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Dr Moussa Sié, chercheur à l’ADRAO : "Les chercheurs n’aiment pas travailler ensemble"

Publié le jeudi 3 août 2006 à 06h53min

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Moussa Sié

Du 27 au 28 juillet 2006 s’est tenu à Ouaga un atelier de validation des résultats du Projet "Expériences d’utilisation des approches participatives en amélioration des plantes en Afrique de l’Ouest". Au nombre des participants, il y avait le Dr Moussa Sié, sélectionneur de riz de bas-fond et chef du Programme riz bas-fond au Centre du riz pour l’Afrique (ADRAO) basé à Bouaké mais délocalisé à Cotonou au Bénin pour cause de crise en Côte d’Ivoire.

Nous avons rencontré celui que l’on appelle le père du Nerica, une variété de riz qu’il a mise au point, et qui a été lauréat du prix international du riz du Japon. Son activité de chercheur à l’ADRAO, son sentiment de premier Noir lauréat du prestigieux prix ont été essentiellement au centre de l’entretien qu’il nous a accordé en marge de l’atelier.

"Le Pays" : En quoi consiste votre travail à l’ADRAO ?

Dr Moussa Sié : Le sélectionneur est un généticien spécialisé en phytotechnique. Je travaille sur le riz en cherchant à améliorer les variétés. Vous savez que quand on veut améliorer quelque chose, il faut partir de ce qui existe en se fixant des objectifs. Au Burkina, et ce que les gens ne savent pas, on cultive le riz depuis 3 500 ans. Cette espèce a été négligée par la recherche pendant longtemps. L’attention a été portée sur l’espèce asiatique, le riz blanc introduit il y a 1 500 ans, qui a tendance à remplacer la variété africaine que nous connaissons à savoir le riz rouge ou riz de montagne.

Dans un premier temps, mon travail a consisté à prospecter et à collecter toutes les variétés traditionnelles de riz au Burkina. J’ai fait cela entre 1982 et 1983 et j’en ai tiré des leçons. Je me suis rendu compte que les paysans continuent de cultiver les variétés traditionnelles bien que la recherche ait demandé leur élimination. Cet état de fait est d’ailleurs un peu à la base de l’atelier auquel je prends part et qui porte sur la sélection variétale participative.

Celle-ci est une notion qui part du principe qu’il faut associer le paysan à la recherche. Je vous dis que quand nous avons commencé la prospection et la collecte, il y a eu des oppositions de nos supérieurs qui se demandaient pourquoi s’intéresser à quelque chose sans importance. Il a fallu s’entêter et on s’est vite rendu compte que les variétés traditionnelles de riz renferment beaucoup de choses. Par exemple elles sont du terroir, donc adaptées à nos conditions de culture et ont leurs propres qualités. Et en tant que généticien, on peut prendre les éléments positifs de ces variétés pour améliorer le riz blanc qui est très consommé.

Du même coup, on fait la valorisation du riz africain. Au niveau de l’ADRAO, une équipe a réalisé un croisement entre le riz africain et celui asiatique. Cela a donné le Nerica ou nouveau riz pour l’Afrique ; il y en a qui suggèrent de l’appeler nouveau riz venu d’Afrique parce que cette nouvelle variété a dépassé les frontières du continent. Les résultats obtenus ont permis à l’ADRAO de remporter le prix mondial de l’alimentation.

Quand je suis revenu pour une courte période à l’INERA (NDLR : Institut de l’environnement et de recherches agricoles), nous avons adopté la méthode de croisement de l’ADRAO au riz de bas-fond parce que celui-ci était une priorité de la recherche au Burkina. Nous avons donc développé ces variétés avec la participation des paysans et les trouvailles ont été présentées au grand public burkinabè en juin 2003 à l’occasion de la journée du riz tenue à Bobo.

Les variétés développées sont-elles utilisées par les paysans ?

Le développement de Nerica bas-fond n’est qu’un aspect de mes activités. Au niveau de l’INERA où j’ai commencé à travailler en 1980, nous avons développé près de 50 variétés de riz pluvial, de riz irrigué et de riz de bas-fond. Ces variétés sont cultivées pratiquement partout. Par exemple, la FKR 43, une nouvelle variété de riz pluvial, a fait l’objet d’une déclaration du chef de l’Etat lors du lancement des 6 engagements (NDLR : devenus aujourd’hui les Engagements nationaux) qui y a invité les paysans à utiliser cette trouvaille de la recherche. Donc, nous avons non seulement créé des variétés mais aussi elles sont utilisées.

Concernant le Nerica, dont les paysans ont été associés au processus de création, les variétés mises au point ont forcément l’adhésion des paysans. Actuellement, l’ADRAO a mis sur le marché 60 variétés de Nerica bas-fond. Au Burkina, il y a 4 variétés de Nerica qui sont homologuées en ce qui concerne le Nerica bas-fond. Trois variétés de Nerica pluvial ont été développées toujours dans notre pays. Au Mali, 2 variétés de Nerica bas-fond ont été homologuées et cultivées, etc. En tout, l’ADRAO travaille dans 20 pays par rapport aux différentes variétés.

Comment expliquez-vous l’envahissement des pays africains par le riz venu d’ailleurs notamment d’Asie ?

Cela est un autre problème lié à la soi-disant compétitivité, à la globalisation qui veut que l’on ouvre les frontières. En tant que scientifique, nous pouvons dire que nous avons les moyens de production dans notre pays. J’aime prendre l’exemple du coton où quand le Burkina a décidé de devenir premier producteur, il a réussi. Dans notre pays on a 3 types de riziculture : irrigué, pluvial et de bas-fond. Il y a des variétés mises au point par la recherche au nombre de 50. Nous avons des potentialités de production.

Avec la variété de riz pluvial, on peut avoir 2 à 3 tonnes à l’hectare ; 4 à 6 tonnes à l’hectare avec la variété de riz de bas-fond. Avec la variété de riz irrigué, on peut dépasser 7 tonnes à l’hectare. Il y a aussi des potentialités d’extension des superficies. Ce sont autant d’éléments qui nous permettent d’être autosuffisants.

Si vous partez par exemple à la Vallée du Kou, les paysans produisent et vendent du riz de qualité pratiquement au même prix que le riz importé. En outre, les Maliens y viennent s’approvisionner les dimanches. C’est dire que c’est rentable.

L’ADRAO a commandité une étude au Burkina, au Mali et au Niger qui a démontré que ces pays peuvent être complémentaires dans la production de riz. C’est une question de volonté politique quant à rendre le riz compétitif parce que le problème qui se pose est que pour produire il faut vendre. Il faut donc acheter ce qui est produit pour encourager les producteurs.

Parlez-nous du Prix international du riz du Japon qui vous a été attribué en avril 2006 !

C’est un prix de la variété de riz japonais Koshihikari. Cette variété a été créée il y a 50 ans et constitue 60% des superficies rizicoles au Japon. Elle a fait l’objet de beaucoup d’études scientifiques. Depuis 1997, un prix a été instauré autour de cette variété pour encourager tous les scientifiques oeuvrant dans le domaine de la production rizicole. Le prix est devenu international il y a 2 ans et depuis lors les gens du monde entier postulent. C’est ainsi que mon institution a proposé ma candidature en se disant qu’elle a quelqu’un qui a innové en essayant, premièrement, de valoriser le riz africain. Deuxièmement, ce chercheur a travaillé avec les paysans pour développer les variétés et, enfin, il a collaboré avec des chercheurs de différents pays. Un autre motif du dépôt de ma candidature est que le bas-fond est un milieu très compliqué ; il est la synthèse des contraintes de deux environnements de riz à savoir l’irrigué et le pluvial. Une avancée dans le bas-fond est importante.

Pour l’ADRAO, c’était une fierté car c’est la première fois qu’un Africain est primé à un niveau international et par un organisme de l’Asie qui est un continent par excellence du riz. C’est également une fierté pour moi parce que c’est la reconnaissance d’un travail de longue haleine. Quand je faisais la prospection en 1982 personne n’y croyait. En 1983, quand je cherchais un financement j’ai eu des problèmes. Je me suis entêté. Ce qui est également important pour moi est que le travail valorise la connaissance des paysans sur laquelle il faut s’appuyer. Je n’oublie pas aussi les collègues qui m’ont aidé dans le travail d’où le caractère collectif du prix. J’ai 25 ans de recherche et c’est maintenant que ce que je fais est reconnu après que j’ai connu des problèmes comme par exemple 6 mois sans salaire.

Pourtant, ce que je fais c’est pour mon pays. Il a fallu que je sorte pour être reconnu. Le travail présenté par l’ADRAO et qui a été primé l’a été à la Journée du riz du Burkina en juin 2003. Comment se fait-il que c’est à l’extérieur qu’il a été primé et faisant du même coup de l’ADRAO un centre qui a accumulé le plus de prix ? Néanmoins, je ne me suis pas découragé et j’ai tenu à venir présenter le prix aux autorités et leur dire que c’est avant tout le Burkina qui est honoré. La preuve est qu’avant la remise du prix, le Japon a demandé le drapeau du Burkina que j’ai été obligé de confectionner à mes frais.

En dehors des autorités, je suis allé montrer le prix à mon équipe de chercheurs à Farakoba histoire de leur témoigner ma reconnaissance. Et aussi un résultat de recherche n’est pas l’oeuvre d’une seule personne.

Etes-vous prêt à revenir travailler un jour au Burkina en dépit des péripéties que vous y avez connues ?

Je n’ai jamais arrêté de travailler au Burkina. En 1980, j’ai arrêté mes études en France pour rentrer. Je suis reparti à la demande de l’ADRAO, je suis revenu en 2000 pour repartir à nouveau en 2003. Mais mes activités de recherche continuent au Burkina ; je finance par exemple celles menées sous le couvert de l’INERA à Banfora. Il faut dire que je suis toujours un chercheur de l’INERA en détachement à l’ADRAO.

Après l’atelier de Ouaga, je vais en Tanzanie avec une dizaine de Burkinabè pour un congrès international sur le riz. Egalement des Japonais vont venir avec moi au Burkina pour voir comment appuyer les chercheurs burkinabè. Avec des financements que nous avons à l’ADRAO une enquête a, par exemple, été diligentée sur les besoins des consommateurs burkinabè en matière de riz en vue d’orienter la recherche. J’estime avoir un devoir vis-à-vis du peuple qui a payé mes études, supporte mes salaires et ce n’est pas la méchanceté de quelques individus qui va m’empêcher de lui manifester ma reconnaissance. Dans ce sens, il m’est arrivé de parcourir le Nord du Burkina à dos de chameau pour discuter avec les paysans par rapport aux variétés de riz cultivées. A l’occasion, près de 600 variétés traditionnelles avaient été recensées et ont fait l’objet de mes 2 doctorats.

Si vous étiez resté au Burkina, pensez-vous que vous alliez être un chercheur qui trouve ?

Les gens savent que je suis compétent mais en même temps ils ne reconnaissent pas que je mérite quoique ce soit. J’ai à mon actif près de 50 variétés de riz créées sans avoir bénéficié d’une reconnaissance. Je me suis toujours dit que j’ai été recruté pour mettre au point des variétés et c’est ce que je fais. Je suis parti à l’ADRAO comme sélectionneur de riz pluvial. Mais au regard de mon cursus, j’ai été orienté vers le riz de bas-fond. C’est sûr que si j’étais resté au Burkina, je n’allais pas évoluer, je serais resté un citoyen lambda.

Peut-on s’attendre à ce que vous changiez un jour de domaine après avoir fait vos preuves dans celui du riz qui est avant tout votre spécialité ?

Au regard de mon âge, je n’ai pas intérêt à le faire. Mon travail maintenant est de former la relève et à ce titre j’ai formé beaucoup de jeunes de diverses nationalités. A titre d’exemple, le grand sélectionneur de maïs de l’INERA a travaillé avec moi. C’est la même chose pour un adjoint de recherche à la SOFITEX. Un autre exemple : il y a en ce moment un jeune Burkinabè avec moi à l’ADRAO à Cotonou qui travaille sur la biologie moléculaire. C’est vous dire que quel que soit l’endroit où je suis, j’ai toujours un étudiant à encadrer. J’ai par exemple actuellement un étudiant qui travaille sur l’aspect historique du riz au Bénin. Je vais avoir un autre qui va travailler sur l’aspect génétique.

Ce que je voudrais ajouter est qu’il faut favoriser le partage des connaissances parce qu’au niveau scientifique il faut un partenariat bien compris entre nous, les paysans et les développeurs. Le partenariat, c’est avant tout entre les chercheurs parce que ce sont des gens qui, en général, ne sont pas prêts à travailler ensemble. Il faut que chacun, reconnaisse qu’il a quelque chose à partager.

Ensuite, le partenariat doit exister entre les chercheurs et les paysans car les premiers doivent savoir que les seconds savent quelque chose et accepter d’être remis en cause. Ce doit également être la même chose avec les structures de développement et les ONG. Une fois ces barrières sont brisées, on a beaucoup de choses à apprendre et cela dans tous les domaines.

Propos recueillis par Séni DABO

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 3 août 2006 à 12:13, par Kader Konaté En réponse à : > Dr Moussa Sié, chercheur à l’ADRAO : "Les chercheurs n’aiment pas travailler ensemble"

    Félicitation au Dr Moussa Sié.
    Vivement une décoration pour le Dr qui la mérite vraiment car il sert son pays et même plus !
    Ses propos devraient également interpeller nos autorités politiques au sujet de l’auto-suffisance alimentaire du pays.
    Enfin vivement que l’action du Dr Sié inspire et encourage d’autres talents à se développer et à s’exprimer dans notre pays !

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