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Réforme du franc CFA : « Pour réussir un développement économique, il convient de jouir de la plénitude de son autonomie monétaire » déclare le Pr Idrissa Ouédraogo

Publié le vendredi 29 mai 2020 à 06h30min

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Réforme du franc CFA : « Pour réussir un développement économique, il convient de jouir de la plénitude de son autonomie monétaire » déclare le Pr Idrissa Ouédraogo

L’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) a entrepris de réformer son système monétaire. Après la signature de l’accord de coopération monétaire, entre les Ministres des finances de l’UEMOA et celui de la France, le 21 décembre 2019, c’est au tour de la France de ratifier le projet de loi de modification du franc CFA. Le rôle de la France sera désormais d’assurer la garantie de convertibilité de la monnaie de l’UEMOA et sa parité avec l’Euro. Quelles sont les implications économiques du nouvel accord de coopération ? Pourquoi faut-il que le concours de la France soit toujours sollicité dans les affaires monétaires de l’UEMOA ? Le professeur Idrissa Ouédraogo, Enseignant chercheur à l’Université Aube Nouvelle et Directeur du Centre Forge-Afrique, donne des éléments de réponse dans une interview accordée à Lefaso.net.

Lefaso.net : Le gouvernement français a acté mercredi 20 mai 2020, la modification du F CFA de l’UEMOA, qu’est-ce que cela implique pour la monnaie F CFA et pour la zone UMOA ?

Pr Idrissa Ouédraogo : C’est le 20 mai dernier, à travers une déclaration de Madame Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement français que nous avons eu vent de la finalisation par le gouvernement français du projet de loi de ratification de l’accord signé le 21 décembre 2019 entre la France et les pays membre de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Cet accord porte sur la réforme de la coopération monétaire qui lie la France et l’UEMOA. En fait, l’acte annoncé par le Gouvernement français rentre dans le processus normale d’opérationnalisation des décisions prises en décembre dernier.

Comme nous le savons tous, et cela se passe dans de nombreux pays, lorsque qu’un pays signe un accord international, cet accord doit être validé au niveau des parlements des pays concernés, c’est ce qu’on appelle la ratification. Il s’agit donc là, de la ratification de l’accord signé le 21 décembre 2019. Rien de nouveau n’y a été ajouté. Sauf que cet acte donnera le feu vert au Gouvernement français pour la mise en œuvre de l’accord qui dans le fond, n’est autre qu’une réforme de certains aspects de l’accord de coopération monétaire qui lie la France et les pays de l’UEMOA.

Quels étaient les clauses qui liaient la France au pays de l’UMOA dans le cadre de la monnaie F CFA ?

De fait, il s’agit d’un accord de coopération monétaire et commerciale dont les principes fondamentaux au nombre de quatre ont été édictés depuis 1939 : (i) la liberté des transferts qui garantit une liberté totale des transferts de fonds entre les pays africains de la zone Franc et la France. Cela implique que tous les opérateurs économiques installés dans la zone Franc peuvent transférer ou rapatrier sans limites tous les bénéfices qu’ils génèrent dans le cadre de leurs activités ; (ii) la garantie de la convertibilité illimitée des monnaies accordée par le Trésor français et ceux, à travers (iii) la parité fixe avec le franc français puis l’euro.

Cela signifie dans le cas d’espèce, que tous les Francs CFA détenus par les résidents des pays de la Zone Franc sont convertibles sans limite à un taux fixe ; (iv) la centralisation des réserves de changes des pays membres. La mise en œuvre de ces principes se traduit par l’existence d’un « comptes d’opérations », sur lesquels la banque centrale dépose 50% de ses réserves de change.

A cela, il faut ajouter les exigences qui ont trait à la présence de représentants français dans les instances monétaires des pays partenaires, à la gestion des comptes titres, des dépôts de réserves d’or et surtout à l’impression des billets et pièces des pays africains de la zone Franc.

La future monnaie de l’UMOA est l’Eco. Quels sont les choses qui vont fondamentalement changer avec cette nouvelle monnaie ?

Il convient ici, d’indiquer que de façon globale, les changements proposées dans la nouvelle version de l’accord de coopération, s’attellent principalement à trouver des réponses aux points à polémiques ou encore « irritants politiques » qui ont fait l’objet de nombreuses critiques des opinions publiques africaines. Les principales critiques adressées au système monétaire de la zone franc FCFA portent souvent sur l’appellation CFA de la monnaie qui fait penser au passé colonial, l’époque où FCFA signifiait Francs des Colonies Françaises d’Afrique.

Au-delà du nom, les critiques ont aussi porté sur le compte d’opérations logé au trésor de France et sur la présence française dans les instances de décisions monétaire de l’Union. Cette dernière situation est considérée comme une ingérence de la France dans les affaires monétaires des pays africains, et induit une remise en cause de leur souveraineté.

Les reformes proposées dans l’accord du 21 décembre cherchent donc corriger ces points de critiques. En effet, non seulement le nom de la monnaie va changer et sera remplacé par l’appellation ECO, mais aussi, les administrateurs français ne siégeront plus dans les instances de décision de l’UEMOA. De plus, la centralisation de 50 % des réserves de change au niveau du trésor français sera levée. Le placement des réserves de change sera laissé à la discrétion de la BCEAO. La banque centrale décidera de là où elle veut placer ses réserves.

Il est important de noter ici que certains des piliers essentiels du système n’ont pas changé. Il s’agit notamment de la fixité de la parité entre les monnaies (l’ECO et l’EURO), la garantie de convertibilité du FCFA par la France et la fabrication des billets et pièces circulant au sein de l’UEMOA. Par rapport à la garantie, il faut préciser qu’aucune indication précise n’est donnée sur les conditions qu’exige la France pour assurer cette garantie. Il est tout simplement dit que les discussions continuent pour déterminer comment la France pourrait avoir un accès privilégié aux informations macroéconomiques de l’UEMOA.

Qu’est-ce que la France perd désormais avec la nouvelle monnaie Eco ?

A l’analyse, je dirais que la France ne perd pas grand-chose dans cette nouvelle réforme. Tout au contraire, elle en ressort ragaillardit puisque débarrassée des scories du système qui très souvent, sont sources de critiques récurrentes. Et en même temps, elle conserve sa position dominante de fournisseur privilégié de billets de banque.

On aurait pu penser que le fait de renoncer à la centralisation des réserves de change serait au détriment de la France. Il n’en est rien car au regard de la France, ce compte qui est rémunéré au taux minimum de 0,75% chaque fin d’année constituait de fait une charge financière puisque la France aurait pu emprunter à des taux beaucoup plus bas que ceux offerts à la BCEAO.

La partie française affirme qu’alors que les liquidités centralisées au trésor français au titre des réserves de change sont payées à 0,75%, ces mêmes dépôts placés n’importe où ailleurs, seront rémunérés à des taux négatifs de l’ordre de - 0,40%.

La France continue de garantir la parité entre la nouvelle monnaie Eco et l’Euro. Quels sont les avantages pour les pays de l’UMOA d’avoir une monnaie appariée à l’Euro ?

Les arguments communément avancés pour soutenir l’arrimage du CFA au Franc français et par suite à l’Euro, est qu’en premier lieu, elle garantit une certaine stabilité de la monnaie car le fait que la création monétaire soit sous le contrôle d’un organe ou d’un pays extérieur, les pays sont moins tentés de faire tourner la planche à billets qui peut être une source majeure d’inflation et de débordement budgétaire.

L’une des contreparties de la garantie de parité et partant, de la convertibilité du CFA, est l’obligation des autorités monétaires des pays africains de la Zone Franc de s’astreindre à une discipline monétaire drastique. Sinon, ces pays pourraient être tentés de financer des activités très peu rentables en faisant tourner la planche à billet.

Et cela, peut conduire à des dérapages inflationnistes. Il est même dit que si l’inflation est bien contenue dans les pays de l’UEMOA, c’est justement du fait de cette gestion rigoureuse de la monnaie. Il est aussi dit que du fait de l’arrimage à l’Euro, le franc CFA bénéficie d’une crédibilité internationale qui indéniablement facilite l’insertion des pays CFA dans les marchés financiers et cela est de nature à attirer des investissements vers ces pays.

Mais la question qui se peut se poser est de savoir, si nos Etats ont vraiment besoin de la France pour s’astreindre à une discipline monétaire s’ils estiment que cela est utile pour le bon fonctionnement de leurs économies.

Quels en sont les inconvénients ?

L’un des principaux reproches qui étaient adressées aux systèmes du franc CFA est celui de la dépendance monétaire liée à l’obligation de déposer 50% des réserves au Trésor français. En dépit de la suppression de cette clause dans la nouvelle convention, la question de la souveraineté monétaire demeure d’actualité car, comme nous l’avons dit plus haut, la France compte exiger un droit de regard sur l’évolution des agrégats macroéconomiques.

Avec le maintien de la parité avec l’Euro, le risque que le gouverneur de la BCEAO n’ait pas les coudées franches pour faire varier le cours de l’ECO est grand. La parité avec l’euro va l’obliger à arrimer sa politique sur celle de la BCE. Le fait est que l’Europe et l’UEMOA n’ont ni les mêmes problèmes ni les mêmes priorités. Ce faisant, si nos politiques doivent aller dans le sens de la résolution de nos problèmes, elles ne coïncideront pas avec celles de l’Europe. Ce qui est une évidence.

Dans les faits, l’arrimage à l’euro, fera que le franc CFA va subir les fluctuations de la monnaie européenne. Cela pourrait, dans certaines circonstances (lorsque l’Euro est fort) avoir des effets néfastes pour les exportations des pays de l’Union.

Que gagne la France en garantissant la parité de l’Eco par rapport à l’Euro ?

Il est peut-être difficile de dire de façon précise ce que la France gagne ou ne gagne dans ce processus. Mais, le bon sens nous fait comprendre qu’a priori, chacune des parties a un intérêt à s’y engager. Ne serait-ce qu’un gain politique et ou diplomatique. Les Etats sont les moins doté d’altruisme ; ils ne feront rien pour rien. Sur le plan politique et diplomatique, nous savons tous que la France a intérêt à maintenir des relations privilégiées avec ses anciennes colonies et à maintenir de ce fait son pré carré.

Sur le plan des relations commerciales des pays de l’UEMOA avec le reste du monde, il est évident que le fait d’avoir une parité fixe avec la zone Euro fait de cette dernière la direction privilégiée pour les échanges commerciaux des premiers puisque le risque de change est quasi nul.

Toujours au niveau commercial, retenons que La Banque de France a des relations commerciales privilégiées avec la BCEAO car c’est elle qui fournit les billets à la BCEAO. Cette dernière est, dans ce domaine, le deuxième client de la Banque de France après la zone euro.

Avec l’appui de la France et sans l’appui de la France, quelle est la situation qui est préférable pour les pays de l’UMOA ?

On ne peut jamais refuser un appui mais la question est de savoir quelle est la nature de l’appui. Qu’est-ce que chacune des parties gagnent dans ce processus ? Si l’appui s’assimile à un asservissement, on est en droit de s’interroger sur ses gains réels pour le pays aidé.

Les économistes s’accordent à dire que pour réussir un développement économique harmonieux et soutenu il convient de jouir de la plénitude de son autonomie monétaire. Un pays qui n’a pas le plein contrôle de ce volet de sa souveraineté aura toutes les difficultés à assurer son développement.

Est-ce que l’économie de l’UMOA est assez forte pour pouvoir gérer sa monnaie sans appui extérieur ?

Que faut-il de particulier pour gérer une monnaie que l’UEMOA n’a pas ? Est-ce que des pays comme le Nigéria, le Ghana, le Maroc ou la Tunisie se font aider par une puissance extérieure pour gérer leurs monnaies ? Non à ce que je sache. Ont-ils pour autant, des difficultés à le faire ? Non.

Pour qu’une monnaie soit forte, il faut qu’elle soit adossée sur une économie bien gérée, à croissance forte et durable. Il faut aussi et surtout qu’elle ait une autonomie de gestion. Les Etats de l’UEMOA pris ensemble constituent sans conteste une économie forte. Vous avez huit Etats qui couvrent une superficie de 3 506 126 km2 et comptent plus de 100 millions d’habitants avec des potentialités à faire pâlir d’envie n’importe quel autre pays.

Ceci pour dire que sur le plan économique l’UEMOA a tous les atouts pour se prendre en charge le mieux possible. Mais pour assurer une croissance durable dans ces pays, il faudra que les gouvernants y croient et qu’ils aient la volonté politique pour le faire. C’est peut-être ce qui manque à la région.

Sur le plan monétaire, l’expérience acquise dans le cadre de la coopération monétaire avec la France avec le rattachement du FCFA à une monnaie de référence forte constitue un facteur favorable à une gestion rigoureuse de la monnaie. Sur ce plan aussi, j’ai le sentiment que la BCEAO à toutes les compétences pour gérer sa monnaie de façon autonome.

Là encore, il faut de la volonté pour le faire.
Mais il ne faut pas oublier qu’au départ, la création de l’ECO concerne beaucoup plus la CEDEAO c’est-à-dire un espace beaucoup plus vaste et encore plus viable que l’UEMOA. Les conditions initialement retenues dans le cadre de ce projet me semblent très viables et pourraient, assurer une indépendance plus grande dans la gestion de la monnaie.

L’opinion pense que le lien entre Euro et F CFA pour lequel la France est le fil conducteur, retarde beaucoup les économies de la zone UEMOA. Est-ce que l’opinion n’est pas en erreur ?

Il est vrai que la discipline monétaire à laquelle nos Etats sont astreinte peut constituer un handicap pour leur développement. La politique monétaire très restrictives et déflationnistes mise en œuvre dans ce cadre s’est traduite par un sous financement de la production, toute chose qui ne favorise pas la croissance. Mais, de là à se mettre à accuser la France d’être à l’origine du sous financement de nos économies et ses contreperformances me semble exagéré.

Beaucoup de facteurs non liés à la dimension monétaire et encore moins à la France peuvent être mis en avant comme éléments explicatifs. Parmi ceux-ci, on peut noter les questions du leadership et de la gouvernance.

Interview réalisée à distance par Etienne Lankoandé
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