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"Affaire guérisseuse de Komsilga" : « Depuis qu’Adja est partie, chaque jour on enterre quelqu’un », assurent ses proches

Publié le dimanche 6 août 2023 à 22h49min

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Après l’exfiltration de la « guérisseuse de Komsilga » Amsétou Nikièma, interpellée par les forces de l’ordre et libérée par des individus se réclamant de l’Agence nationale des renseignements, les syndicats des magistrats ont annoncé un arrêt des activités de tous les magistrats. Et cela, jusqu’à ce que la guérisseuse soit réintégrée à la maison d’arrêt et de correction. Pendant ce temps, ses milliers de patients n’attendent qu’une seule chose : son retour. Une équipe de Lefaso.net s’est déportée à Rakissé, village dans lequel Adja Amsétou Nikièma exerce ses fonctions de guérisseuse, le mercredi 2 août 2023 pour y faire le constat, une semaine après son absence.

La route qui mène à Rakissé, village dans lequel Adja Amsétou Nikièma exerce ses fonctions de guérisseuse, est très tortueuse à partir de Komsilga. Et à l’approche du site, le monde fou que l’on aperçoit impressionne, tant on a l’impression de se retrouver au centre d’un marché perdu en plein milieu de la brousse. En jetant un coup d’œil rapide sur l’étendue du site, on n’a pas l’impression d’être dans un endroit où l’on prodigue des soins. L’atmosphère ne laisse rien de tel transparaître. On peut juste apercevoir des centaines de huttes disposées sur le sol, des bâtiments en dur et d’autres en terre, de longues rangées de boutiques, des mosquées, des restaurants qui jouxtent des étals de commerce, etc. L’endroit grouille de monde et les installations sont à perte de vue.

Notre guide du jour se nomme Zakaria Nana. Cela fait quelques années qu’il s’y est installé pour commercialiser certains articles, lui qui, à la base, vit à Ouagadougou. A la question de savoir d’où vient tout ce beau monde, il répondra : « la plupart sont des malades ou leurs accompagnants. Certains ont recouvré la santé et ont décidé de rester. Pour ne pas demeurer là, oisifs, ils se sont trouvé quelque chose à faire à travers le commerce. D’autres sont juste de passage pour faire des achats ». C’est avec lui qu’on entrera dans le cœur même du site pour le découvrir dans tous ses coins et recoins, mais avec pour cible principale, les malades.

Au fur et à mesure que l’on progresse, on aperçoit des hommes et femmes visiblement souffrants. Nous fûmes d’abord choqués lorsque nous vîmes des hommes quelques fois seuls, quelques fois en duo, marcher avec des chaînes aux pieds, exactement les mêmes qui servent à attacher les chiens méchants. « Ce sont des malades mentaux. Il y en a beaucoup ici. Certains par exemple ne sont pas dans un état critique. Leurs cas ne nécessitent pas qu’on les enchaîne. D’autres par contre sont très violents, très agressifs. Si on les libère, ils vont s’enfuir. Ceux-là, on est obligé de les enchaîner. On n’a pas d’autre choix » nous explique notre guide.

Chaque chaîne sur cet arbre est le symbole de la guérison d’un fou soigné par Adja. Il y en a plus de 300

Zakaria Nana nous entraîne ensuite vers un hangar sous lequel on peut voir plusieurs malades souffrant de plusieurs maux : maux de ventre, de tête, de dos, de pied, etc. Certains se tiennent debout pour nous observer, sans dire mot, scrutant tous nos faits et gestes. Quelques-uns nous ont accompagnés dans notre randonnée. D’autres par contre restent couchés, se tordent sévèrement de douleurs en poussant des cris tantôt sporadiques, tantôt continus.

Les « Ban kiēngua rãmba » ou cas graves

Le site d’Adja Amsétou Nikièma, qui aurait accompli son premier miracle à 17 ans, abrite des milliers de malades qui viennent pour trouver un remède à leurs maux. Parmi eux, il y a ceux qu’on appelle les « Ban kiēngua rãmba » ou cas graves en moré. Ils sont installés sur le côté ouest du site. Il est difficile de déterminer leur nombre exact. Leurs jours sont comptés et ils doivent urgemment recevoir des soins, au risque d’être prématurément emportés par la mort, nous assure notre guide. Parmi ces malades, deux cas retiennent notre attention. Le premier est celui de Robert Natama, un quadragénaire qui souffre d’un mal de pied.

Assis aux côtés de ses accompagnants, il a recouvert le membre infecté d’un pagne pour ne pas gêner les autres patients. Lorsqu’il l’ôtera pour qu’on constate de visu l’état de son pied, une odeur nauséabonde envahit les lieux, attirant une nuée de mouches. A première vue, on aurait dit l’éléphantiasis. Mais selon lui, ça n’est pas le cas, sinon, il aurait eu des soins appropriés à l’hôpital. « Si je vous dis que je sais comment mon mal a commencé, je vais vous mentir. Franchement je ne sais pas ce qui a causé ça. Je suis là depuis deux semaines. On a eu une première visite avec elle (Adja, la guérisseuse) et elle nous a dit que la prochaine fois elle nous donnerait les médicaments pour qu’on puisse commencer le traitement. C’est quand on s’apprêtait à recevoir les soins que le malheur a frappé. Franchement, je ne sais que faire », nous confie-t-il d’une voix à peine audible.

Selon Robert Natama, l’état de son pied se dégrade depuis qu’Adja n’est plus là

Le deuxième cas est celui de la petite Olivia Ouédraogo. Elle a six ans. Elle ne parle pas, ne marche pas. Elle se contente juste de grommeler, a du mal à dire papa ou maman, et quand elle veut faire ses besoins, c’est sur place qu’elle s’exécute. Nous la trouvons le visage poissé par la morve et la bave, aux cotés de sa mère qui s’applique itérativement à essuyer son visage à l’aide d’un gros torchon qu’elle lave toutes les cinq minutes. « Nous avons fait le tour des hôpitaux. Nous sommes allés à la pédiatrie, sans obtenir gain de cause. Nous sommes ici depuis trois mois. Avant, Olivia ne mangeait pas. Ce n’est que récemment, avec les traitements d’Adja, qu’elle a recommencé à manger. Mais le problème, c’est qu’on n’a pas eu le reste du traitement. On ne sait pas ce qui va se passer maintenant qu’Adja n’est plus là », craint sa mère.

« Olivia essaie de se lever mais elle n’y arrive pas. Ce matin en voulant se lever, elle est retombée sur son front » sa mère

Selon Zakaria Nana, la situation va de mal en pis car chaque seconde est une grâce pour ses patients. Malheureusement, l’absence de la guérisseuse fait des victimes. « Depuis qu’Adja est parti, chaque jour on enterre quelqu’un. Chaque jour. Les trois premiers jours qui ont suivi son interpellation, nous avons enterré quatorze personnes. Les jours qui ont suivi c’est au minimum deux personnes par jour. Actuellement, nous avons arrêté de compter, mais je sais qu’à la date du lundi (31 juillet), nous étions à plus de 20 morts. C’est vraiment douloureux » s’exclame-t-il.

Les patients en file indienne sur cette photo reçoivent dans un récipient une eau qui permet de ralentir l’accélération de la maladie. Mais pour ce qui est des remèdes, seul Adja sait quel médicament administrer à quel malade

Nous demandons pardon à la justice

La célèbre guérisseuse a été interpellée le vendredi 28 juillet 2023, avec une dizaine de proches après la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant un quinquagénaire battu par des individus se réclamant de cette guérisseuse. Déférés devant le tribunal de grande instance Ouaga II, ils ont été inculpés pour « séquestration, coups et blessures et complicité ».

Le tribunal a été encerclé par des militaires en armes, venus exiger qu’on leur remette Adja Amsétou Nikièma. Cela alors que les prévenus attendaient leur transfèrement à leur lieu de détention, résume un communiqué du procureur général, Laurent Poda. Aux premières heures du samedi 29 juillet 2023, cette dernière était remise à des hommes se présentant comme étant membres de l’Agence nationale du renseignement par le directeur général de l’administration pénitentiaire, qui dit avoir agi sous ordre du ministre en charge de la justice. Cela a déclenché la colère des syndicats de magistrats, qui ont immédiatement décrété l’arrêt des activités des magistrats.

Dans la foulée de cette arrestation, une marche avait été organisée par ses patients et sympathisants pour demander sa libération.

Depuis, cette guérisseuse d’une vingtaine d’années que l’on dit dotée d’immenses pouvoirs est hors radar. Personne, ni la justice, ni ses sympathisants, ne sait où elle se terre. Pour ses patients qui souffrent le martyr, elle ne reviendra sûrement pas tant que la justice ne la déchargera pas complètement des faits qu’on lui reproche. C’est la raison pour laquelle ils demandent la clémence de la justice. « Nous demandons pardon à la justice. Nous demandons de laisser Adja revenir soigner les malades. On demande vraiment pardon ! Moi je suis venu ici en 2019. Ce n’est que récemment que j’ai eu la santé mais il y a d’autres gens qui sont ici et qui souffrent. On demande de la libérer pour qu’elle puisse venir soigner les malades », a souhaité Amidou Sini, un patient guéri de sa folie.

"J’étais habité par les génies. Quand on est venu, ce n’était pas du tout simple. Maintenant ça va mais mon petit frère aussi est ici" Amidou Sini

« Cela fait trois ans que je suis ici. Il n’y a jamais eu de dérive pareille. Si les humains sont à la base de leurs problèmes, c’est qu’ils peuvent aussi trouver la solution à leurs problèmes. Tout ce qu’on peut dire à la justice, c’est pardon. Nous acceptons et reconnaissons nos torts. Il faut regarder le monde qu’il y a derrière elle. Il y a des vieux, des vieilles, des enfants, des orphelins, des personnes qui souffrent de maux de tête, de maux de ventre, même ceux qui ne trouvent pas leur remède à l’hôpital sont ici. Si elle n’est pas là, comment allons-nous faire ? », s’interroge l’imam, appelé affectueusement Ladji.

" Il y a des gens de plusieurs nationalités : burkinabè, nigérien, malien, ivoirien, togolais, sénégalais, guinéen, etc. Il faut qu’Adja revienne sinon on est foutu" Ladji

« Si je dois estimer tout l’argent que j’ai dépensé pour me soigner, je pourrais acheter trois scooters originaux. Me voilà aujourd’hui, je n’ai plus rien. Mais depuis que je suis ici, je n’ai pas déboursé 1 franc. Je me soigne gratuitement. C’est Adja qui fait tout. Tout c’est elle. Moi je suis veuve. Mon mari est décédé me laisser avec quatre enfants à ma charge. Je suis là avec mes enfants. Je ne sais même pas s’ils iront à l’école cette année vu que je n’ai personne qui m’épaule. Je demande pardon à la justice. Je demande de la laisser pour qu’elle puisse venir nous soigner, pour que je puisse m’occuper de mes enfants. Si elle ne vient pas, je fais comment pour que mes enfants deviennent des hommes de demain ? Quand tu n’as plus rien à manger, Adja te donne de quoi manger. Quand ton cas devient grave et qu’on t’emmène chez elle, elle s’occupe de toi immédiatement. Tout ce que je demande c’est pardon à la justice. Qu’elle ait pitié et la laisse pour qu’elle puisse venir s’occuper de nous », s’est exclamé Rakièta Yanogo.

Arrivés sur les lieux aux environs de 15h00 c’est à 18h30 que nous reprenions le chemin du retour, laissant derrière nous des patients toujours en larmes et qui disent s’en remettre à Dieu, avec le ferme espoir que revienne à leurs côtés, leur sauveur : Adja Amsétou Nikièma.

Erwan Compaoré
Lefaso.net

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