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Meurtre d’un cambiste à Ouaga : Après le "deuil", les affaires reprennent

Publié le mercredi 16 janvier 2008 à 11h07min

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Marina Market sis en face de Ciné Burkina de Ouagadougou. Il est 10 h 30. Le parking récemment aménagé est inondé de véhicules qui arrivent à un rythme soutenu.

Sous le hangar où sont parqués ceux des responsables de l’alimentation, deux policiers assurent discrètement la sécurité des lieux. Le mouvement des clients est d’ordinaire. A l’intérieur, le patron, Monzer Restom, est débout, les bras croisés, le regard braqué sur les clients qui donnent leurs achats à comptabiliser pour le paiement.

Notre équipe de reportage s’approche de lui pour lui expliquer l’objet de notre visite. Il écoute attentivement, nous demande de patienter et fait quelques va-et-vient pour s’entretenir avec une caissière, une belle blonde, avant de se mettre à notre disposition.

Nous n’aurons pas le temps de poser de question ni de tendre notre dictaphone qui était déjà prêt pour l’enregistrement de ses propos. Monzer Restom ne semble pas disposé à s’exprimer. "Il n’y a aucun problème. La fermeture était nécessaire, car il fallait compatir au deuil. Pour le reste, allez voir mon directeur, M. Philippe, à la direction générale de Marina" , lance-t-il. Notre photographe veut faire des photos, il s’y oppose gentiment.

L’affaire des Kundé est encore fraîche dans les esprits

Si l’employeur ne veut pas lâcher un mot, inutile d’échanger avec les employés. Nous nous interressons donc aux clients. Eux sont au moins libres de tout marquage pour emprunter au jargon footballistique, et peuvent se prononcer sans réserve. Tous sont unanimes : la fermeture des établissements libanais a été durement vécue.

Alassane Sanga est le responsable de l’approvisionnement de l’hôtel Mercure Silmandé. "Ces moments, dit-il, ont été très difficiles pour nous puisque tous les jours nous devons nous ravitailler soit ici soit à la SCIMAS. Heureusement que cela avait été fait le samedi matin avant 10 h". Que ferait alors les hôteliers si la fermeture perdurait ? "Ça ne serait pas facile. Nous serons obligés d’utiliser les produits locaux qui ne seront certainement pas du goût de la clientèle", répond-il.

Devant les commerces du Groupe SCIMAS, l’ambiance est également celle de tous les jours. Les véhicules klaxonnent bruyamment pour se frayer difficilement un passage. Mêlés aux taximens qui sont nombreux à emprunter cette artère, ça donne une circulation monstre.

A l’entrée de l’alimentation, le vigile du jour appuyé d’un policier assis sur un banc montent la garde. Les employés, habillés en blouse verte, vaquent à leurs occupations.

Théodore Sedogo, vendeur à SCIMAS, qui a dans un premier temps refusé tout commentaire, soutient avoir eu peur car, il se souvient encore du vandalisme dont ont été victimes les bars Kundé en 2006. "Je suis resté chez moi dans l’espoir que le pire n’arrivera pas. Mes vœux ont été exaucés puisque le danger a été écarté. Nous souhaitons que l’affaire soit vite jugée et que justice soit rendue".

Les Libanais rencontrés se démarquent de cet acte abominable commis par leur compatriote et le condamnent avec la plus grande fermeté. Mieux, un responsable de SCIMAS, qui a requis l’anonymat, demande aux autorités burkinabè de prendre des mesures pour que les Syro-Libanais "qui sont sans papier" soient refoulés hors du territoire. "Cela fait 46 ans que je suis au Burkina et je n’ai jamais eu de problème. Il y a beaucoup de nos compatriotes qui sillonnent les pays de la sous-région sans papier et posent des actes répréhensibles. Ce sont eux les voleurs et les fraudeurs. Il faut les expulser", dit-il, amer.

Entre deux phrases, il répond à une salutation et bavarde en mooré avec une connaissance venue lui rendre visite ou pour des affaires. Visiblement, il est bien intégré dans la communauté burkinabè, celui-là.

Pouvait-il en être autrement après plus de quatre décennies passées dans notre pays connu pour son hospitalité légendaire ?

Avant de le quitter, il insiste pour que son nom ne figure pas dans notre canard, car "je ne veux pas d’ennui". "Il y a des Libanais dangereux qui pensent que s’ils tuent un être humain, ils vont directement au paradis", soutient-il avec force.

Dans le petit marché de fruits et légumes, les femmes ont vu leur activité fonctionner au ralenti durant la fermeture des sociétés libanaises. "Lorsque les policiers sont arrivés dans la zone, la peur s’est installée. Nous avons pensé à un pillage en perspective et nous avons sorti à moitié nos marchandises", indique Mme Belemtougouri.

Pour le meurtre commis sur Idrissa Ouédraogo dit Daouda, elle comprend la colère sourde des parents et amis de la victime. "Je me mets à leur place et à la place d’une mère qui a perdu cruellement son enfant à cet âge. Mais les Libanais sont nos voisins et quand un voisin a un problème, on le partage forcément. Encore qu’ici, il n’est pas indiqué que ce sont eux les coupables". Si Mme Belemtougouri dit avoir perdu sa clientèle pendant ces 72 heures, tel n’est pas le cas pour les vendeuses ambulantes.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres

"La fermeture nous a rendues énormément service. Nous sommes interdites de vente devant l’alimentation alors que nos clients sont ici. Le jour où les Libanais n’ouvrent pas, nos affaires marchent", clame tristement puis fièrement une jeune demoiselle, un petit panier en main contenant des fruits. Comme quoi, le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Après SCIMAS, cap sur "Burkina Pas Cher", un centre commercial libanais connu pour son slogan "Tout à 1000 F". Ici, pas de policier. Le vigile Salifou Sawadogo seul semble suffir.

Comme d’habiutde, la circulation est infernale dans cette zone. Les jeunes du secteur informel envahissent la voie et assaillent littéralement les passants avec des objets divers : sac à main, ceintures, produits de beauté, habits, etc. Il y a véritablement du tout en cet endroit réputé également comme un repaire de petits délinquants qui dépossèdent discrètement les femmes surtout de leurs biens.

La plupart d’entre eux semblent nourrir une haine viscérale vis-à-vis des Libanais. "S’il y avait eu pillage, je serai le premier à casser Burkina Pas Cher", clame haut et fort un jeune, assis devant son étalage de portables et d’accessoires. Pourtant Roda Zasad, employé libanais à "Tout à 1000 FCFA", a de l’admiration pour les Burkinabè. "Ce sont des gens bien. Durant les trois jours de fermeture, je suis resté chez moi. Mais depuis la réouverture, je circule librement et personne ne m’a menacé ni n’a eu un regard dédaigneux à mon égard".

Même son de cloche chez Chamali Salah, le caissier de la Société de Papeterie Africaine (SPA). "J’ai fait le tour de plusieurs endroits ce matin et je n’ai eu aucun problème. Cela fait 50 ans que je vis en Afrique dont 42 ans en Côte d’Ivoire.

A Abidjan, la plupart de mes clients étaient des Burkinabè. Je côtoie ce peuple très chaleureux depuis des années. Si c’était au Zaïre, (actuellement République démocratique du Congo) que ce meurtre avait eu lieu, ce serait un drame pour la communauté libanaise. Au pays d’Houphouët-Boigny, j’ai été attaqué huit fois..."

De façon générale, c’est la sérénité qui règne chez les Syro-Libanais après ces trois jours de "deuil" et de mesure de précaution. Cela a sans doute entraîné des dommages financiers. A combien peut-on évaluer les pertes quand on sait que le week-end est la période des bonnes affaires ? Les langues refusent de se délier pour avancer des chiffres. "C’est énorme", se contente-t-on de dire. Le préjudice subi ne concerne pas seulement les Libanais.

"C’est un peu péniblement que j’ai vécu la situation. Retard de livraison, baisse des chiffres d’affaires et de la qualité des prestations sont les désagréments que j’ai subis", indique Boubacar Sidiki Ouédraogo de Burotel, un établissement d’informatique et de bureautique.

Il soutient par ailleurs que les commerçants du pays du Cèdre sont des partenaires incontournables dans certains secteurs. "Alors, c’est l’économie nationale qui prendra un coup si on s’attaque à eux. Les gens doivent mesurer leurs actes et mettre l’intérêt national au-dessus de tout". La tempête semble donc passée après cette fermeture longue comme un jour sans chawarma.

Et les affaires ont repris de plus belle. Mais, prévient un médecin rencontré, "il ne faut surtout pas penser que le problème est résolu. C’est un calme apparent. Les gens en ont gros sur le cœur en ce qui concerne la communauté libanaise accusée à tort ou à raison d’être des corrupteurs et de bénéficier de beaucoup de faveurs de nos autorités. Donc, le jugement doit être bien rendu pour ne pas raviver la haine qui somnole dans le cœur des gens".

Adama Ouédraogo

Damiss

L’Observateur

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