : Agniamou Sougué a intentionnellement gonflé les chiffres alors que la demande de son école, en réalité, en était numériquement bien moindre. Il a surévalué le nombre des manuels scolaires dans le dessein d’en soustraire le surplus et le mettre à la vente.

Le 11 octobre 2007, trois agents des renseignements généraux surprennent et prennent en flagrant délit le directeur de l’école de Sissa vendant publiquement ces mêmes livres scolaires devant l’esplanade de Ecobank à Bobo-Dioulasso. Il avait exactement alors 42 livres dans son sac de cuir. Confus, Agniamou Sougué se déclare « sans profession et débrouillard ». Pris au moment des faits, il n’avait curieusement sur lui qu’un certificat de nationalité ! Toutefois, les services de renseignements le dépossèdent des manuels et le relaxent provisoirement. La filature est aussitôt mise sur lui. Convoqué le 26 octobre par la brigade territoriale de gendarmerie de Bobo-Dioulasso, il y est gardé jusqu’au 5 novembre.

Le résultat des vérifications menées le 30 octobre dans le magasin de l’école par la gendarmerie en présence du directeur lui-même, confirme la soustraction frauduleuse de 46 livres de la dotation destinée à l’école. Mentalement sonné par la « traque » des limiers de la police judiciaire, Sougué déclare, pour brouiller les pistes, avoir remis 80 livres à la maîtresse de CP1. Pélagie Ouattara Ky a reconnu, plus tard au tribunal, avoir pris possession de 50 livres pour sa classe et non 80. Le 5 novembre Agniamou Sougué est reçu en entre vue par le substitut du procureur du Faso. A l’issue de ce bref entretien courtois, le directeur est autorisé à regagner son poste à Sissa. Le 13 novembre, il est entendu en audience publique pour la soustraction frauduleuse et vente illicite des manuels scolaires de son écoles. Il en reconnaît les faits. Ils écope de 15 mois de prison avec sursis. Le 28 novembre, le conseil des ministres révoque Agniamou Sougué de la Fonction publique avec poursuites judiciaires. « J’étais en classe avec mes élèves, le jeudi 29 novembre quand des amis m’ont informé par SMS que j’ai été révoqué... », raconte l’ex-directeur de l’école de Sissa.

De la soixantaine d’élèves au CM1 placés sous la responsabilité pédagogique de Sougué, il n’en reste à présent, qu’une vingtaine. « Les gens ont dit que notre ancien maître est allé à Bobo-Dioulasso...Mais mon papa m’a dit aussi que le maître-là est un voleur », nous murmure Issao Ouédraogo, 11 ans, élève de Agniamou Sougé. Issa Zonou, le nouveau maître de CM1 soutient bien que le brusque départ de Agniamou Sougué et le changement rapide de maître ont perturbé les enfants. Issa Zonou a remplacé l’ex-directeur de l’école le 7 décembre 2007, « Les élèves regagnent progressivement la classe. Mais, moi-même j’en ai souffert..., avoue le nouvel instituteur. Chaque jour je vois le nom, la signature et la méthode pédagogique de Agniamou Sougué dans ses cahiers de préparation de cours. Ma mère m’a dit que le Burkina possède de nombreux enseignants et qu’elle ne comprend pas que le choix de l’Etat se soit porté sur ma personne pour l’école de Sissa. Elle a pleuré.... »

Quant à Agniamou Sougué, il avoue regretter son acte et demande « pardon ». « Je demande pardon au ministre de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation, aux parents d’élèves de Sissa et surtout à tous les enfants du Burkina parce que les livres sont leur propriété », se confesse, confus, l’ancien directeur de l’école.
L’école primaire publique de Sissa est le deuxième poste de Agniamou Sougué depuis qu’il a entamé sa jeune carrière d’enseignant en 2005. Il a servi auparavant à l’école de Karangasso Sambla jusqu’au 1er octobre 2007, date à laquelle il a passé le témoin à son collègue Drissa Dembélé. Dans le rapport de passation de service entre les deux instituteurs, il est reproché à Agniamou Sougé d’avoir fait dresser frauduleusement de nombreux procès verbaux de constat fictif du matériel et des fournitures scolaires de l’école sans en avoir fait au préalable l’inventaire physique.

Il est également suspecté d’avoir fait parallèlement « recruter » de nouveaux élèves, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes avec la complicité active du secrétaire général de l’APE du village. L’ex-enseignant a aussi filé à l’anglaise avec l’argent des cotisations des élèves des « classes intermédiaires » sans en délivrer reçus aux payeurs. La puce a été mise à l’oreille de son successeur d’abord par la clameur publique du village et ensuite par les élèves grugés. Le 22 octobre dernier, les enfants ont séquestré le maître et réclamé bruyamment leurs reçus de paiement. A Karangasso, bien des personnes gardent un mauvais souvenir du passage de Sougué. Agniamou Sougué était donc un autre personnage dans une autre vie. Il a une femme et un enfant. Heureusement qu’au moment où nous traçions ces lignes, et après vérification auprès des services de la Direction de la solde et de l’ordonnancement (DSO), il n’y a pas encore eu de suspension conservatoire de son salaire.

De Agniamou Sougué à Mamoudou Zouon

Mamoudou Zouon ! C’est le nom d’un autre enseignant mêlé à une autre histoire de vente de livres scolaires ! Après la révocation de Agniamou Sougué, Mamoudou Zouon est le deuxième éducateur à être radié du personnel du ministère de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation (MEBA). Le conseil des ministres l’a révoqué le 9 janvier dernier de la Fonction publique. Mamoudou Zouon était un conseiller pédagogique. Il était en poste à la circonscription de l’éducation de base (CEB) de Kourouma, un département situé à quelque 100 km de Orodara dans la province du Kénédougou. Au terme d’une vie d’excès, Zouon a été ruiné et criblé de dettes. Il va accumuler les fautes. Curieusement, quand les livres sont arrivés le 14 septembre 2007 à Kourouma, il se trouvait que c’est Mamoudou Zouon qui assurait l’intérim à la CEB. L’inspecteur Lamoussa Do Sanou, le chef de la CEB, est déclaré « porté disparu ». Ayant été donc informé que les manuels de tout le département seront livrés le 14 septembre, Mamoudou Zouon, la veille, se fait intentionnellement porter absent avec la complicité administrative de Séko Diarra, enseignant à l’école « Kourouma A ».

Avant d’aller se prélasser à Bobo-Dioulasso sans autorisation d’absence, il désigne verbalement Séko Diarra pour assurer « les affaires courantes ». Le 14 septembre, Kourouma reçoit officiellement 5 173 livres dont la livraison est notifiée effectivement par le bon de sortie n°10 261 de la Direction de l’allocation des moyens spécifiques aux élèves (DAMSE) du ministère. Ces livres ont été réceptionnés et emmagasinés à la CEB qui devait ensuite les distribuer à toutes les écoles des villages du département.

Au bas du bon de sortie, l’enseignant Séko Diarra a apposé sa signature. Celle du gestionnaire des manuels scolaires de la CEB n’y figure pas. C’est plutôt Bakari Traoré, le président de l’Association des parents d’élèves (APE) de Kourouma qui porte sa signature sur le document, à côté d’une autre, matérialisée par une certaine Fatimata Kabré Ouédraogo dont la fonction n’a pas été précisée. Séko Diarra en informe Zouon par téléphone, toujours resté à Bobo-Dioulasso. L’enseignant de l’école de « Kourouma A » garde ensuite les documents par devers lui. Il n’en rend pas compte à l’inspecteur Lamoussa Do Sanou qui, lui aussi, il est vrai, ne s’en préoccupe guère.

Le 15 septembre, Zouon regagne Kourouma. Le même jour et dans la même nuit, il entre précipitamment en possession du bon de sortie entre les mains de son collègue sans même se donner au préalable la peine de vérifier, en présence de Séko Diarra, le nombre de livres reçu et entreposés au magasin. Non seulement Mamadou Zouon ne transmet pas les bordereaux de livraison des manuels scolaires à son chef hiérarchique mais il ne lui fera jamais non plus l’état d’exécution de cette livraison départementale. Le chef de la circonscription, lui aussi, n’exige pas non plus à son agent un éclairage approprié de l’arrivée et du dispatching des livres. La confusion est toute créée.

En réalité, Zouon n’a jamais été en odeur de sainteté auprès de Lamoussa Do Sanou. Le 1er octobre, le conseiller pédagogique rend visite à Gaoussou Traoré, un commerçant libraire de la ville de Kourouma. Il lui fait part de son intention calculée de lui proposer de faire mettre à la vente les livres du ministère. Le libraire acquiesce. Zouon lui reste d’ailleurs redevable, de par le passé de 75 000 F CFA. Avant de prendre congé de son « complice passif », Zouon le supplie de lui prêter 1000 F CFA pour s’acheter des bâtonnets de cigarettes. Marché conclu ! Le 14 octobre, le conseiller pédagogique opère des surcharges sur les bordereaux de livraison des manuels. Le 15 octobre, Zouon soustrait frauduleusement 237 livres du magasin. Entre-temps une certaine quantité de livres est parvenue aux rayons de la librairie de Traoré. Le 28 octobre, Zouon exige déjà une « avance de la vente pour se rendre à Bobo-Dioulasso ». Un livre est vendu à 1200 F CFA. Excédé par la forte demande de Zouon, le commerçant entre en courroux. Un client impertinent était dans les rayons de la librairie.

Le 29 octobre, le pot-aux-roses était le centre d’intérêt des commérages dans la clameur des cabarets et des cercles d’amis dans toute la ville. C’est alors que, pris de panique, l’inspecteur Lamoussa Do Sanou essaye de prendre langue avec le gestionnaire des manuels et l’enseignant Séko Diarra pour s’enquérir de l’état de la livraison des manuels. Mais c’était déjà trop tard : les livres étaient sortis du magasin et mis sur la place du marché depuis une semaine.

Informée de cette vente illicite, la brigade de gendarmerie de N’Dorola effectue le 13 novembre un contrôle inopiné dans la librairie : 44 livres du ministère y sont saisis mais une dizaine avaient été déjà vendus ! Pris et interpellé, le commerçant Gaoussou Traoré est gardé à la gendarmerie. C’est lui qui déclarera avoir reçu ces livres des mains de Mamadou Zouon. Le même 13 novembre, une convocation est libellée au nom du conseiller pédagogique. Le 14 novembre, la gendarmerie perquisitionne le magasin de la CEB en présence des sieurs Mamoudou Zouon et Gaoussou Traoré : 237 livres manquent effectivement de la livraison.

Zouon se met alors à bégayer. Sur-le-champ il déclare reconnaître avoir soustrait de la dotation, 86 livres au lieu de 237. Trop tard ! Le 15 novembre, la gendarmerie ouvre une procédure judiciaire et transmet son rapport d’investigation au procureur du Faso de Bobo-Dioulasso. Le 15 décembre, Zouon et Traoré sont cités à comparaître en audience pour s’être reconnus coupables de soustraction frauduleuse et vente illicite des manuels scolaires. Les deux écopent de 6 mois de prison avec sursis avec 100 000 F CFA d’amende pour le conseiller pédagogique seulement. Le 9 janvier 2008, le conseil des ministres révoquait Mamoudou Zouon de la Fonction publique avec poursuites judiciaires.

Zouon est enseignant-éducateur depuis octobre 1986. Il a une femme et cinq enfants. Au moment où nous traçions ces lignes, et selon les services techniques de la Direction de la solde et de l’ordonnancement (DSO) à Ouagadougou, la suspension conservatoire de son salaire n’a pas encore été heureusement engagée. Mais Zouon est un endetté chronique. Alors qu’il est débiteur dans « sa » banque, il contracte en mai 2006, un crédit de deux ans (qui court jusqu’en en avril 2009) dans une institution financière peu respectueuse de l’orthodoxie banquaire. Son nom est également ressorti, le 8 février dernier sur le fichier d’une société d’équipement de la place. Il y a pris du bien matériel qu’il a ensuite bradé aux chasseurs de primes.

Zouon a mis à la vente aux enchères tous ses biens électroménagers pour espérer éponger ses dettes encombrantes. Mais rien n’y fait ! Il avait fait la ferme promesse aux usuriers à Bobo-Dioulasso de rembourser son « crédit » (environ 200 000 F CFA) avec les recettes de la vente des livres. Mal lui en prit ! Entre-temps, alors que Mamadou Zouon était dans les mailles de la gendarmerie, l’inspecteur Lamoussa Do Sanou reçoit, le 26 septembre, une note d’affection pour la direction provinciale de l’Enseignement à Orodara. Depuis cette date, il sera « sans service fixe » jusqu’au 9 novembre (quelque deux mois de flottement administratif), date à laquelle il passe service à Adama Kaboré qui, ayant été installé dans un climat de suspicion générale, s’est refusé aussitôt à s’imprégner du « dossier des livres de Kourouma ». Adama Kaboré est le nouveau chef de la circonscription d’éducation de base de Kourouma.

Idrissa NOGO
idrissanogo@yahoo.fr

Sidwaya

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