LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

Burkina/Histoire : Fondation commandant Amadou Sawadogo, un hommage né d’une révolte et d’une injustice, selon Marie Rose Sawadogo

Publié le mercredi 18 octobre 2023 à 23h00min

PARTAGER :                          
Burkina/Histoire : Fondation commandant Amadou Sawadogo, un hommage né d’une révolte et d’une injustice, selon Marie Rose Sawadogo

Victime d’un attentat le 18 juillet 1984 qui lui ôtera la vie trois semaines plus tard, le commandant Amadou Sawadogo était le chef adjoint des Forces armées nationales voltaïques depuis août 1983. N’ayant jamais eu de réponses aux questions sur la disparition de son mari, Marie Rose Sawadogo née Ouédraogo, veuve du défunt, a créé une fondation en son honneur. Une façon pour elle de lui rendre un hommage.

Perpétuer la mémoire de l’homme qui, selon son épouse, Marie Rose Sawadogo, a été victime d’une « injustice et d’un oubli », est l’objectif premier de la création de la fondation commandant Sawadogo Amadou pour l’humanité. Elle a été créée en 2014, soit 30 ans après son décès. « Cette fondation met en trait les valeurs qui ont gouverné la vie du commandant. C’est-à-dire l’aide au prochain, l’ouverture, la cohésion sociale et la paix », justifie la veuve Sawadogo. La fondation a officiellement ouvert ses portes en 2015 et possède une bibliothèque. D’autres activités, essentiellement humanitaires, y sont menées.

Marie Rose Sawadogo/Ouédraogo :" la fondation travaille à réouvrir le dossier de l’assassinat de mon mari"

Parmi le lots d’activités, il y a l’octroi de crédits à des jeunes pour leur permettre de commencer une activité génératrice de revenus. Ces jeunes regroupés en associations, font pour certains le commerce, d’autres la restauration, l’élevage ou l’agriculture. L’appui financier de la fondation leur a permis de booster leurs activités. Youssouf Bagaya a bénéficié d’un prêt de 100 000 francs CFA pour agrandir son kiosque à café à Ouahigouya. « Nous étions 54 jeunes âgés de 25 à 32 ans composés de 30 filles et de 24 garçons à obtenir un crédit de la fondation en 2017. Ça nous a permis de faire évoluer notre activité », nous a-t-il confié au téléphone.

Youssouf Bagaya, bénéficiaire d’un appui financier de la fondation pour son kiosque à Ouahigouya

La fondation a aussi aidé des malades à honorer leurs frais de soins chirurgicaux, d’hospitalisation pour un montant de trois millions de francs CFA. Elle vient en aide à certains élèves pour leurs frais de scolarité, soit totalement ou en partie pour leur permettre de continuer à étudier. « Nous avons formé une vingtaine de jeunes en art oratoire, et nous continuons à voir ce que nous pouvons faire comme œuvre sociale. J’essaie d’aller dans la droite ligne de ce qu’était le commandant dans le social. C’est-à-dire l’humaniste qui se tournait vers les autres », indique la responsable de la fondation.

De plus, pour les enfants qui n’ont pas de domicile fixe, la fondation offre des repas pendant les fêtes. Toutes ces activités ont été menées sur fonds propres de Marie Rose Sawadogo. Étant entre deux continents, elle affirme ne pas être allée vers les gens pour avoir des financements car elle ne serait pas en permanence présente pour superviser les dépenses qui devraient être justifiées. « Mais j’envisage rencontrer le bureau pour redynamiser tout cela et voir comment l’on va faire », a-t-elle précisé. A la question de savoir si certaines autorités l’ont approché depuis la création de la fondation, dame Sawadogo répond par la négative. « Il faut dire les choses dans les deux sens, ils ne m’ont pas approché et moi aussi je ne les ai pas approchés. »

La bibliothèque de la fondation Amadou Sawadogo pour l’humanité est bondée de livres de tout genre

Une bibliothèque qui accueille des centaines de personnes par mois

Sur place, nous découvrons des centaines de livres de diverses catégories. Des livres sur le développement personnel, la politique, l’histoire, la géographie, le droit, la littérature africaine et européenne mais aussi des documents sur l’Assemblée nationale burkinabè car Marie Rose Sawadogo a été député de 2015 à 2020.
Les étudiants qui y viennent pour lire, sont les principaux lecteurs de cette bibliothèque. C’est un espace ouvert et gratuit pour tous, avec pour seule condition de lire sur place sans emporter les livres, nous précise Patricia Tapsoba, gérante de la bibliothèque. « Par mois, on peut recevoir 200 personnes ici. Il y a des romans européens et africains. Il y a des documents sur la politique, la géographie, l’histoire. Nous avons plusieurs types de livres », assure-t-elle.

Patricia Tapsoba gérante de la bibliothèque qui accueille environ 200 personnes par mois

Il faut dire que la connexion internet disponible attire les étudiants et presque toutes les catégories de personnes qui désirent faire des recherches. Soumaïla Ilboudo est livreur de profession et fréquente cette bibliothèque depuis au moins deux ans. « Je suis très souvent occupé mais je viens lire ici car je suis passionné de la lecture », a-t-il déclaré mais avoue ne pas avoir d’informations sur la personne du commandant Amadou Sawadogo.

Mélaine Dahourou, étudiant dans le domaine de l’énergie à l’université virtuelle, quant à lui vient à la bibliothèque pour suivre ses cours en ligne en toute tranquillité. Cela fait huit mois qu’il fréquente les lieux. C’est sur la page Facebook de la fondation qu’il a eu des informations sur le commandant Amadou Sawadogo. En effet, sur cette page, Marie Rose Sawadogo retrace l’attentat du commandant, sa mort, l’hommage national qui a été fait lors de son décès quand le corps est revenu. « Je publie de temps en temps certaines de ces lettres car il était un très bon écrivain. Je rappelle chaque année la date de son attentat. »

Pour mieux graver la mémoire de son mari dans les annales, elle est en train de rédiger un livre sur la vie du commandant. « Je suis à 434 pages et je pense que je vais en faire en plusieurs tomes. Je réfléchis sur les titres et ça prend du temps car je suis loin d’avoir fini. Mais si Dieu me prête longue vie, le livre va finir » a-t-elle confié.

Mélaine Dahourou étudiant suit ses cours en ligne à la bibliothèque grâce au wifi disponible

« Je ne peux pas laisser la mémoire de mon mari s’éteindre »

« La mise sur pied de la fondation est née d’une révolte personnelle car ça fait 39 ans que le commandant est mort, 39 ans que j’ai poursuivi le dossier au niveau de la justice pour qu’on puisse savoir ce qui s’est passé », dit-elle. Selon la veuve Sawadogo, sa révolte vient aussi du fait qu’au Burkina Faso, il y a certains morts qui sont érigés en héros tandis qu’on ne parle pas des autres. « Je me suis dit que je ne peux pas laisser sa mémoire s’éteindre et le laisser sombrer dans l’oubli. Il faut que les gens le connaissent », ajoute-t-elle.

Dès son assassinat en 1984, Marie Rose Sawadogo dit avoir déposé une plainte contre X qui n’a pas abouti. Ensuite, en 1992, sachant qu’au bout de dix ans le dossier serait classé, elle s’est adressée au Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuple (MBDHP) qui a commis un avocat, mais l’affaire n’est allée nulle part. Le dossier a donc par la suite été classé. « Non content d’avoir tué mon mari, sans réponses, on me faisait du chantage, j’étais filée et de manière ostentatoire. Je descendais de ma voiture pour leur dire qu’ils sont inintelligents car je savais qu’ils me suivaient. Quand ils ont vu que cela ne m’intimidait pas, ils ont arrêté. Mais ma famille m’a alors suggéré de quitter le pays avec mes enfants. J’ai dû m’exiler », nous raconte-t-elle avec amertume.

Photo de mariage de Amadou Sawadogo et de Marie Rose Sawadogo en 1975

Malgré les années et le temps écoulés, dame Sawadogo espère toujours avoir des réponses sur l’assassinat de son époux. « Mon seul souhait est qu’on puisse ouvrir le dossier de l’assassinat de mon mari et que l’affaire puisse s’éclaircir. Et le commandant Amadou Sawadogo n’est pas le seul, il y a des centaines de personnes qui ont été tuées au Burkina Faso. Il nous faut des réponses pour avoir la paix du cœur. Une fois que nous aurons ces réponses, mes enfants et moi rendront grâce à Dieu », nous dit-elle en feuilletant des albums photos de son mari soigneusement gardés.

Elle affirme avoir mis 20 ans avant de reprendre goût à la vie. Avec ses deux enfants qui, à l’époque du drame étaient en bas âge, elle a dû faire face avec l’absence de son mari et les protéger contre l’inconnu. Elle pointe du doigt le fait de favoriser certains crimes au détriment d’autres. « Ce n’est pas normal que certains dossiers dits dossiers emblématiques aboutissent et que d’autres ne connaissent pas d’aboutissement. Quel est la devise du Burkina ? C’est Unité progrès justice ! Il faut qu’on me rende justice et qu’on rende justice à mes enfants. Parce que quand mon mari mourait, j’avais 32 ans, mon fils avait quatre ans et ma fille deux mois. J’ai dû me battre pour qu’ils arrivent où ils sont et c’est tout un traumatisme que je porte. Je ne demande pas qu’on condamne les gens ou qu’on les enferme car de toutes les façons ça ne me rendra pas mon mari. Ce que je demande, c’est de savoir ce qui s’est passé et qui sont les commanditaires. C’est un minimum que l’Etat me doit », a-t-elle réclamé.

Selon elle, cette fondation lui permet de transcender le traumatisme et de le transformer en un point positif. En termes de perspectives, la fondation souhaite continuer à appuyer les jeunes et les personnes qui ont des problèmes sociaux. Surtout au niveau de la santé ou l’absence d’assurance santé et la cherté des soins sont des freins au Burkina Faso. « Il y a énormément de personnes qui ont des problèmes mais ne peuvent pas aller dans un centre de santé faute d’argent. On ne peut pas tout faire, mais il s’agit d’aider le maximum possible. Il y aussi le volet du chômage car beaucoup de jeunes finissent les études et sont sans travail. Nous voulons les accompagner vers l’entrepreneuriat. »

Marie Rose Sawadogo en train de regarder les albums photo de son mari

Né le 18 décembre 1947 à Kaya, Amadou Sawadogo fait ses études primaires de 1954-1959 à Kaya en Haute Volta. Il poursuit ses études secondaires de 1959-1967 à l’École militaire préparatoire de Saint Louis, au Sénégal. Après le choix d’une carrière militaire, il entame des études supérieures dans des écoles émérites. Le mercredi 18 juillet 1984, vers 20h50 aux environs du barrage n°3 de Ouagadougou, des individus armés de mitraillettes, à bord d’une camionnette Peugeot 404 bâchée blanche non immatriculée, ouvraient le feu sur son véhicule le blessant gravement. Evacué en France pour des soins, il décède le 7 août 1984 à l’âge de 37 ans.

Farida Thiombiano
Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos commentaires

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique