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Médecine traditionnelle au Burkina : « A ce jour, nous avons plus de 350 tradipraticiens reconnus », Dr Hyacinthe Bonkoungou, directeur de la médecine traditionnelle et alternative

Publié le dimanche 4 février 2024 à 22h25min

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Médecine traditionnelle au Burkina : « A ce jour, nous avons plus de 350 tradipraticiens reconnus », Dr Hyacinthe Bonkoungou, directeur de la médecine traditionnelle et alternative

Au Burkina Faso, de nombreuses personnes ont recours à la médecine traditionnelle pour se soigner, que ce soit en milieu rural ou urbain. De nombreuses pathologies sont prises en charge par les tradipraticiens. Mais combien d’eux sont reconnus ? N’existe-il pas de dérives dans le secteur ? Comment pérenniser les ressources forestières où sont prélevées les plantes médicinales ? Que fait le ministère de la Santé et de l’hygiène publique pour la promotion de la médecine traditionnelle ? Autant de questions que nous avons posé à Dr Hyacinthe Bonkoungou, directeur de la médecine traditionnelle et alternative. Lisez plutôt !

Lefaso.net : Quelle est la place qu’occupe la médecine traditionnelle au sein du département de la santé ?

Dr Bonkoungou : La médecine traditionnelle occupe une place importante au sein du ministère de la Santé du Burkina Faso. Elle est reconnue depuis 1994 par le code de santé publique. Des actions telles que la création d’une direction dédiée à la médecine traditionnelle en 2003, l’institutionnalisation de la médecine traditionnelle, la mise en place d’un cadre règlementaire et l’adoption d’une stratégie nationale permet de dire qu’elle occupe une place importante.

Au sein de votre direction, disposez-vous d’une liste de tradipraticiens agréés ?
Oui nous avons une liste de tradipraticiens qui disposent d’une autorisation délivrée par le ministère de la Santé. Nous avons leurs noms, leurs adresses et les pathologies qu’ils traitent. Au sein du ministère, nous autorisons trois pathologies. Pour chaque demande, le tradipraticien ne peut revendiquer que trois pathologies. A ce jour, nous avons plus de 350 tradipraticiens reconnus par le ministère parmi lesquelles des femmes. Pour ce qui est du traitement des pathologies d’enfants, la plupart ce sont des femmes.

Pour mettre sur le marché leurs médicaments, ont-ils besoin de votre autorisation ?

Les tradipraticiens n’ont pas besoin de notre autorisation, ce n’est pas une autorisation de la direction de la médecine traditionnelle et alternative. Mais c’est une autorisation de mise sur le marché comme tout autre médicament. Pour les médicaments de la médecine traditionnelle, il y a plusieurs catégories : 1,2,3 et 4. Pour les médicaments de catégorie 2,3,4 là il faut une autorisation de mise sur le marché et là c’est l’Agence nationale de régulation pharmaceutique qui s’en occupe.

Ces catégories concernent quoi ?

Ces catégories concernent la préparation et la finition du médicament. Si vous prenez la catégorie 1, ces médicaments n’ont pas besoin d’autorisation de mise sur le marché. Ce sont des médicaments préparés extemporané. Cela veut dire, par exemple, que lorsqu’un malade se présente chez le tradipraticien et dit qu’il a mal à la tête, le tradipraticien se lève, rassemble quelques plantes et prépare le médicament pour lui donner sur place, le médicament n’est pas préparé à l’avance. Ce type de traitement fait spontanément pour le patient n’a pas besoin d’une autorisation de mise sur le marché.

Mais si le tradipraticien veut qu’un médecin prescrive son médicament ou que son médicament soit dans les officines pharmaceutiques, il faut que le médicament ait une autorisation de mise sur le marché. Là ce sont les catégories 2,3 et 4. Nous conseillons mais nous ne surveillons pas les médicaments sur le marché.

Médicaments traditionnels riment avec plantes, or les ressources ne sont pas éternelles. Qu’est ce qui est fait à votre niveau pour garantir la pérennité des ressources ?

C’est vrai que les plantes se font rares, mais il y a non seulement ça, mais aussi le terrorisme qui fait que certains sites de récolte de plantes médicinales ne sont plus accessibles. Nous sensibilisons les tradipraticiens à avoir leurs propres ressources en matière de plantes médicinales. Au sein de la direction, nous avons un projet qui nous tient à cœur, à savoir 1 000 tradipraticiens, 1 000 champs de plantes médicinales que nous avons des difficultés à mettre en œuvre à cause du financement. Mais il y a quand même certains tradipraticiens, qui grâce à nos sensibilisations, ont déjà leurs champs et qui ont besoin de moyens pour la clôture, mais aussi pour les systèmes d’irrigation pour pouvoir arroser et entretenir leurs champs en saison sèche. Même s’ils sont en ville, ils peuvent avoir des champs dans les villages. En fonction des zones climatiques, nous avons différents types de plantes. Il y a des plantes qui ne peuvent pas pousser à Ouaga, même si le tradipraticien y a son terrain. Ce qui fait qu’ils ont des sites un peu partout. Mais il faut que l’Etat crée des pôles de culture des plantes médicinales.

Quelles sont les difficultés de la médecine traditionnelle ?

Les difficultés sont diverses. Il y a d’abord le manque de financement. Tout le monde sait que l’argent, c’est le nerf de la guerre, sans argent, nous ne pouvons rien faire. C’est vrai que la médecine traditionnelle est reconnue, mais jusqu’à présent les données de la médecine traditionnelle ne sont pas prises en compte. Nous sommes en train de travailler pour que les données de la médecine traditionnelle puissent être prises en compte dans le système national d’information sanitaire. Aujourd’hui, si on demande quel est le nombre de patients qui ont consulté chez les tradipraticiens, on ne peut pas le dire. Si on dit par exemple qu’au Burkina, 1 000 enfants ont bénéficié d’un traitement contre le paludisme, ce sont les données du système conventionnel, jusqu’à présent les données de la médecine traditionnelle ne sont pas capitalisées, nous travaillons à cela. Pour qu’on accorde de l’importance à la médecine traditionnelle, il faut qu’on puisse savoir ce qu’elle apporte. Cela passe par la collecte des données et leur intégration dans le système d’information sanitaire.

Nous travaillons aussi à ce que les tradipraticiens quittent dans leur système traditionnel et commencent à entreprendre, à créer des petites et moyennes entreprises pour avancer dans leur domaine. Tout ne peut pas venir de l’Etat, il faut que les tradipraticiens aient aussi un esprit de création d’emplois, d’entreprenariat pour pouvoir bien exercer leur travail.

Quelles sont les pathologies les plus traitées par les tradipraticiens ?

La plupart des pathologies que nous rencontrons au Burkina Faso sont prises en charge par les tradipraticiens. Que ce soit les maladies prioritaires, les maladies émergentes, les cancers (il y a des tradipraticiens qui proposent des traitements), le diabète, l’hypertension, etc.

Vous arrive-t-il de constater des dérives dans le secteur ?

Il nous arrive de constater des dérives, il n’y a pas d’activité où il n’y a pas de brebis galeuses. Là où il y a une activité, il y a de mauvaises personnes qui peuvent s’y insérer et travailler à gâter le nom de ceux qui travaillent honnêtement. Ceux qui travaillent honnêtement, on leur conseille toujours de référer à l’hôpital, les cas qu’ils ne peuvent pas prendre en charge. Il y a des pathologies aussi qu’on sait qu’au niveau médical, c’est par traitement chirurgical. Pour ce genre de pathologies, nous demandons toujours aux tradipraticiens d’éviter de garder un patient dans ces circonstances. Mais ça n’empêche pas qu’il y ait des gens qui n’écoutent pas et font ce qu’ils veulent. Mais nous travaillons aussi à règlementer cela, à surveiller cela. C’est vrai qu’actuellement, c’est une sensibilisation, ce sont des conseils, mais il faudrait qu’un jour on puisse sévir pour que les gens sachent qu’on ne vient pas à la médecine traditionnelle pour le gain, mais c’est pour réellement soigner comme cela se faisait dans le temps.

Que faites-vous concrètement pour la promotion de la médecine traditionnelle ?

Ce que nous faisons, c’est que nous travaillons beaucoup avec les premiers acteurs que sont les tradipraticiens. C’est parce qu’il y a des praticiens de la médecine traditionnelle que le ministère de la Santé a jugé bon de créer une direction dédiée à la médecine traditionnelle. Nous travaillons à les sensibiliser, à les former pour qu’ils puissent produire des médicaments qui sont sûrs, efficaces et d’innocuité prouvée. Nous les accompagnons aussi à ce qu’il y ait l’hygiène dans leurs cadres de travail.

On ne peut pas prodiguer des soins et ne pas être dans un milieu hygiénique. Non seulement l’hygiène propre à eux et l’hygiène de leurs cadres de travail. Nous les formons également pour qu’ils quittent le fait de travailler à domicile pour être hors domicile. Nous sommes dans un milieu de soins, il y a des maladies qui sont contagieuses, le fait de travailler à domicile peut non seulement créer des problèmes aux tradipraticiens mais également à leurs familles. D’où la nécessité de les amener à créer des petites et moyennes entreprises, avoir leurs centres de soins traditionnels ou leurs cabinets de soins traditionnels comme on le voit dans la médecine conventionnelle.

Interview réalisé par Justine Bonkoungou
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