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Préservation de l’espèce asine en Afrique : « Il faut une réponse régionale », insiste Emmanuel Bouré Sarr de l’ONG Brooke

Publié le mardi 15 juin 2021 à 22h55min

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Préservation de l’espèce asine en Afrique : « Il faut une réponse régionale », insiste Emmanuel Bouré Sarr de l’ONG Brooke

« Si l’âne est le premier fils du ménage et contribue tant à son épanouissement, pourquoi devons-nous sacrifiez nos ânes pour un produit que nous ne consommerons, ni ne verrons, ni n’achèterons, vu son prix exorbitant ? » Emmanuel Bouré Sarr s’est érigé depuis des années en défenseur des équidés notamment de l’espèce asine, pour porter la voix des sans voix, à travers l’ONG britannique Brooke (engagée dans la protection de l’espèce asine en Afrique) dont il est le directeur régional. Au terme de la conférence sous régionale sur la préservation de l’espèce asine en Afrique de l’Ouest, qui s’est tenue à Ouagadougou (8-9 juin 2021), le protecteur de l’âne nous a fait part des conclusions de leurs travaux lors d’un entretien ce mercredi 9 juin 2021.

Lefaso.net : 48h après des réflexions en présence de divers experts venus d’Afrique, que peut-on retenir de la conférence sous régionale sur la préservation de l’espèce asine sur le continent africain ?

Emmanuel Bouré Sarr : Je dirai qu’il y a principalement deux conclusions. La première c’est que les 15 Etats membres de la CEDEAO doivent prendre les mesures d’interdiction aussi bien de l’abattage d’âne que de la vente des produits dérivés. Ceux qui les ont prises sont déjà des exemples, ceux-là qui hésitent doivent le faire. Et cela revient à chaque pays d’en faire son cheval de bataille en prenant ses responsabilités.

La deuxième recommandation, c’est qu’il faut une réponse régionale. Et cela ne peut se faire que par la coordination des structures régionales et continentales. Il s’agit de la CEDEAO, à travers le Centre régional de la santé animale (CRSA), de l’UEMOA, à travers la Commission, et de l’Union africaine. Ce sont ces institutions qui doivent « imposer » aux Etats de prendre ces résolutions.

La CEDEAO et l’UEMOA sont fondées sur des principes, notamment celui de subsidiarité, ce qui veut dire que lorsqu’un problème concerne un ou plusieurs nations, les autres peuvent le prendre comme un problème régional. Donc nous portons actuellement ce plaidoyer afin qu’il devienne une réalité.

Nous avons actuellement un protocole avec la CEDEAO à travers le CRSA de Bamako (Mali) et avec eux, au sortir de cette conférence nous allons dégager un plan d’action, parce qu’il ne s’agit pas seulement de faire des recommandations mais il faut également agir. Cela se fera avec un pool de personnes bien ciblées qui pourra nous aider à emmener cette problématique auprès des chefs d’Etats.

Par ailleurs, la question de la mise en œuvre effective des textes en vigueur contre le trafic clandestin des asins est revenue sur la table de discussion lors de cet atelier. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de prendre un arrêté mais il s’agit également de le faire respecter. Ce qui fait intervenir plusieurs structures comme les services vétérinaires, le ministère des Ressources animales, le ministère du Commerce, la Douane, les forces de défense et de sécurité, tout un ensemble d’acteurs qui doivent justement s’impliquer.

Nous nous engageons à aider les Etats à renforcer la sensibilisation auprès de ces différentes parties prenantes pour qu’elles puissent jouer leurs rôles : d’abord en leur apprenant les dispositions contenues dans les décrets, ensuite comment les mettre en œuvre pour enfin les appliquer.

Allez-vous entreprendre une vaste campagne de sensibilisation auprès des populations quand on sait que bon nombre d’entre elles n’apprécie pas toujours l’âne à sa juste valeur ?

Je pense qu’il est important de rappeler que cette histoire de vente de la peau d’âne, c’est une affaire de « gros sous », une histoire de millions et milliards. Aujourd’hui dans certains pays, là où l’âne était vendu à 25 000 FCFA, il est vendu à 75 000 ou 100.000 FCFA. Mais si quelqu’un est prêt à acheter un âne à ces prix-là alors qu’il coûtait 25 000 FCFA, combien va-t-il gagner en ne vendant que la peau ? C’est une grosse interrogation ! Et ces gens sont prêts à tout. Et généralement ceux qui vendent les ânes ne sont pas forcément les propriétaires. C’est ainsi qu’il y a du vol, du commerce illégal, il y a toutes sortes de pratiques qui pourraient s’assimiler au banditisme.

C’est pourquoi les propriétaires et les utilisateurs constituent les premières cibles de notre mission. Nous avons une stratégie d’engagement communautaire où nous poussons les communautés à comprendre l’importance et le rôle de l’âne dans leur vie quotidienne. Un âne qu’on vous paie à 75 000 FCFA aujourd’hui, c’est une somme que vous pouvez totalement dépenser en une semaine. Mais l’apport que cet âne pourrait fournir sur 25 ans est incomparable à ce prix d’achat.

Nous avons heureusement des communautés qui sont très réceptives, nous avons des « champions » qui nous servent de relais auprès d’elles. Au Sénégal nous avons des organisations paysannes avec lesquelles nous travaillons. Au Burkina nous avons nos partenaires Inades et Apil qui font le travail de sensibilisation à la base avec leurs animateurs à l’issue duquel nous avons constaté des changements notables. Cela a amené ces communautés à une meilleure considération de cet animal, qui au départ était maltraité. Elles sont maintenant conscientes que l’âne œuvre pour leur résilience, la sécurité alimentaire, conduit les enfants à l’école, les femmes à l’hôpital, qui a un impact socio-économique très important. Et ce changement positif, nous l’espérons, va permettre à un moment ou un autre de stopper le commerce illicite.

En tout cas, les communautés jouent un rôle très important dans cette lutte et nous avons tenu justement au cours de la conférence, à leur donner la parole. Ce matin (9 juin 2021) la première session était consacrée à « la voix des communautés » qui leur a permis d’évoquer l’importance de l’âne, la préservation de l’espèce et même de l’impact qui découlerait de la perte de leurs ânes.

Que ressort-il de vos études portant sur l’espèce asine réalisées au Sénégal et au Burkina Faso ?

Au Sénégal c’est une étude socio-économique « sur la contribution des équidés (les chevaux et les ânes) à l’économie nationale. Au Burkina c’est une étude « sur la contribution des asins ». Les résultats ont été partagés lors des travaux justement pour montrer l’importance de ces animaux.

Avez-vous un appel a lancé pour clore cet entretien ?

Je reviendrai sur cette assertion au Burkina, où l’on dit que « l’âne est le premier fils du ménage ». Alors s’il est le premier fils du ménage et apporte autant, pourquoi devons-nous le sacrifier pour un produit cosmétique dénommé ejiao fabriqué en Chine, pour une quantité de 5 000 tonnes par an ? Vous vous imaginez si ce commerce se poursuit ou s’il venait à être légalisé comme cela a été le cas récemment au Kenya.

Je pense qu’il est plus que jamais important que l’on comprenne qu’il n’est pas seulement d’une question affective. Ce n’est pas parce que nous aimons les animaux, c’est parce qu’ils contribuent au moyen d’existence de certaines communautés et que la perte d’un âne peut avoir un impact considérable sur l’épanouissement de la famille.

Donc notre appel, nous le lançons à l’ensemble des chefs d’Etats de l’Afrique parce qu’il s’agit d’un problème continental d’une envergure mondiale. Les autorités, les services ainsi que les communautés doivent s’impliquer, si nous voulons mettre fin à ce fléau.

Hamed NANEMA
Lefaso.net

Crédit photo : Bonaventure PARE

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