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Me Barthélémy Kéré : « Fini les indélicatesses dans la manipulation des fonds des tiers par l’avocat »

Publié le samedi 29 avril 2006 à 08h46min

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Me Barthélémy Kéré

Le mercredi 26 avril, Sidwaya Plus a reçu le Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Burkina Faso. Avocat depuis 1988, Me Barthélémy Kéré parle dans cet entretien à bâton rompus de la CARPA, de la corruption de la justice, de l’affaire Thomas Sankara... le tout dans un langage franc, propre à son corps.

Sidwaya Plus (S.P.) : Qu’est-ce qu’un bâtonnier et que fait-il concrètement ?

Me Barthélémy Kéré (B.K.) : Le bâtonnier de l’Ordre des avocats relève d’une ancienne tradition de l’Ordre de St Nicolas qui était le Saint patron du jury. Le supérieur de l’Ordre portait un bâton et le titulaire de ce bâton est appelé bâtonnier. Le bâtonnier ou le porteur du bâton qui, théoriquement n’est pas fait pour frapper, est là pour conduire, rassembler les avocats dans un esprit de corps pour remplir une mission fondamentale : défendre la veuve et l’orphelin. Le bâtonnier est chargé de la surveillance d’ensemble de la profession d’avocat. Il a la responsabilité de gérer les différends entre les avocats.

S.P. : Vous avez été élu à la tête de l’Ordre des avocats en juillet 2003. Aujourd’hui vous êtes quasiment en fin de mandat. Quel bilan faites-vous de votre passage à la tête du barreau burkinabè ?

Me B.K. : Il ne m’appartient pas de faire le bilan de mon passage à la tête de l’Ordre des avocats. Il est vrai que le démarrage effectif des activités de la CARPA (la Caisse autonome de règlement pécuniaire des avocats) constitue un succès de mon mandat. Je sais qu’avant mon élection, j’ai présenté aux avocats du Burkina Faso, un programme en vingt et un (21) points qui, à mon sens, fait la synthèse des problèmes que rencontre notre barreau.

La résolution de ces difficultés, à mon avis, pourra permettre un rapprochement substantiel de notre barreau de sa mission essentielle qui est de défendre la veuve et l’orphelin. Donc, je n’ai pas de bilan à donner. Il appartient à chacun de mes confrères, aux membres du Conseil de l’ordre et ceux du Conseil d’administration de la CARPA de dire ce qui a été fait pendant les trois dernières années.

S.P. : Le démarrage effectif des activités de la CARPA était au centre de votre mandat ; quelles sont les raisons qui ont présidé à la mise sur pied de cette structure ?

Me B.K. : La CARPA à travers ses activités va orienter le barreau vers de nouvelles perspectives. Un avocat qui n’est pas crédible, ne saurait travailler. Or, nous avons constaté qu’au-delà de la mission de plaider pour les justiciables, les avocats qui ne sont pas des banquiers, manipulent des fonds appartenant à des tiers. Et vous avez entendu ça et là que des avocats n’ont pas su restituer les sommes d’argent dues à leurs clients. Ce qui peut leur causer des déboires. L’expérience de la CARPA n’est pas spécifique au Burkina Faso. En France par exemple, les avocats ont mis sur pied la CARPA depuis 1954.

En fait, de la manipulation des fonds des tiers, des avocats ont eu des problèmes ou encore ont connu tels ou tels déboires dans l’organisation de leur cabinet dont finalement les clients en sont devenus les victimes. La CARPA est donc un dispositif qui consiste à mettre l’avocat à l’abri de la manipulation des fonds des tiers. Elle va sécuriser l’avocat et son client. La CARPA est un dispositif qui a été dupliqué dans plusieurs pays et a donné de manière opérationnelle la preuve qu’il est le meilleur moyen pour sécuriser l’avocat en le mettant à l’abri de la tentation et son client.

Nous pensons que l’ouverture des opérations de la CARPA à partir du 28 avril 2006 permettra de garantir plus de sécurité à chacun des avocats dans l’exercice de leur métier. Un avocat, à l’abri de toute tentation peut se vanter de cette vertu et clamer ne pas être faible vis-à-vis de l’argent des autres. La CARPA est un outil essentiel qui va permettre de discuter avec la banque partenaire (La Banque commerciale du Burkina) afin que toutes les sommes transitant soient rémunérées.

S.P. : A quoi servira l’argent emmagasiné par la CARPA ?

Me B.K. : Cette rémunération va être consacrée d’une part au fonctionnement du barreau, et d’autre part à la formation et au recrutement des avocats. Je dois dire que la CARPA ne prélève rien du tout sur les fonds d’un tiers, ni sur les honoraires de l’avocat. Elle assure un service collectif de l’ordre et va respecter scrupuleusement les instructions données par l’avocat. Nous allons aussi voir la possibilité de mettre en place un système de prévoyance sociale au profit des avocats. Enfin, nous voulons participer à la création d’un service d’assistance judiciaire pour le barreau. La loi stipule que la justice est gratuite pour tous, mais la réalité est autre, vu que l’avocat exerce un métier libéral.

Le barreau a l’ambition de mettre à la disposition des justiciables, c’est-à-dire les personnes qui sont le plus dans le besoin (la veuve et l’orphelin), un service d’avocat payé par la CARPA sur la base des revenus qu’on pourrait tirer de la gestion de la CARPA. Nous avons foi, car ailleurs tous ces mécanismes fonctionnent normalement et il n’y a donc pas de raison qu’ici la CARPA ne marche pas. D’autant plus qu’elle va aider non seulement l’avocat mais aussi le justiciable et de façon générale la justice burkinabè.

Mais nous n’allons pas remplacer l’Etat à qui il appartient de mettre en place l’environnement propice pour que les citoyens bénéficient effectivement de la gratuité de la justice. Etant donné que nous sommes dans un contexte où l’Etat ne peut pas tout faire, le barreau veut apporter sa contribution. L’Etat donne ce qu’il peut, le barreau aussi, tout cela cumulé avec les appuis des chanceléries, toutes ces donations font une somme importante que nous allons mettre au profit des plus déshérités dans le cadre de l’assistance judiciaire.

S.P. : Comment la CARPA va-t-elle fonctionner ?

Me B.K. : La CARPA a déjà géré le dossier des 349 vétérans du Liberia qui ont eu des difficultés avec leur avocat. Nous avons pensé que le mécanisme CARPA pouvait intervenir pour résoudre le conflit né entre l’avocat et ses clients et éviter que le conflit ne dégénère parce qu’il y avait des menaces assez sérieuses qui provenaient des militaires. Il fallait que je prenne la responsabilité de gérer cette situation pour que le dossier soit géré dans la sécurité pour tous. Les banques, les assureurs et tous les tiers payeurs qui auront de l’argent à payer à une autre personne par l’intermédiaire d’un avocat fera le chèque à l’ordre de la CARPA. Le particulier qui doit payer l’argent pour le compte d’un tiers versera l’argent entre les mains de son avocat qui va déposer sans délai cet argent dans un compte CARPA-Espèce.

La banque lui fournit un bordereau de remise que l’avocat va transmettre à la CARPA avec un bordereau de mouvement qui comprend deux parties : le dépôt d’espèces et le retrait. Il est prévu des délais de bonne fin à partir de laquelle le chèque ne peut plus revenir impayé. Au terme du délai de bonne fin, la CARPA exécute la deuxième partie du bordereau où l’avocat a donné des instructions de paiement au client et de ses honoraires. L’argent appartenant au tiers, la CARPA va demander à l’avocat de joindre au bordereau une autorisation de prélèvement de son client pour justifier le chèque de ses honoraires.

S.P. : Certains avocats se sont inquiétés justement du fait que le client peut refuser de donner l’autorisation de prélèvement. Qu’est-ce qui est prévu dans ce cas ?

Me B.K. : Il n’y a pas de raisons qu’un client qui a bénéficié des prestations de l’avocat refuse de donner l’autorisation pour que ce dernier prélève les montants d’honoraires qu’ils ont convenu. Mais, étant entendu que nous sommes en matière d’argent, il est possible qu’une situation similaire se produise. Si cela arrive, l’avocat a deux solutions : demander au bâtonnier la taxation de ses honoraires qui se fera après convocation de l’autre partie.

Le bâtonnier constatera par le simple fait de la remise de l’effet à la CARPA que l’avocat a fait son travail. Il appartiendra alors au client d’expliquer pourquoi il ne veut pas donner l’autorisation de prélèvement à son avocat. Il ne peut y avoir une raison, c’est que le client a déjà payé à l’avocat ses honoraires. S’il se trouve enfin que le client est de mauvaise foi, le bâtonnier va ordonner le paiement des honoraires de l’avocat. C’est en cela que la CARPA est aussi un outil de sécurité pour l’avocat.

S.P. : Au cas où le client serait hors du pays par exemple pour une longue durée, comment l’avocat doit-il procéder pour empocher ses honoraires ?

Me B.K. : A mon avis, normalement l’avocat et le client dès le départ conviennent du montant des honoraires. Par conséquent, l’avocat peut lui faire signer déjà l’autorisation de prélèvement précisant qu’au cas où l’avocat va encaisser untel montant, il aura l’autorisation de prélever tel autre.

Admettons que pour diverses raisons, que l’effet ait été remis au client absent, qu’il est prévu que cette absence se prolonge, en ce moment le bâtonnier va examiner la situation et essayer d’entrer en contact avec le client. Si pour diverses raisons il ne parvient à le faire, il prendra la responsabilité d’autoriser le paiement des honoraires de l’avocat. Mais, si par extraordinaire, c’est un avocat indélicat qui a menti, il va répondre devant le Conseil de discipline.

S.P. : Si l’avocat ne fait pas transiter les fonds de son client par les comptes CARPA, quelles sont les sanctions auxquelles il s’expose ?

Me B.K. : Je souhaiterais que nous n’ayons jamais à appliquer des sanctions. Mais les textes ont prévu effectivement des sanctions pour ce cas. Si l’avocat ne dépose pas l’argent d’un tiers dans les comptes CARPA, trois personnes peuvent engager une procédure pénale : le bénéficiaire du paiement, le bâtonnier et le procureur général. Les peines applicables sont celles de l’abus de confiance. Si l’avocat est condamné à cette peine, évidemment le Conseil de discipline de l’Ordre des avocats tirera les conséquences : l’avocat encourt la radiation pure et simple.

S.P. : Comment la CARPA va-t-elle gérer les dossiers en suspens d’avocats ayant « manipulé » des fonds appartenant à des tiers ?

Me B.K. : La CARPA va déjà arrêter la possibilité qu’avait l’avocat de manipuler les fonds des tiers à sa guise avec tous les dérapages possibles, constatés ou vécus ça et là. A partir de maintenant, ces indélicatesses n’auront plus droit de cité dans l’exercice de la profession d’avocat. Pour les situations passées, si le Conseil de discipline a été amené à radier des avocats, cela est dû à leur entêtement.

Quand on se trompe, on se corrige, mais hélas ! cela n’a pas été le cas pour les avocats qui ont été radiés du barreau. Même pendant le Conseil de discipline, ils ont donné la preuve qu’ils étaient incapables de s’amender. La « chirurgie » était la seule réponse possible, et on n’a pas hésité à les « amputer » de l’Ordre. Aujourd’hui, arrivent des cas isolés où des confrères ont par devers eux l’argent des clients, mais je dois dire que ces cas ne dépassent guère deux ou trois.

Mais les intéressés ne contestent pas et sont de très bonne volonté, ils font des paiements pour rembourser les sommes dues. Des confrères sont heureux aujourd’hui que la CARPA entre en application parce que si elle avait existé, ils n’auraient pas eu ces difficultés. Personnellement, j’ai accompagné des confrères à régler ces difficultés sus-citées. Les quelques cas qui restent, seront résolus par le bâtonnier entrant avec le concours du parquet pour faire en sorte que le barreau marche normalement. L’objectif n’est jamais de sanctionné car, si vous radiez un avocat qui se trouve dans cette situation, il n’a plus de profession et sera dans l’incapacité de régler l’argent dû aux tiers.

S.P. : Le corps judiciaire burkinabè est taxé à tort ou à raison d’être corrompu, d’être inféodé au pouvoir, qu’en pensez-vous ?

Me B.K. : (Silence...). La corruption de la justice a toujours été une question d’actualité. A tort ou à raison, les gens ont toujours taxé la justice d’être corrompue. Plusieurs instances ont réfléchi au sein de la justice sur la corruption, sur ce qu’il y a lieu de faire et ont formulé conséquemment des propositions. Le constat matériel est que beaucoup de citoyens se plaignent de la justice estimant que telle ou telle décision rendue est tellement contraire à la loi que la seule explication de celle-ci provient des dessous de table. Je ne sais pas si cela est vrai ou faux, il ne m’appartient pas de le dire, il y a des personnes habilitées pour cela. Récemment, le ministère de la Justice a mis sur pied une commission qui semble-t-il, est en train de mener des investigations. J’ai été interpellé en qualité de bâtonnier ainsi que d’autres confrères pour y réfléchir. Je n’ai pas à ma connaissance les résultats de cette investigation. Si l’avocat peut succomber à la tentation de dessous de table, pourquoi le juge pourrait ne pas y succomber ?

S.P. : Est-ce cela qui explique que les avocats soient riches ?

Me B.K. : Non, il n’y a aucun rapport. D’abord l’avocat burkinabè n’est pas aussi riche comme on pourrait l’imaginer. Des avocats s’en sortent certes, mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt, d’autres peinent. Lors d’une visite de courtoisie, j’ai dit ceci au Premier ministre : « Les avocats que lui il voit sont des avocats bien, fortunés, j’ai dit excellence, je suis le bâtonnier de ceux que vous voyez et des autres qui ont des difficultés ». D’ailleurs, dans mon programme j’avais préconisé la mise sur pied d’un mécanisme à même de soutenir les jeunes avocats dans leur démarche à pouvoir s’associer sur des bases saines. Dans le cadre de la CARPA, nous avons convenu avec la banque partenaire de modalités pour que la CARPA puisse appuyer les jeunes à s’organiser à travers un financement. Pour y parvenir, elle a besoin de bien fonctionner d’abord, la CARPA étant fonctionnelle, ce sera une question d’ajustement. Ces avocats pourront ainsi bénéficier d’un environnement favorable, le reste ils devront l’acquérir par la qualité et l’ardeur au travail.

S.P. : Si la CARPA existe, à quoi vont servir les comptables des cabinets d’avocats ?

Me B.K. : La CARPA ne remplacera pas les comptables des cabinets d’avocats. Elle permet de mettre en place un interface facilitant le transfert de l’argent du tiers payeur à un client. Elle ne remplace pas le comptable dont le rôle est de veiller à la comptabilité du cabinet. Elle va d’ailleurs faciliter le travail de ce dernier. Car, la mission du comptable n’est pas de gérer l’argent des tiers pour son patron. Pour les comptables qui le désirent, nous sommes prêts à leur donner une formation sur le mécanisme CARPA pour leur permettre de mieux comprendre le concept et mieux tisser la relation avec elle.

S.P. : La commission des droits de l’homme des Nations unies a rendu récemment une décision sur le dossier Thomas Sankara. Quelle est votre appréciation ?

Me B.K. : Le dossier Thomas Sankara est géré par des confrères. Le bâtonnier n’a pas pour attribution de s’ingérer dans la gestion quotidienne des dossiers de ses confrèes. Si un avocat rencontre des difficultés dans la conduite d’un dossier, le bâtonnier intervient pour permettre au dossier de suivre son parcours normal. Dans ce dossier spécifique, je ne suis pas constitué. Je sais que la commission des droits de l’homme des Nations unies vient de rendre une décision. J’ai vu que le ministère de la Justice a déclaré en tant que représentant de l’Etat burkinabè qu’il prendra des dispositions en vue de l’effectivité de cette mesure. Je m’en tiens simplement à cela. Quels sont les tenants et les aboutissants, je n’en sais rien. Bien entendu, le bâtonnier souhaiterait que tous les dossiers quelqu’ils soient, puissent être gérés dans l’indépendance parfaite par l’avocat pour que la vérité puisse transparaître.

S.P. : Est-ce que l’avocat burkinabè est vraiment libre dans l’exercice de sa profession ?

Me B.K. : Nous avons eu au Burkina Faso du 9 au 13 décembre dernier, la conférence de l’Association des barreaux. C’est une grosse association dont la conférence regroupe tous les barreaux qui ont en commun l’usage du français. Au cours de cette rencontre, nous avons parlé de la situation et des conditions de travail des avocats du Cameroun, de la Guinée qui n’ont pas la possibilité de se constituer librement dans les dossiers. En Algérie, c’est pareil. Ici, aucun confrère ne m’a signalé qu’il a eu des difficultés pour se constituer dans une affaire ou pour défendre son client. Je connais des confrères que vous ne verrez jamais défendre un salarié. Il y va de la liberté de chacun, c’est un choix.

Entretien réalisé par S. Nadoun COULIBALY (coulibalynadoun2002@yahoo.fr)

Sidwaya

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