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Chambre des métiers de l’artisanat : « La plupart des artisans ne sont pas immatriculés », déplore Germaine Compaoré la présidente

Publié le jeudi 31 mars 2022 à 23h15min

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Chambre des métiers de l’artisanat : « La plupart des artisans ne sont pas immatriculés », déplore Germaine Compaoré la présidente

Arrivée à la tête de la Chambre des métiers de l’artisanat du Burkina Faso (CMA-BF) à la suite de son élection en juin 2021, Germaine Compaoré/Bonkoungou est une passionnée du tissage de Faso Danfani. Dans cet entretien qu’elle nous a accordé, elle revient sur son parcours et nous parle de la CMA BF, une structure assez méconnue et qui pourtant se veut l’interface entre le gouvernement et les artisans.

Lefaso.net : Parlez-nous brièvement de votre parcours…

Germaine Compaoré : J’ai eu comme formation le secrétariat bureautique notamment le secrétariat de direction. J’ai ensuite fait une licence en communication d’entreprise et marketing. Cela n’a pas été une formation continue, parce qu’on s’est empressée un peu dans le foyer et après on a continué les études. Mais, j’ai été passionnée par une activité qui est le tissage du Faso danfani. Au départ, j’étais dans une zone où dans chaque cour où on rentre, il y a une femme qui tisse. Donc j’ai essayé de faire une association.

Une première association du nom de Femmes unies pour le Faso qui regroupait l’ensemble des femmes du quartier. Là c’était du fourre-tout. Il y avait des femmes qui faisaient du commerce, d’autres étaient des ménagères, des tisseuses, mais la plupart étaient des tisseuses. A partir de 2009, j’ai trouvé qu’il était opportun de séparer à part entière l’activité de tissage. Nous avons créé l’association des tisseuses Teegawende en 2009.

Aussitôt, cette association a connu un succès parce qu’elle regroupait en son sein plus de 600 femmes tisseuses. A partir de cette association, j’ai trouvé opportun de voir avec les autres organisations pour qu’on crée une fédération. J’ai essayé de lancer l’idée, mais je n’ai pas été trop comprise. Dieu merci après l’insurrection de 2014, il y a eu la décision de la transition le 2 septembre 2015 de faire du Faso Danfani le pagne officiel du 8 mars. Ça été une occasion pour activer le lien d’ensemble, afin que toutes les structures qui œuvrent dans le tissage puissent se mettre ensemble pour avoir une force bien structurée. On a créé la Fédération nationale des tisseuses du Burkina et là j’ai occupé le poste de secrétaire générale jusqu’à ce jour.

Mais avant le tissage, j’avais aussi d’autres activités parallèles. J’ai d’abord servi dans le privé 15 ans en tant que secrétaire de direction.

C’est donc une artisane passionnée de tissage qui est arrivée à la tête de la Chambre des métiers de l’artisanat (CMABF) en juin dernier. Vous êtes la première femme à la tête de cette structure. Comment s’est passé votre élection ?

Dans notre culture burkinabè qui accepte difficilement les femmes à la tête, ça n’a pas été facile. Mais j’avais une bonne base. L’assemblée générale qui choisit le président de la CMA-BF compte 80 élus. Sur les 80 élus il y avait déjà 40 femmes et 40 hommes. Et sur les 40 femmes, il y avait déjà une trentaine de tisseuses, donc qui venaient du textile et habillement, c’est-à-dire de mon métier. Nous étions en tout cas les plus nombreuses au niveau des femmes. Il y a des hommes aussi qui ont adhéré et qui ont cru en moi et qui se sont dit qu’il faut accompagner la dame pour qu’elle y arrive. C’est de ce fait qu’à l’issue des élections, je suis passée. J’ai déposé ma candidature à partir d’une OPA (organisation professionnelle d’artisans).

A partir de là j’ai eu 708 voix. J’avais une liste de trois personnes. Il y avait moi en tête et puis deux autres personnes. Et nous trois sommes passés. Nulle part au Burkina dans une région, aucune OPA n’est passée avec deux candidats, n’en parlons pas de trois. Donc je peux dire que ma base, a eu vraiment confiance en moi et les autres aussi arrivés au niveau de l’assemblée générale, ils ont eu cru en moi et ils m’ont portée à la tête. Ça n’a pas été facile mais on y arrive si toutefois on pense qu’on peut faire quelque chose. On demande toujours l’aide de Dieu pour nous aider et nous accompagner à pouvoir tenir.

Vous êtes donc à la tête de la CMA-BF, pouvez-vous nous présenter un peu plus cette structure qui n’est pas assez connue du grand public ?

C’est exact, la Chambre des métiers de l’artisanat du Burkina Faso est à sa troisième mandature, mais c’est dommage qu’elle ne soit pas bien connue. C’est une institution publique à caractère professionnel dotée de personnalité morale à laquelle est assignée trois missions, notamment une mission de représentation, une mission administrative et une mission consultative. Le gouvernement a mis l’institution en place pour qu’elle soit l’interface entre les artisans et le gouvernement ou les partenaires. Le gouvernement peut consulter la chambre des métiers pour avoir des renseignements concernant la vie des artisans.

La CMA-BF a été créée en 2007 par décret gouvernemental et sa première mandature date de 2011. C’est pour dire que ça a pris forme à partir de 2011. Le 1er mandat de 2011 à 2016 et de 2016 à 2021. Nous nous sommes de la troisième mandature. Donc mon prédécesseur a fait deux mandats selon ce qui est inscrit dans les textes. Mais il faut encore communiquer sur l’institution parce que la chambre des métiers n’est pas encore prise en compte dans le protocole d’Etat. C’est une institution certes mais jusqu’à présent qui n’est pas prise en compte dans le protocole d’Etat. Nous espérons avec votre soutien, pouvoir mieux faire connaître la CMA-BF et montrer qu’elle travaille pour contribuer au développement du Burkina.

Quels sont les corps de métier qui relèvent de l’artisanat et qui sont représentés au sein de la CMA-BF ?

Pour l’artisanat, le code de l’UEMOA a limité et dénombré 230 corps de métiers qui se regroupent en huit branches d’activités. Certains ne se reconnaissent pas comme artisans mais ils sont artisans quand même. Vous qui êtes de la communication vous êtes des artisans de la branche audiovisuel et communication.

Les huit branches de métiers, il y a l’agro-alimentaire et la restauration, il y a mines et carrières, métaux et construction métallique (soudeurs, électriciens, électroniciens). Il y a bois et assimilé, tous ceux qui travaillent dans l’ameublement, la tapisserie, tous ces gens sont dans Bois et assimilé. Il y a également textile et habillement, cuir et peau qui est une branche qui regroupe comme son nom l’indique les couturiers et les stylistes et aussi ceux qui sont dans le domaine de cuir et peau.

Il y a aussi l’audiovisuel et la communication. C’est dans ce domaine que beaucoup ne se reconnaissent pas artisans. Les communicateurs ne savent pas qu’ils sont artisans. Les photographes ne savent pas qu’ils sont artisans. Il y a aussi la branche hygiène et soins corporels. Ceux qui font l’esthétique, les coiffeuses, les blanchisseurs dans nos quartiers, les pressings et autres sont dans hygiène et soin corporel. Voici brièvement cité les huit branches au niveau du code de l’UEMOA.

Vous êtes arrivée à la tête de la CMA BF parce que vous aviez un programme bien défini qui a certainement convaincu ceux qui vous ont élu. Dites-nous, aujourd’hui quels sont les grands chantiers de la CMA-BF qui vous tiennent à cœur ?

Nous avons un mandat de cinq ans qui va de 2021 à 2026. L’un des chantiers qui nous tient à cœur, c’est de nous doter d’un siège. Depuis la création de l’institution, nous occupons les locaux de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina. Pour vous rappeler un peu, l’artisanat était rattaché à la Chambre de commerce. C’est à partir du décret de 2007 que la Chambre de métier a été détachée de la Chambre de commerce et d’industrie. Donc pour nous aider dans nos débuts, la Chambre de commerce a donné des locaux pour abriter la direction générale de la CMA-BF. Mais aujourd’hui avec l’accroissement du personnel, on se retrouve avec des bureaux exigus. Le personnel travaille dans des conditions difficiles.

Mon prédécesseur a pu acquérir un terrain du côté de Ouaga 2000 donc c’est la construction de l’édifice qui est maintenant le problème.

Nous comptons aussi opérationnaliser les Chambres de métiers de l’artisanat régionales. Dans les treize régions, il y a les représentations de la Chambre des métiers avec un bureau de trois membres qui regroupe l’ensemble des artisans de la région. Depuis mon installation jusqu’à présent, je n’ai pas encore pu installer les chambres régionales. Si toutefois j’arrive à les installer, cela va créer plus de visibilité. Ça va aussi créer davantage de partenariats avec les autorités locales et je pense que ce sera très bien pour nous.

Nous travaillons aussi à rechercher des partenariats techniques et financiers pour appuyer l’institution à aller de l’avant. Nous avons un plan de développement stratégique et institutionnel qui s’étale sur cinq ans que nous voulons mettre en œuvre.

Nous travaillons aussi à la mise en œuvre de l’accord cadre signé le 23 septembre 2021 avec le gouvernement qui accorde 15% de la commande publique aux artisans. Si toutefois cet accord cadre est mis en œuvre, cela va créer des emplois aux artisans et aussi va créer de la valeur ajoutée qui va contribuer à l’économie du Burkina Faso.

Quelles sont les difficultés au sein de la CMA-BF ?

Nous avons un problème de ressources financières. Sans vous mentir, la dotation que le gouvernement met à la disposition de la Chambre des métiers ne permet pas de couvrir ne serait-ce que les salaires. On a la Chambre de commerce qui nous appuie aussi à hauteur de 100 millions. Mais au niveau de l’Etat c’est vraiment insignifiant, alors que nous avons un budget qui est de 350-400 millions par an. Donc le problème de ressources se pose vraiment. Il y a l’accord cadre qui n’est pas encore mis en œuvre. Il faut que ça prenne forme pour faciliter également le travail des artisans et en même temps peut être que ça va générer de l’argent qui va résoudre un tant soit peu le souci de ressources que la CMA-BF vit actuellement.

Il y a aussi l’enregistrement des acteurs. Vous voyez, sur plus de 2 600 000 artisans dénombrés en 2019, il y en a très peu qui sont immatriculés. Il faut sensibiliser les artisans à aller vers l’immatriculation, vers l’identification. Nous voudrions en tout cas, que de l’est à l’ouest, du nord au sud, qu’un mécanicien qui est assis sous un arbre se reconnaisse artisan et que la Chambre de métier aussi le reconnaisse comme artisan et que s’il y a des faveurs, il puisse en bénéficier également.

Mais qu’est ce qui bloque l’immatriculation des artisans ?

Ce qui bloque l’immatriculation des artisans, c’est la méconnaissance. Il y a deux cas. Il y a la méconnaissance et il y a ceux qui savent mais qui ne voient pas l’intérêt. Ils se disent, si je m’inscris dans le registre de la Chambre des métiers, qu’est-ce que je gagne ? Il y a aussi la question de moyens. Parce qu’aujourd’hui, pour faire la carte professionnelle d’artisan, il faut payer 13500 F CFA et aussi il faut faire l’assurance accident qui est de 4500 F CFA, ce qui fait un total de 18000 FCFA. Ce n’est pas donné à tous les artisans d’avoir les moyens de le faire. Mais nous luttons pour qu’on ramène ça à 7500 F CFA pour que ce soit accessible et permettre à tous les artisans d’obtenir leur carte professionnelle.

A votre avis, que faut-il faire pour valoriser un peu plus le secteur de l’artisanat ?

Pour moi, pour valoriser le métier de l’artisanat et la Chambre des métiers de l’artisanat dans son ensemble, il faut accentuer la communication. Je suis venue trouver des acquis, mais j’ai trouvé que la communication a fait défaut. Donc nous, tout au long de notre mandat, nous allons accentuer la communication, qui occupe une place importante pour toute entreprise, toute institution. C’est la communication qui dit qui vous êtes, ce que vous faites et ce qu’on gagne avec vous. Donc pour moi il faut mettre vraiment l’accent sur la communication.

Aussi il faut veiller à l’accompagnement des artisans. Il faut les accompagner comment ? Par les formations. Il faut renforcer les capacités de ceux qui sont à la base pour leur permettre de bien faire leur travail. Quand on parle de l’accord cadre par exemple, qui dit d’accorder 15% des marchés aux artisans locaux, pour cela il faut des produits de qualité.

C’est bien de solliciter les marchés dont on a besoin, mais c’est mieux de nous rassurer qu’on a bien formé nos artisans, qu’ils sont expérimentés et peuvent nous sortir des produits de qualité. Il faut prioriser la commande publique aux artisans. Ce qui revient aux artisans, qu’on ne le remette pas ailleurs. L’importation c’est bien. Il y a des commerçants qui vivent de ça. Mais ils peuvent aussi venir vers la Chambre des métiers et commander sans soucis avec des artisans locaux pour revendre. La commande peut ne pas être directe d’une entreprise à la Chambre des métiers, mais un commerçant qui importe des meubles, peut venir vers la Chambre des métiers pour commander des meubles puis livrer à son client comme il se doit. Donc, là je reviens encore sur l’accord cadre et j’invite l’ensemble des artisans, les ministères, les institutions sœurs, tous les autres services à pouvoir se doter des produits artisanaux dans nos services, dans nos maisons.

Il faut aussi booster le secteur de l’artisanat par l’instauration de journées promotionnelles. C’est bien vrai qu’il y a le SIAO, mais nous voudrions une journée dédiée à l’artisanat, comme la journée nationale du paysan. Nous voulons aussi qu’on institutionnalise une journée à part entière pour l’artisanat pour faire découvrir le savoir-faire des artisans.

Il faut aussi aller vers la recherche de partenariats parce que quoi qu’on dise, nous ne pouvons pas voler de nos propres ailes seuls, quelle que soit notre volonté. On doit toujours aller à la recherche de partenaires, qui vont pouvoir nous accompagner à atteindre nos objectifs.

C’est la fin de notre entretien, un dernier mot ?

Je dis un grand merci à Lefaso.net pour l’intérêt que vous nous accordez, afin de faire connaître davantage la Chambre des métiers de l’artisanat du Burkina Faso. S’acheter un pagne Faso danfani, s’acheter un meuble burkinabè, c’est contribuer réellement à l’économie du pays, c’est contribuer à améliorer les conditions de vie d’une famille quelque part, c’est contribuer en tout cas au PIB du Burkina Faso. De ce fait, je lance un appel à l’ensemble des Burkinabè, aux autorités, d’accompagner le secteur de l’artisanat. Beaucoup de pays au monde qu’on cite en exemple sont passés par l’artisanat pour arriver au niveau de développement où ils sont. Donc c’est ensemble main dans la main qu’on pourra développer notre pays.

Propos recueillis par Justine Bonkoungou
Photo et vidéo : Auguste Paré
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 1er avril 2022 à 12:00, par Kouda En réponse à : Chambre des métiers de l’artisanat : « La plupart des artisans ne sont pas immatriculés », déplore Germaine Compaoré la présidente

    Oui madame, les artisans ne s’immatriculeront pas. Que leur apporte cette immatriculation ? Leur permet-elle d’accéder plus facilement au crédit à des conditions plus favorables ? Leur permet-elle d’obtenir des formations, des perfectionnements ? Leur ouvre-t-elle plus de marchés ?
    Ce sont ces questions pratiques qui occupent les artisans. Ces derniers se disent généralement, et à juste titre, que l’immatriculation ne leur apportera que des problèmes, notamment avec le fisc.
    Vous, chambre des métiers, on ne sait même pas que vous exister. Les métiers ne sont pas valorisés au Burkina Faso aussi bien au niveau de la population générale (dans sa majorité) que chez les décideurs, leaders d’opinion et autres.

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