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Burkina / Enseignement supérieur : Pr Yves Dakouo, l’héritage d’une bibliothèque

Publié le mercredi 14 février 2024 à 22h15min

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Burkina / Enseignement supérieur : Pr Yves Dakouo, l’héritage d’une bibliothèque

Immense. Éminent. Brillant. Le professeur Yves Dakouo est un phare, une étoile, qui a illuminé les chemins de plusieurs générations d’étudiants tant au Burkina Faso que dans le reste du monde. Sémio-linguiste, il a semé les graines du savoir et de la vertu dans les amphithéâtres. Sa vie est, à l’image du sens, profonde et discrète ; à l’image du livre, mystérieuse et envoûtante. A l’orée de sa retraite, ces disciples sont unanimes : le Pr Yves Dakouo mérite d’être hissé au panthéon du livre burkinabè.

Il est des jours où la beauté, la force et la profondeur des mots ne suffisent pas pour exprimer la reconnaissance du cœur. Les disciples du Pr Yves Dakouo se trouvent souvent dans l’embarras lorsqu’il s’agit de parler de ce maître qui fascine par son érudition et sa culture.

« Je vais emprunter les mots du doyen Martin Zongo, administrateur du Carrefour international de théâtre de Ouagadougou, dans un commentaire sous une de mes publications en hommage au professeur. Il disait ceci : ‘’ Le Professeur Yves Dakouo, c’est le prototype achevé du Burkinabè de la génération de l’âge d’or de notre pays !’’ », témoigne Dr Ousmane Paré, qui a eu le Pr Dakouo comme président de jury de toutes ses soutenances : maîtrise, DEA et doctorat.

Dr Ousmane Paré, disciple du Pr Dakouo qui a été le président du jury de ses différentes soutenances

Un homme discret…

Spécialiste en analyse du discours, le Dr Paré note que le Professeur Dakouo demeure un homme discret, en dépit de son immense savoir. « Il est la synthèse achevée de l’éducation traditionnelle de qualité et celle dispensée par les cercles religieux dans les séminaires, juvénats et autres couvents. Sobre, mesuré, réservé et quasi effacé, le Professeur Dakouo est l’archétype de l’enfant, du père, du patron, du professeur, du responsable et de l’ami que tous ceux qui partagent ses valeurs rêvent d’avoir. », dira-t-il.

Selon plusieurs témoignages recueillis, le Pr Dakouo n’est pas de cette catégorie d’enseignants qui font de l’ombre à leurs étudiants et qui se targuent d’être les meilleurs. Selon le Pr Landry Yaméogo de l’université Norbert Zongo, le Pr Dakouo n’a jamais accepté qu’on le sollicite pour un enseignement qui peut être assuré par un disciple.

Le Professeur Yves Dakouo est apprécié pour ses qualités de préfacier

« Il disait toujours : "Voyez avec X car il a été formé pour la relève". Il a toujours valorisé les étudiants qu’il a encadrés. Nous avons toujours appris aux côtés du Professeur. Il a une parfaite maîtrise de toutes les théories littéraires au point que je lui ai posé ces questions un jour : « Comment faites-vous pour avoir une telle étendue de connaissances ? Quel temps trouvez-vous pour vous approprier toutes les approches littéraires – même nouvelles - que vous enseignez et utilisez dans vos productions scientifiques avec une telle minutie ? ». Sa réponse fut un sourire aimable », se souvient le Pr Yaméogo.

Selon le Professeur Landry Yaméogo, le Pr Dakouo met toujours en avant ses étudiants

…prêt à remuer ciel et terre pour ses étudiants

Enseignante en stylistique et en littérature burkinabè, Dr Jeanne Tiendrébéogo apprécie la disponibilité du Pr Dakouo qui lui a été d’un grand secours durant son parcours universitaire, après la maîtrise. « Je travaillais sur la littérature burkinabè et je peinais à trouver mon corpus. C’est difficile de trouver certaines œuvres qui n’ont pas été rééditées et qui ne se trouvent pas dans les bibliothèques. Le professeur Dakouo s’est chargé de me trouver la majeure partie des œuvres, soit près d’une soixantaine d’œuvres littéraires pour mon corpus. Je n’avais jamais vu ces œuvres littéraires burkinabè. Il a vidé sa bibliothèque et activé son réseau, avec ses collègues, pour trouver le corpus sur lequel j’allais travailler. Comme lui, je n’en ai jamais vu. Certes, chaque homme a sa particularité, mais il a tout en lui : il a la sagesse et n’est pas du genre à s’afficher », clame Dr Tiendrébéogo.

Dr Jeanne Sandrine Tiendrébéogo est reconnaissante au Pr Dakouo pour avoir mis à sa disposition des dizaines de livres burkinabè pour ses travaux de recherche

Conseiller technique du ministre en charge de la culture et des arts, Dr Dramane Konaté s’est abreuvé à la source du Pr Dakouo, dans les amphithéâtres, lors des colloques et séminaires et en tant que collaborateur sur des projets de promotion du livre burkinabè. S’il y a bien une chose chez le Pr Dakouo qui fascine l’auteur de « Djoman, le résilient », c’est bien son humanisme et sa sociabilité. « C’est quelqu’un qui ne dit jamais un mot plus haut que l’autre. Pendant plus de 30 ans, j’ai côtoyé l’homme mais je n’ai jamais vu Yves Dakouo dans une posture de quelqu’un qui est très fâché ou qui exprime une quelconque rancœur. Non ! »

Un défenseur du livre

C’est en 1998, en année de licence, que le Dr Dramane Konaté découvre l’enseignant éclectique, qui a une réflexion assez pointue sur des sujets et qui maîtrise sa matière. « C’est lui qui m’a initié en sémiotique littéraire. J’ai aimé sa façon de dispenser les enseignements. C’est un éducateur, un pédagogue. A travers ses enseignements, il permet à l’apprenant, non seulement de comprendre, mais d’aimer ce qu’il fait passer comme message », vante Dr Konaté.

En dehors des amphithéâtres, Dr Dramane Konaté a collaboré avec le Pr Dakouo lorsque ce dernier était directeur général du livre et de la lecture publique et chargé de la coordination des réseaux de lecture, des bibliothèques de lecture publique sur l’ensemble du territoire national. A l’en croire, le Pr Dakouo a travaillé à ce que la littérature burkinabè prenne ancrage au niveau des réalités socio culturelles et a œuvré à ce qu’il y ait une véritable promotion du livre burkinabè et de la littérature en particulier.

Dr Dramané Konaté a dédié au Pr Dakouo deux anthologies sur la préface

Dramane Konaté se souvient encore que c’est le Pr Yves Dakouo, alors directeur général du livre, qui a lancé les Cafés littéraires du Faso (CALIFA), ce cadre d’expression où les grands auteurs et les auteurs émergents échangent autour du livre. Il n’oublie pas également avoir bénéficié de l’accompagnement de son maître dans la création de la Société des auteurs, des gens de l’écrit et des savoirs (SAGES) dont il fut le premier président. Avec de grands noms comme Me Titinga Frédéric Pacéré, Mahamoudou Ouédraogo, Anselme Titiama Sanon, Baba Hama, et bien d’autres, l’association a organisé la première rentrée littéraire en 2013 et bien d’autres éditions.

Au-delà de l’œuvre littéraire

Le Pr Yves Dakouo est l’auteur d’un ouvrage intitulé Emergence des pratiques littéraires modernes en Afrique francophone : la construction de l’espace littéraire au Burkina Faso » paru en 2011 et « Littérature et pratiques rituelles : le statut sémiotique des signes », publié en 2017. Il a à son actif une trentaine d’articles scientifiques dans des revues nationales et internationales. Selon l’auteur de l’Antédestin, de la Triade de sang ou de Sahela, le Pr Yves Dakouo est passé maître dans l’art de déchiffrer et de décoder des livres, alors que de nombreux enseignants ne se limitent qu’aux œuvres de fiction.

« Yves Dakouo va au-delà et mieux, il rapproche l’œuvre littéraire ou documentaire de son objet, de son sujet. Ça veut dire qu’il ne se contente pas de parler de la littérarité des œuvres. Mais qu’est-ce que les œuvres littéraires, par exemple, d’auteurs burkinabè, apportent à l’homme, à la société burkinabé ? Il fait de la sémiotique, de la sociocritique et va dans les origines, dans la création originelle. », relève Dr Konaté.

Le Pr Yves Dakouo, président de jury, lors de la soutenance de thèse de Ousmane Paré

Un préfacier de renom

S’il y a bien une pratique, dans laquelle le Pr Dakouo a également laissé une empreinte indélébile, c’est celle de la préface. « Sambaré, une histoire, deux vies » de Baba Hama, Sahela de Dr Dramane Konaté, Faire humanité ensemble de Alfred Diban Ki… sont déjà passés sous sa plume.

« Préfacier, il vous permet de vous découvrir, comme si vous étiez en face d’un miroir. Quand il signe la préface ou présente une œuvre, il vous arrive parfois de vous demander si c’est vous qui avez écrit ça, comment lui, il a pu découvrir dans cette œuvre des choses auxquelles peut-être vous, vous n’avez pas pensé en écrivant ? Ça veut dire qu’il va en profondeur, que ce soient vos lapsus ou que ce soient les actes manqués, le rêve enfoui quelque part, Yves Dakouo en tant qu’expert essaie de faire remonter cela en surface. »

Bientôt le laboratoire de l´endogène

Ce ne sont pas les anecdotes qui manquent lorsqu’il s’agit de parler de l’immense homme de lettres, toujours disponible lorsqu’il est sollicité. Dr Konaté se souvient avoir parlé au Pr Dakouo du projet de création d’un laboratoire, le laboratoire de l’endogène, appelé Endolab. A l’en croire, l’éminent enseignant a marqué son accord pour ce projet qui, selon lui, va révolutionner le domaine des savoirs endogènes au Burkina Faso.

« Quand je suis allé le voir, je lui ai remis le texte portant création du laboratoire de l’endogène, qui sera arrimé au groupe d’expertise et de normalité endogène des symboles, des initiatives et des savoirs (Genesis). Il a dit “O mon Dieu ! Vous êtes très productif et pourquoi vous avez attendu que je sois pratiquement à la retraite pour venir me remettre un projet de ce genre’’. J’ai dit : “Professeur, c’est maintenant que vous aurez le temps pour nous. Comme on le dit en Afrique, ce sont les vieilles marmites qui font de la bonne sauce”.

Le Laboratoire Langues, discours et pratiques artistiques (LAPIDA) prévoit un hommage au Pr Yves Dakouo à l’occasion de son dernier cours le 15 février 2024

En attendant la dernière leçon

A l’orée de la retraite du Pr Dakouo, le Pr Landry Yaméogo a écrit un texte d’hommage adapté en chanson et interprété par Abdoul Aziz Zabsonré et Wendyam Doriane Sawadogo https://www.youtube.com/watch?v=Bf3RbhDACQ4 . « L’idée émane d’un besoin d’exprimer, de manière solennelle, notre gratitude envers un universitaire émérite dont l’engagement à servir son pays, à travers l’enseignement supérieur et la recherche, n’a jamais souffert d’amenuisement. Le double acrostiche, que nous avons écrit et qui a été mis en musique par deux étudiants talentueux, est pour nous le moyen le plus expressif pour magnifier l’essence de l’homme vertueux et du littéraire accompli ».

Un autre hommage attend le Pr Yves Dakouo. Dr Dramane Konaté lui a dédié deux anthologies portant sur la préface sur les quatre anthologies qu’il prévoit de sortir, ce mois de février 2024.

Mais en attendant, rendez-vous est pris le jeudi 15 février 2024 à l’université Joseph Ki-Zerbo, avec le Laboratoire Langues, discours et pratiques artistiques (LAPIDA) pour le dernier cours du Professeur. La dernière leçon. Celle du sacrifice, de la droiture, de l’amour.

Fredo Bassolé
Lefaso.net


Le message du Pr Landry Yaméogo et du Dr Dramane Konaté

Pr Landry Yaméogo

« Cher Maître, le fait de vous avoir rencontré à l’Université Joseph KI-ZERBO, d’alors Université de Ouagadougou, a été une bénédiction. Le "nous" qui est employé est un "nous" qui m’inclut personnellement et qui inclut d’autres collègues. Vous cessez vos activités professionnelles à l’Université Joseph KI-ZERBO mais vous demeurez une source intellectuelle et morale intarissable pour nous. Nous vous souhaitons une retraite paisible et heureuse auprès des vôtres. »

Dr Dramane Konaté

« Vous avez forgé en moi cette ambition d’aller toujours plus de l’avant, cette envie de d’évoluer dans la perfection. Vous avez été pour moi un aîné, qui a su guider mes pas en littérature, mais aussi dans l’appréciation des œuvres. Maître, vous avez été le codirecteur de ma thèse et je retiens humblement ce que vous avez écrit concernant cette thèse que j’ai soutenue en 2012 à l’Université de Ouagadougou. Vous avez estimé que votre disciple a produit une thèse pluridisciplinaire, une thèse encyclopédique et une thèse qui touche à tous les domaines des savoirs et de la culture.

J’ai baissé la tête parce que venant du maître que vous êtes, je ne peux que me sentir un peu embarrassé parce que vous m’avez placé sur un piédestal. Je ne dirais pas que je ne mérite pas, mais que peut être c’était un peu tôt pour moi, étant donné que c’était ma première production majeure, ma thèse aussi.

Vous avez préfacé mes œuvres, vous avez étudié mes œuvres. Vous avez estimé que je suis un écrivain polygraphe, pluridisciplinaire. Et ce statut que vous m’avez reconnu, que vous m’avez octroyé, venant de vous, je prends cela comme étant une motivation et une source de motivation à poursuivre.

Quand vous vous dites disciple de Yves Dakouo partout, on reconnaît que vous avez été bien formés, alors je ne peux que vous souhaiter une paisible retraite. Mais en Afrique, on nous dit très souvent que l’âge de la sagesse permet de partager ce qu’on a de plus précieux, permet à celui-là qui a reçu, de partager davantage ce qu’il a, de sorte à ce que les générations présentes et celles à venir puissent en bénéficier intellectuellement, spirituellement et culturellement.

Bonne retraite, professeur ! »

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