Burkina : De l’effort de guerre à l’effort de paix, pas seulement une question de sémantique
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Le gouvernement burkinabè courant avril et mai 2023 a demandé aux autorités religieuses et coutumières du pays des célébrations de journées de prières et de jeûne pour un retour rapide et définitif de la paix dans le pays. Auparavant, le gouvernement du Mouvement patriotique pour le salut et la restauration (MPSR2) avait lancé dès le 11 janvier 2023, la création d’un Fonds de soutien patriotique qui vise à mobiliser une somme de 100 milliards de francs CFA pour la prise en charge des volontaires pour la défense de la patrie. Depuis que les hommes se font la guerre, ils recherchent le nerf de la guerre. Comment financer la guerre et l’après-guerre ? Comment gagner la paix et la préserver sont les questions posées et à résoudre ? Et elles nécessitent la participation populaire.
Depuis le recours aux autorités spirituelles, il y a comme un supplément d’âme chez certains, les contributions pour le Fonds de soutien patriotique sont de moins en moins appelées participation à l’effort de guerre mais plutôt participation à l’effort de paix. Assistons-nous à un changement de paradigme ? Où y a-t-il une ambiguïté lexicale entre la guerre et la paix ? Ce choix du vocabulaire ne doit-il pas nous emmener à des choix comportementaux ? Si nous devons faire des efforts de guerre ou de paix, les plus importants ne sont-ils pas ceux que nous devrons faire sur nous-mêmes ?
Depuis que nous sommes en guerre contre les groupes terroristes, voilà huit ans, si les pouvoirs successifs ont reproché à leurs prédécesseurs, leur incapacité à vaincre nos agresseurs, de Roch Marc Christian Kaboré à Ibrahim Traoré en passant par Paul Henri Sandaogo Damiba, tous, sans exception, ont eu recours à Dieu et ont demandé des prières.
La mobilisation des ressources financières
L’originalité du MPSR2 dans la lutte contre le terrorisme, c’est le recours au soutien populaire, à la participation populaire pour financer la guerre. Il y a eu un angélisme qui a consisté à croire que les contributions volontaires suffiraient à mobiliser assez d’argent pour la lutte pour restaurer l’intégrité du territoire. C’est avec le recours à la fiscalité que le gouvernement a senti que l’on pouvait avoir de l’argent avec les Burkinabè.
Les contributions au Fonds de soutien patriotique se font essentiellement par les taxes sur les biens de consommations non essentiels : boissons alcoolisées, tabacs, parfums... Et la dernière revue fait état de 20 milliards de FCFA mobilisés en trois mois. Il n’y a comme participation à l’effort de guerre aucune taxe sur le capital. Et cela n’est pas équitable. Il est vrai que ce n’est pas facile de taxer les capitalistes, avec leurs armées de juristes et d’avocats, ils peuvent très vite organiser leur insolvabilité et fuir avec leurs capitaux et plonger davantage le pays dans le marasme.
Mais y réfléchir est un début de solution. Car quand on regarde dans l’histoire, c’est dans les périodes de guerre que les impôts sur les fortunes et les revenus élevés ont été introduits dans des pays comme la Grande Bretagne et les Etas unis et à des taux tels que beaucoup assimileraient ces régimes à des régimes socialistes ou communistes alors que ce sont des libéraux avec des idéologues comme Keynes qui proposent ces taxes. Nous au Burkina Faso, nous avons notre Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS) qui ne voit la richesse que dans l’esclavage salarié. Quand bien même, le gouvernement a lancé la mobilisation générale, il n’y a aucune visibilité et une lisibilité sur la mobilisation générale des ressources du pays.
La guerre que nous vivons ne peut pas être comparée aux guerres du passé. Nous sommes un pays en guerre qui ne produit ni ses armes ni ses munitions. Même les tenues de nos soldats et leurs chaussures sont importées. Nous recherchons une souveraineté sur notre territoire dans une grande dépendance sur les armes du combat et c’est là toute la difficulté. Cette vulnérabilité au niveau des armes se retrouve dans la sécurité alimentaire avec 10% de la population comme personnes déplacées internes.
Comment assurer la souveraineté alimentaire du pays alors que dans les régions à hauts défis sécuritaires et les villages sous blocus l’agriculture pluviale sera très difficile cette saison ? Que faire si les zones réputées excédentaires n’arrivent pas à produire ? La mobilisation générale voudrait que le pays sous la direction du gouvernement soit un vaste champ de brainstorming sur nos problèmes et comment les résoudre. Ce pays a un vaste vivier de personnes ressources capables de penser pour demain et de nous sortir de ce merdier.
Il suffirait que les autorités le veuillent et montrent leur désir d’accepter tout le monde, de rassembler tout le monde pour gagner la guerre et la paix. Quand on parle d’effort, cela veut dire « mobiliser et mettre en œuvre toutes ses forces et ses ressources en vue de vaincre une résistance, d’atteindre un objectif ». A l’échelle d’un pays, il s’agit de rassembler, de mettre en œuvre, en action toutes les forces sociales pour gagner la guerre, gagner la paix. On peut avoir des idéaux, mais si on n’observe pas le monde réel, si on ne le comprend pas, on n’arrivera pas à le transformer.
L’effort de paix, un effort de tous et de chacun, pour des perspectives grandioses
Il n’y a pas d’ambigüité lexicale entre guerre et paix, il y a une flagrante contradiction entre la guerre et la paix et la relation sémantique entre les deux termes n’est pas loin de la conflagration. Pourtant une maxime dit : « si tu veux la paix prépare la guerre ».
Cette sagesse montre la relation entre la guerre et la paix qui sont comme deux faces d’une même médaille. Et qui font qu’en faisant effort de guerre on fasse effort de paix comme l’ont suggéré les religieux. La paix veut qu’on fasse l’effort du dialogue entre compatriotes, entre générations pour que chacun sache ce que le pays peut lui offrir et ce qu’il lui doit.
Le pays doit offrir l’éducation à ses enfants, tous ses enfants et des chances de s’insérer dans le monde du travail. Il est superflu de dire que l’absence de dialogue entre fils et générations du Burkina, le manque d’éducation et de travail sont des causes de la guerre que nous vivons en ce sens que depuis les sécheresses de 1970, les sociétés pastorales sont en crise par manque de bétail, de travail, d’éducation, ce qui rend les jeunes de ces communautés vulnérables et des proies faciles à l’enrôlement dans les groupes terroristes. Le changement de paradigme proposé en parlant d’effort de paix, multiplie les perspectives du combat en ce sens qu’il nous demande des efforts sur nous-mêmes et sur les autres. Pour faire la paix, il faut déjà être en paix avec soi-même.
Avoir la paix du cœur et de l’esprit pour accepter les autres, les écouter et les comprendre. Ce qui ne signifie nullement qu’on abandonne la conquête de l’intégrité du territoire, mais qu’on sait analyser le monde, le réel et le comprendre. En ce sens la mise à prix des têtes de chefs terroristes par le ministère de la Sécurité du Burkina, nous semble procéder de cette recherche de préhension et de compréhension du fait terroriste qui ne passe pas seulement par le coup de feu.
Sana Guy
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