LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Burkina/Santé : « Le glaucome ne se guérit pas, il se contrôle », Dr Djiguimdé, médecin ophtalmologiste

Publié le mercredi 7 février 2024 à 22h18min

PARTAGER :                          
Burkina/Santé : « Le glaucome ne se guérit pas, il se contrôle », Dr Djiguimdé, médecin ophtalmologiste

Le glaucome, une maladie qui, lorsqu’elle n’est pas vite prise en charge, conduit inévitablement à la cécité. Qu’est-ce qui provoque le glaucome ? Comment se fait le diagnostic et la prise en charge ? Peut-on en guérir ? Ce sont, entre autres, les questions auxquelles a bien voulu répondre Dr W. Pierre Djiguimdé, médecin ophtalmologiste et chef du service d’ophtalmologie et d’exploration visuelle du CHU de Bogodogo.

Lefaso.net : Qu’est-ce que le glaucome en termes simples ?

Dr Djiguimdé : Quand on parle de glaucome, c’est une maladie du nerf de l’œil pour être simple. Dans notre jargon, on dit que c’est une neuropathie progressive. C’est une maladie du nerf de l’œil qui progresse dans le temps et qui, si elle n’est pas prise en charge, va certainement aboutir à une cécité à plus ou moins long terme en fonction soit du type de glaucome, soit du fait d’autres facteurs associés.

Vous avez parlé de types de glaucome. Cela veut dire qu’il n’y a pas un seul glaucome ?

Il n’y a pas un seul type de glaucome. Il y a plusieurs types. Mais grosso modo, pour être simple, on distingue ce qu’on appelle le glaucome chronique et il y a les glaucomes aigus. Chronique parce que ça évolue de façon chronique et aigu parce qu’il y a certaines personnes qui ont des prédispositions qui vont faire qu’elles peuvent, à un certain moment, faire une poussée importante de la tension au niveau de l’œil et entrainer un glaucome qu’on appelle glaucome aigu.

D’ailleurs avant on disait qu’il s’agit d’un glaucome par fermeture de l’angle, mais maintenant on parle de crise d’hypertonie oculaire. Ça veut dire que c’est la tension oculaire qui monte à des niveaux tels que cela va entrainer une souffrance du nerf, une souffrance même de l’œil en général et qui va donner une baisse de la vision. Le glaucome aigu a des signes à l’opposé du glaucome qui, le plus souvent, n’a aucun signe qui attire l’attention du patient.

Avez-vous une idée de la prévalence du glaucome au Burkina ou à défaut dans votre service ?

Il faut dire que nous n’avons pas eu d’enquête nationale pour essayer d’évaluer la prévalence de cette maladie, mais on sait à travers les études hospitalières qu’on fait, que pour le glaucome, la prévalence est autour de 4%. Du reste, on a eu à faire une enquête dans la région du Centre-ouest pour rechercher les causes de la cécité. Et on avait trouvé que le glaucome occupait la deuxième place avec entre 4 à 5% de prévalence.

Nous ici à Bogodogo en tant que structure de référence, entre 30 à 50% de nos patients sont des patients glaucomateux suivis par les médecins. Ce sont des cas spécifiques qui nécessitent un suivi dans le temps par un médecin spécialiste. Et nous, quand on regarde nos consultations journalières, ce sont en majorité les glaucomateux qui sont sur nos listes.

Quelles sont les causes des glaucomes ?

Pour parler des causes, il faut dire que pour la grande majorité des glaucomes, il n’y a pas de causes établies. On parle plutôt de facteurs de risques. C’est un ensemble de facteurs qui, parfois associés, vont faire naître le glaucome. Parmi ces facteurs, il y a un facteur qui est important, c’est le facteur génétique. Si vous avez un parent qui est glaucomateux, vos chances d’avoir un glaucome sont multipliées par trois à quatre par rapport à un patient chez qui les parents n’ont pas exprimé de glaucome.
En dehors de la génétique, il y a le facteur racial ou facteur ethnique. On a constaté que le glaucome était plus fréquent et plus sévère chez nous les noirs.

Malheureusement c’est là où on fait rarement le diagnostic, parce que les patients attendent d’avoir des raisons valables pour venir consulter. Et comme je le disais tantôt, le glaucome chronique évolue à bas bruit. Donc cette évolution silencieuse fait que le plus souvent les patients vont être vus à un stade très évolué où parfois, il n’y a pratiquement plus de solutions.

Il y a d’autres facteurs également. Quand vous prenez les corticoïdes qui sont des antis inflammatoires puissants, anti allergique aussi, quand on les prend de façon prolongée, ça peut induire un glaucome, que ce soit localement au niveau des yeux ou au plan général, si vous prenez des comprimés de corticoïde. Les femmes par exemple qui se dépigmentent à base de corticoïdes peuvent à un certain moment développer un glaucome qu’on appelle le glaucome cortisonique.

Quelles sont les symptômes des glaucomes ?

Dans le glaucome chronique, il faut retenir que sur le plan fonctionnel, ça veut dire ce que le patient va ressentir, c’est pratiquement inexistant. Le glaucome chronique n’a pas de signes, donc ça va évoluer à bas bruit et ça va entrainer une réduction progressive de votre champ visuel. L’espace que chaque œil voit va se réduire progressivement. Malheureusement, c’est la périphérie qui commence à se détruire.

Donc, le patient comme il voit toujours devant lui, il ne se rendra pas compte de cette perte de son espace de vision. Et c’est quand ça va évoluer jusqu’à toucher le centre de son champ visuel qu’il va se rendre compte que l’œil ne voit plus. C’est une très mauvaise maladie. D’ailleurs on l’appelle le voleur de la vue, parce que ça peut vous surprendre et vous donner la cécité sans que vous ne vous rendiez compte.

Y a-t-il un âge auquel on est le plus susceptible de développer un glaucome ?

L’âge est un facteur de risque, mais il y a des glaucomes aussi chez les enfants. Il y a même des glaucomes congénitaux, c’est-à-dire, l’enfant nait avec son glaucome. On dit souvent que lorsqu’un enfant nait avec de trop beaux yeux, il faut craindre le glaucome. Des enfants qui naissent avec des yeux bien gros, bien jolis, les cornées un peu bleutées, quand on regarde l’enfant il est tout beau. Quelques fois, derrière cette beauté, il y a un glaucome congénital. Le glaucome congénital est une urgence chirurgicale parce qu’il faut aller opérer rapidement pour pouvoir préserver la vision de l’enfant.

Le glaucome chronique, lui survient après 40 ans. Mais chez nous les noirs, on a remarqué que ça survenait beaucoup plus précocement. Plus on prend de l’âge, plus on a de risques d’avoir un glaucome. C’est comme l’hypertension artérielle, chez l’enfant c’est moins fréquent que chez l’adulte. En général, dans le glaucome, le facteur important, le facteur primordial, c’est l’augmentation de la tension de l’œil qu’on appelle hypertonie oculaire. Cette hypertension oculaire va exercer une pression importante à l’intérieur de l’œil qui va écraser les fibres nerveuses. Et c’est cette force, cette pression que l’œil exerce sur les fibres nerveuses qui va entrainer la mort progressive du nerf, puisque le nerf est constitué d’environ un million de fibres nerveuses.

Sous l’action du glaucome, il y aura une destruction des fibres nerveuses et quand toutes les fibres contenues dans le nerf vont être totalement détruites, on tombe dans la cécité. Mais tant que ces fibres nerveuses ne sont pas encore totalement détruites, on peut toujours voir. Le nerf peut même être détruit à plus de 90-95% et vous avez toujours une bonne vision de 10/10. Donc si vous attendez que la vision baisse avant de penser au glaucome, c’est que c’est déjà tard.

Le glaucome touche-t-il les deux yeux en même temps ?

Le glaucome chronique, en général, il touche les deux yeux en même temps, mais ça peut être de façon asymétrique. Ça veut dire qu’il y a un œil dans lequel le glaucome peut être plus évolué par rapport à l’autre. Heureusement d’ailleurs, parce que si l’évolution était identique, on risquait de perdre les deux yeux en même temps. Mais vu que c’est asymétrique, c’est l’œil le plus touché qui va être le premier à perdre la vue et c’est souvent ça qui attire l’attention du patient qui vient consulter et on voit que c’est un glaucome chronique qui a déjà eu raison du nerf d’un œil, donc on fera tout pour préserver le peu de vision qu’il y a de l’autre côté.

Comment se fait le diagnostic du glaucome ?

Le diagnostic du glaucome, le plus souvent va se faire soit de façon systématique à l’occasion d’une consultation pour prescription de verres correcteurs par exemple. A l’occasion de la consultation pour désir de verre, on peut trouver qu’il y a une maladie grave derrière et on va commencer à faire un certain nombre d’examens parmi lesquels le plus accessible est le champ visuel.

Il y a d’autres examens comme l’OCT qui est une sorte de tomographie de la rétine et du nerf qui va permettre de quantifier le déficit des fibres nerveuses, le déficit des cellules au niveau de la maculaire qui est le centre de l’œil qui permet d’avoir une bonne vision. Bien sûr pendant la consultation, on aurait pris la tension de l’œil parce que dans la plupart des glaucomes, la tension de l’œil est élevée. Donc quand on voit un patient qui a une tension élevée déjà on pense au glaucome, on va examiner son fond d’œil, c’est-à-dire qu’on va regarder le nerf et, en fonction des caractéristiques du nerf, on va déjà suspecter le glaucome et on va demander des examens complémentaires.

Ensuite, comme je disais qu’il y a un facteur génétique, les enfants, les frères et sœurs de tous les glaucomateux devraient bénéficier d’un examen de dépistage parce que le plus souvent, c’est quand un membre de la famille perd la vue et qu’on se rend compte que c’est le glaucome qu’on recommande aux autres de venir faire une visite. Et il se trouve qu’on se rend compte qu’il y a beaucoup qui avaient le glaucome. Cela permet de les prendre en charge rapidement pour pouvoir prévenir la cécité.

Le diagnostic est clinique et pour la confirmation et le suivi, on a besoin d’examens complémentaires, notamment le champ visuel et la tomographie en cohérence optique qu’on appelle OCT. Au Burkina ces examens sont assez disponibles. Tous ces examens, nous les avons à Bogodogo, on les a dans les structures privées. Donc en matière de diagnostic et de suivi du glaucome, je peux dire qu’on est assez bien lotis.

Comment se fait la prise en charge du glaucome et peut-on en guérir ?

Il faut dire que le glaucome ne se guérit pas, il se contrôle. On peut contrôler le glaucome. Il y a des médicaments qui permettent de contrôler le glaucome. C’est l’hypertension oculaire qui est le principal facteur de risque, presque tous les médicaments actuellement ont pour but de faire baisser la tension de l’œil à un niveau qui n’entraine plus une dégradation du nerf, donc à un niveau qui est dit normal.

Il faut savoir qu’en dehors du glaucome, il y a ce qu’on appelle la mort cellulaire programmée qui existe pratiquement dans tous les organes. C’est-à-dire que votre nerf, même si vous n’avez pas de glaucome, chaque année, il y a un certain nombre de fibres qui vont être détruites progressivement. Mais cette destruction ne va pas vous empêcher de voir toute votre vie. Mais quand on a un glaucome, il y a une augmentation de cette destruction, donc il y a plus de fibres nerveuses qui sont détruites par rapport à ce qu’on devrait avoir de façon physiologique.

Le but du traitement, c’est de préserver le peu du nerf qui reste parce qu’avec le glaucome, les cellules qui sont détruites au niveau du nerf ne vont plus se régénérer. On fait tout pour que celles qui sont toujours vivantes ne meurent pas vite.

Comment prévenir le glaucome ?

Pour prévenir le glaucome, ça dépend parce que comme je le disais, il y a plusieurs types de glaucomes, donc il y a des glaucomes qu’on ne peut pas prévenir. Si ça arrive, il faut prendre en charge. Mais il y a des glaucomes qu’on peut prévenir. Quand on parle par exemple de glaucome cortisonique qui est lié au fait qu’on a trop consommé des corticoïdes, on peut prévenir ce glaucome si on évite les corticoïdes. Il y a aussi certains glaucomes qui peuvent survenir suite à un traumatisme oculaire ou à une inflammation au niveau de l’œil.

C’est ce qu’on appelle les glaucomes secondaires. Là où il n’y a pas de cause, on parle de glaucome primitif, mais quand il y a une cause, on parle de glaucome secondaire. Quand ce sont des glaucomes secondaires, quand on arrive à trouver la cause et à soigner, le glaucome peut disparaître. Si vous prenez des corticoïdes et qu’on arrête, à un certain moment si la tension se normalise, quelques fois on peut suspendre le traitement et observer pour voir si vous n’allez pas rentrer dans un glaucome qui va évoluer pour son propre compte.

Le traitement du glaucome est-il à la portée du Burkinabè moyen ?

Le traitement c’est difficile d’apprécier. De toutes façons, on a des médicaments génériques. Le premier niveau de traitement est accessible parce que le plus souvent, quand on voit un glaucome, on commence par les petits moyens si le glaucome n’est pas avancé. Il y a des fois où même au diagnostic, il faut déjà associer plusieurs molécules, en ce moment ça peut devenir cher. Il faut savoir que la plupart des molécules anti glaucomateuses coutent quand même chers en dehors d’un qui existe en générique et ne coûte pas cher. Le reste, quelques fois, il y a des gens qui ont des glaucomes et qui dépensent dans les 50 à 75 000 FCFA chaque mois. Pour un Burkinabè, je pense que c’est beaucoup.

Comment prendre soin de nos yeux ?

Pour prendre soin de ses yeux, il faut commencer par les protéger. C’est comme lorsque vous prenez soin de votre peau, il y a des pommades, des crèmes de toutes sortes. Les yeux aussi, il faut les protéger. Vous voyez déjà qu’actuellement nous sommes dans un monde du numérique où tout le monde utilise des écrans, il est reconnu qu’il y a des effets néfastes. Il faut donc avoir des protections. Actuellement, il y a des verres, des lunettes qui ont un traitement qui permet de filtrer les rayons nocifs qui sont générés par nos écrans et même par nos ampoules, qui sont maintenant des LED.

Les ultraviolets B qui sont dans ces LED, dans ces écrans vont endommager petit à petit votre œil et c’est quand vous allez avoir 60 ans ou plus, que ça va commencer à se ressentir. Etant donné que la vision est un mécanisme complexe qui met en jeu plusieurs cellules, tant que toutes les cellules ne sont pas mortes, en général on perçoit toujours, mais on peut avoir certains troubles visuels qui peuvent s’exprimer de plusieurs manières, donc il faut se protéger les yeux.

Il faut éviter tous les facteurs qui peuvent entrainer des dommages au niveau de l’œil. Donc éviter l’automédication, parce qu’il y a beaucoup de patients, quand on leur prescrit un médicament qui a bien marché, ils ont tendance à toujours reconduire le traitement chaque qu’ils vont avoir un mal similaire. Ils oublient que lorsqu’on fait la prescription de certains médicaments, il faut une surveillance rigoureuse pour pouvoir diagnostiquer le plus tôt possible un effet secondaire qui peut être néfaste.

Il faut aussi de temps en temps faire des visites, parce que comme beaucoup de maladies au niveau de l’œil sont silencieuses, quelques fois c’est à l’occasion d’une consultation de routine qu’on va se rendre compte que quelqu’un a une maladie très grave alors que cette personne ignorait qu’elle était porteuse de maladie. C’est pourquoi les visites médicales que l’on fait au sein de certains services sont à encourager. Même si ça reste insuffisant, ça permet parfois de diagnostiquer certains problèmes qu’on va référer pour une meilleure prise en charge.

Nous sommes pratiquement au terme de notre entretien, mais avant parlez-nous de votre service ?

Le service d’ophtalmologie du CHU de Bogodogo est un service de niveau 3, c’est-à-dire que c’est le dernier niveau de référence au même titre que les services d’ophtalmo des autres CHU. En tant que structure de référence, on reçoit le plus souvent des cas qui ne peuvent pas être pris en charge à un niveau inférieur. Donc ici, nous faisons des consultations, des explorations, parce qu’il faut dire que le service est assez doté en équipements d’exploration (champ visuel, OCT, rétinophotographie, angiographie, la topographie cornéenne, la biométrie, etc.).

En dehors de cela, nous avons aussi la chirurgie. Nous opérons surtout la cataracte comme la plupart des services d’ophtalmo au monde, elle est l’affection la plus opérée. On prend en charge aussi sur le plan chirurgical le glaucome. Il y a des gens chez qui, après une chirurgie du glaucome, ils peuvent avoir une tension qui reste stable très longtemps et on les surveille seulement et donc plus de traitement. On fait la chirurgie d’autres pathologies.

C’est vrai qu’on attend toujours des consommables pour faire d’autres types de soins assez pointus comme la chirurgie de la rétine, mais on est toujours à la traine parce que l’acquisition des consommables n’est pas aussi simple. Ce n’est pas disponible localement, il faut importer. On espère qu’à l’avenir, on sera au top comme on le dit. Si on met les moyens qu’il faut, je pense que notre structure peut être une référence sous-régionale.

Interview réalisé par Justine Bonkoungou
Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos commentaires

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique