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Santé : Les imams guinéens entrent en croisade contre le Sida

Publié le jeudi 9 août 2007 à 07h48min

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Hier encore sujet tabou, le Sida est depuis peu au centre des prêches dans les mosquées de Guinée. Les imams reconnaissent désormais publiquement l’existence de la maladie et travaillent main dans la main avec les associations spécialisées. Les leaders religieux considèrent cependant encore que le préservatif favorise la débauche et préconisent abstinence et fidélité.

Silencieux, les yeux rivés sur leur prédicateur, plusieurs centaines de fidèles de la mosquée de Matam centre, en banlieue de Conakry, la capitale guinéenne, écoutent, attentifs, le sermon de l’imam El Hadj Ibrahima Diané. Ce vendredi, jour de grande prière hebdomadaire pour les musulmans, celui-ci a choisi de parler du Sida. « Il est parmi nous.

Personne n’est à l’abri (...). Soyons fidèles à nos épouses et à nos époux. Refusons que nos enfants se livrent à la débauche, source de maladies comme le Sida qui est sans remède ». A la fin de son prêche, l’imam préconise l’abstinence, en particulier aux jeunes, jusqu’au mariage. Conseiller l’utilisation du préservatif serait, selon lui, encourager les fidèles à l’adultère, « le pire des péchés ».

Comme d’habitude après la prière, les commentaires vont bon train à la sortie de la mosquée. « Seule l’abstinence peut nous préserver du Sida. C’est une maladie qui ne prend que les infidèles ! », réagit N’bémba Kourouma, un sexagénaire. « Je m’abstiendrai jusqu’au mariage et je resterai ensuite fidèle à mon mari. C’est ce que demande ma religion », renchérit Fatoumata Bangoura, 18 ans. Sur une population totale estimée à environ 9 millions d’habitants, la Guinée compte quelque 85 % de musulmans. Les conseils des leaders et prédicateurs de cette religion ultra majoritaire sont donc très écoutés à travers le pays.

Le Sida tue aussi des imams

Sur le VIH, la position des hommes de foi a considérablement évolué ces derniers temps. Il y a un an, la maladie était encore un sujet tabou dans les mosquées. Aujourd’hui, les prédicateurs en débattent publiquement. A l’origine de ce revirement, la prise de conscience des leaders religieux à la suite d’une vaste campagne de sensibilisation. « Cela n’a pas été facile. Il a fallu leur démontrer que personne n’était à l’abri, pas même eux », témoigne Hadja Moussogbè Mara.

Pour en arriver là, la directrice du point focal du comité ministériel de lutte contre le Sida, au Département des affaires religieuses, explique qu’il aura fallu prendre l’exemple tragique d’un imam décédé après avoir été infecté involontairement par son fils séropositif. Ce dernier avait fait don de son sang à son père malade. « A partir de ce moment-là, les leaders religieux ont compris que le virus existe vraiment et qu’il ne touche pas seulement ceux qui se livrent à la débauche », rapporte-t-elle. « Actuellement, les religieux préfèrent privilégier l’abstinence. C’est déjà beaucoup et cela correspond aux messages que nous diffusons », poursuit Hadja Moussogbè.

Un travail en bonne intelligence entre associations confessionnelles et structures spécialisées s’est développé. Depuis deux ans, le point focal organise différents séminaires à l’attention des maîtres d’écoles coraniques, des prêcheurs et de près de 1 500 imams. Un guide de 200 pages, intitulé VIH/Sida à la lumière des enseignements islamiques, a été publié. Il rappelle des passages du Coran qui mettent en garde contre des maladies graves que les hommes infidèles attraperaient. Ecrit en n’ko (alphabet très répandu dans l’Est de la Guinée, Ndlr), en français et en arabe, ce guide est distribué gratuitement dans tout le pays.

La Direction des mosquées, qui a sous sa responsabilité l’ensemble des 10 600 mosquées du pays, sensibilise, elle aussi, à son niveau. « Chaque vendredi, nous envoyons aux imams les discours qu’ils doivent développer auprès des fidèles. Nous les encadrons, afin qu’ils ne fassent pas de prêches qui incitent à l’intégrisme. Nous veillons également à ce qu’ils ne racontent pas n’importe quoi sur le Sida », explique El Hadj Harouna Sylla, directeur des mosquées de Guinée.

Premiers résultats

Les premiers résultats de cette mobilisation tous azimuts sont plutôt encourageants. Le taux de prévalence a baissé de moitié, entre 2003 et 2005, passant de 3,2 % à 1 ,5 %, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Mais selon la dernière enquête nationale démographique en santé (EDSG-III 2005) beaucoup reste à faire pour atténuer les disparités : le taux de prévalence est de 1 ,9 % chez les femmes contre 0,9 % chez les hommes.

Issa Sylla, secrétaire général de l’Association des jeunes pour la lutte contre le Sida, se félicite de ce recul, du, selon lui, au « grand travail de sensibilisation mené à tous les niveaux ». « Le problème que nous avions était l’absence des religieux dans le débat. Il était important que les imams sensibilisent eux-mêmes leurs fidèles au danger que notre société court avec le VIH », précise-t-il.

Signe que les temps changent, sur les murs des mosquées, à différents coins de rue et bien en évidence sur les places publiques, des associations islamiques accrochent désormais des banderoles qui mettent en garde contre le Sida. Un premier pas qui en appelle d’autres, pour Issa : « Les imams peuvent faire mieux en demandant aux jeunes d’utiliser des condoms pour se préserver, car il est certain que ces derniers ne voudront pas s’abstenir jusqu’au mariage ».

Alpha CAMARA
(Syfia International)

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