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Voeux de nouvel an : Travaillons, prenons de la peine !

Publié le vendredi 30 décembre 2005 à 08h36min

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Ne dit-on pas que le passé est la graine du présent qui,
lui-même, porte les germes du passé ? Dans moins de
quelques heures, l’implacable horloge de l’histoire va sonner le
glas de l’année 2005 qui cédera la place à 2006.

Dans
l’intervalle, dans l’euphorie des congratulations, des singeries,
des beuveries et des navets culturels importés, peu feront leur
examen de conscience pour se rappeler que 2005 n’aura été
que la moisson de ce que nous avons semé l’année
précédente.

Certains, pris par le vertige d’une société
essentiellement tournée vers les loisirs, oublieront que 2006
sera le fruit, et rien que le fruit, du travail qu’ils ont accompli en
2005. Il ne saurait y avoir de miracle sans le travail. Le
développement passe par le travail. Ne serait-ce qu’en raison de
notre sous-développement endémique, on peut dire que les
Burkinabè ne travaillent pas.

Certes, chaque peuple ayant sa
spécificité, il est unanimement reconnu que moins un pays est
gâté par la nature, plus il fait preuve d’ardeur au travail pour
vaincre l’adversité de son environnement.

C’est ainsi que les
citoyens du Sahel sont perçus comme de grands travailleurs,
comparativement aux hommes de la forêt, incités à la paresse
par un environnement généreux. Prétendre dans ces conditions
que les Burkinabè ont une propension à la paresse, c’est se
mettre à dos tous ceux qui s’accrochent aux vieux clichés et aux
mythes archéologiques qui avaient été abondamment répandus
par la colonisation et qui faisaient des Voltaïques de l’époque,
un peuple de travailleurs.

Du reste, si cette réputation d’hommes âpres au travail avait
traversé les frontières de notre pays, c’était au profit du
colonisateur et au prix d’un esclavagisme qui ne disait pas son
nom. Beaucoup de Voltaïques, sous la férule du colonisateur
français qui portait en bandoulière son mousqueton et sa
cravache, avaient effectivement contribué, par leur sueur, leur
sang et leurs larmes, au développement socio-économique
d’autres pays. Mais aujourd’hui qu’il s’agit de travailler pour
nous-mêmes, apparemment, on perd de vue les vertus
libératrices du travail. A qui la faute ?

Le premier responsable,
bien entendu, c’est le système éducatif hérité de la colonisation
française qui fait la part belle à la machine bureautique au
détriment du travail manuel. De nos jours, malgré la pieuvre du
chômage et ses asphyxiantes tentacules qui les frappent,
beaucoup de jeunes détenteurs de diplômes universitaires ou
intermédiaires rêvent d’être fonctionnaires, confortablement et
royalement assis dans un fauteuil roulant, dans un bureau à air
conditionné.

Tout se passe comme si la seule façon de mériter
l’insigne honneur de bâtisseur de la Nation était de porter le titre
de fonctionnaire, d’agent de l’Etat. On a tellement
psychologiquement inoculé à coups de grosses seringues
dans le cerveau de la jeunesse que son seul salut réside dans
ce seul créneau, qu’elle en est venue à considérer tout travail
manuel comme dégradant.

C’est la raison pour laquelle, l’école
rurale, censée être une solution aux échecs scolaires par la
récupération des jeunes ayant raté leur scolarité pour en faire
des agriculteurs, des maçons, des menuisiers, des éleveurs,
etc., a échoué. Et pourtant, ses objectifs étaient nobles et
annonciateurs de la fin de l’Etat-providence. Les jeunes qui à
l’époque, avaient considéré l’école rurale comme une injustice à
eux infligée, continuent d’avoir des partisans dans les rangs des
demandeurs d’emploi. Plutôt que d’exercer ces métiers
"honteux", beaucoup de jeunes préfèrent arborer le titre de
"fakirs".

Autrement dit, de spécialistes faiseurs de thé, ravissant
ainsi la vedette aux Anglais. Et pourtant, certains anciens sujets
de la Couronne britannique ne se sont pas laissé happer par
cette solution du découragement. Sait-on pourquoi par exemple
le jeune Ghanéen, même muni d’un diplôme universitaire,
n’éprouve aucune honte à devenir cireur, essuyeur de glaces de
véhicules, tailleur ambulant, vendeur de poulets à la criée,
fabricant de jouets pour enfants, tailleur d’ongles, coiffeur, etc. ?

Parce que pour l’école anglaise, il n’y a pas de sot métier. Dans
les ex-colonies françaises, on a préparé les esprits à devenir
des élites, et à mépriser le travail manuel. Résultat, on a passé
le temps à fabriquer des cerveaux pensants, des scientifiques
parfois sans conscience, sans pour autant réussir à leur
proposer des cadres adéquats pour les utiliser, encore moins
pour leur dispenser l’éducation civique qui ne classifie pas le
travail en termes de mépris ou de grandeur selon qu’on occupe
tel ou tel niveau de la pyramide du chantier de la Nation.

A la
décharge des jeunes qui manifestent une certaine répugnance
à exercer certains métiers, c’est qu’aujourd’hui, ils ont le
sentiment que ceux qui ont eu le privilège d’être dans les
services publics ne le sont ni par compétence ni par conscience
professionnelle, ni par vocation, la plupart comptant sur leur
casquette politique, leur fidélité à des individus hauts placés qui
les ont pistonnés pour servir de relais et de prête-noms dans le
but de faire prospérer leurs affaires. Alors, pourquoi la courte
échelle pour les uns et la galère pour les autres, et pourquoi à
égalité de diplômes, des traitements différents, marqués du
sceau de l’iniquité ?

A l’aube du nouvel an, il faudrait éviter ce
scénario répétitif qui consiste à constater les dégâts en se
confiant au destin abusivement accusé. Il appartient à nos
autorités de se poser la question suivante : "Quel type de
société porteuse de quelles valeurs veut-on ?". De la réponse à
cette question, dépend finalement l’avenir de notre pays. Tant
que nos dirigeants n’auront pas défini ces valeurs, nous
passerons le temps à naviguer à vue, et comme un avion sans
plan de vol et ne sachant sur quel aéroport atterrir, nous
risquons d’échouer.

Sans éducation civique pour indiquer à nos
jeunes la dignité d’un métier, quelle que soit sa nature, nous
risquons de déboucher sur des jacqueries aux conséquences
imprévisibles. Si nous nous plaisons aujourd’hui à glorifier les
gestes qu’on nous fait en termes de ressources financières
que nous recevons des amis de l’extérieur, souvenons-nous
que c’est le fruit de leur travail. Travaillons nous aussi et
caressons l’ambitieux rêve de pouvoir les assister un jour à
notre tour.

S’il est tout à fait humainement compréhensible de
prier, de chanter et de se réjouir, en cette fin d’année, pour avoir
échappé à l’inventaire parfois douloureux de Dieu, il faut se
souvenir que nous devons gagner notre vie à la sueur de notre
front. Bonne année et surtout au travail !

"Le Fou"
Le Pays

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