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Lettre à mon camarade Dabo Boukary, assassiné le 19 Mai 1990

Témoignage de Séni Kouanda, ancien SG de l’ANEB

Publié le lundi 19 septembre 2022 à 11h18min

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Lettre à mon camarade Dabo Boukary, assassiné le 19 Mai 1990

Le procès de l’assassinat de Dabo Boukary s’est ouvert ce 19 septembre 2022 à Ouagadougou. A cette occasion, nous vous proposons de nouveau le témoignage que son compagnon, Séni Kouanda, lui avait rendu sur nos pages en mai 2020, lors du 30e anniversaire de sa mort dans les locaux du Conseil de l’Entente, siège du pouvoir du Front populaire. A l’époque des faits en mai 1990, Séni Kouanda était président de l’ANEB et subira, comme beaucoup d’autres militants de l’association, la répression qui s’est abattue sur eux.

30 ans déjà que tu es parti sans crier gare.
30 ans sans nouvelles de toi. 30 ans, 30 ans.

Où es-tu mon camarade ? où t’ont-ils mis mon camarade ?
Nous sommes à ta recherche depuis 30 ans. Les hommes qui t’ont arraché à notre affection depuis cette date fatidique de Mai 1990, qui t’ont souillé de leurs mains assassines, n’ont toujours pas eu le courage de reconnaître leur forfait.

Depuis 30 ans, nous cherchons à faire ton deuil. Impossible car Il n’y a ni sépulture, ni tombe.
Depuis 30 ans, mes souvenirs de toi ne se sont jamais estompés. Je revoie ton visage toujours serein. Je ressens ta manière d’entrer chez moi, à pas feutrés. Et cette voix calme qui ne s’élève jamais. Cette voix celle d’un homme déterminé, plus mature que nous à l’époque.

Ce jeune homme se battait pour le bien commun. Il a été exclu de plusieurs universités de la sous-région pour ce combat. Je ne t’ai jamais entendu te plaindre de ta situation, même quand celle-ci était difficile, car non boursier.

Ceux qui t’ont assassiné pensaient avoir tué toute idée de combat. Eh bien, ils se sont trompés lourdement. Ton visage incarne celui du combat étudiant, partie intégrante de celui de notre peuple pour la liberté et la justice sociale. Depuis 30 ans, les jeunes qui n’étaient pas nés en 90 ont poursuivi le combat. Le flambeau de la lutte a continué à briller. Le 19 Mai est célébré Journée de l’étudiant burkinabè.

Quant à nous, tes compagnons (nous sommes devenus des cinquantenaires), nous continuons à maintenir haut le flambeau, à nous battre pour les idéaux pour lesquels tu as sacrifié ta vie même si certains ont flanché (c’est aussi cela la vie).

Mon cher Camarade, qu’aurait été ta vie si tu n’avais été assassiné ? cette vie prématurément arrachée à cet amour qui préfigurait de la fondation d’une famille. Je crois que tu aurais été heureux à ses côtés. Ce fut dur, terrible pour elle. Quel choc ?

Sur le plan professionnel, je n’ai aucunement de doute que tu aurais été un bon médecin apprécié par tes malades. Interne au CHU Yalgado, les malades t’aimaient parce que tu prenais soin d’eux. Tu prenais ton temps, les écoutant et essayant de trouver une solution médicale et parfois sociale à chacun d’eux. Tu n’étais jamais pressé quand tu étais auprès des malades. Avais-tu la prémonition de ce qui allait arriver pour te dire que tu allais consacrer le peu de temps de ta vie à prendre soin des autres ? Non, je ne le crois pas. C’était simplement toi, Dabo.

Nous aurions continué côte à côte, faisant chemin ensemble sur le front de la lutte pour la justice sociale et la liberté parce que nous aimons la vie, parce que nous aimons ce peuple qui est pauvre, démuni mais courageux, qui nous a tout donné, qui nous a permis d’avoir une éducation de niveau supérieur.

Mon camarade, mon cher Dabo,

Notre peuple a réalisé une insurrection de portée historique les 30 et 31 octobre 2014. Il a chassé du pouvoir le capitaine Blaise Compaoré. Le régiment de sécurité présidentielle qui a succédé aux fameux commandos du conseil de l’entente a été dissout après son coup d’Etat de septembre 2015.

Des espaces de liberté se sont ouverts plus grandement. Les magistrats commencent à prendre leurs responsabilités. L’espoir renait quant à ce que la justice fasse son travail et que ta tombe soit identifiée. Sur cette tombe, nous ferons le « Doua » nécessaire pour que ton âme tourmentée repose enfin en paix.

Il y a des hommes qui méritent que l’on les rencontre. Tu es de ceux-là. Je suis fier d’avoir eu le privilège de te connaitre, d’avoir été ton compagnon en une vie si brève mais pleine. Ton filleul qui porte ton nom est devenu aujourd’hui un jeune homme.

Mon cher Camarade, mon cher Dabo, ton souvenir restera toujours vivace en nous. Merci pour tout.

Ton camarade et compagnon de lutte
Seni Kouanda

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