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Laurent Kibora, spécialiste des questions liées à l’extrémisme violent : « Si ces terroristes ont pu s’installer dans notre pays, c’est parce que nous sommes divisés »

Publié le lundi 10 février 2020 à 22h25min

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Laurent Kibora, spécialiste des questions liées à l’extrémisme violent : « Si ces terroristes ont pu s’installer dans notre pays, c’est parce que nous sommes divisés »

Sommes-nous dans une autre phase dans le phénomène terroriste au Burkina Faso ? En tout cas, tout porte à le croire. Si au début c’étaient les forces de défense et de sécurité qui étaient surtout harcelées par les groupes armés terroristes, la donne semble avoir changé depuis quelques temps. De plus en plus, ce sont des populations civiles qui sont les cibles. Laurent Kibora, spécialiste des questions liées à l’extrémisme violent et à radicalisation, nous explique les raisons de ce changement de stratégie. Avec lui, nous avons également abordé les questions de négociation avec les terroristes. Faut-il franchir ce pas, comme le Mali l’envisage ? L’auteur du livre « Actions de développement du système national de sécurité » nous propose sa grille d’analyse, non sans proposer des solutions qui, selon lui, permettront au Burkina de panser sa plaie terroriste.

Lefaso.net : Depuis quelques temps, on assiste à une recrudescence des attaques. Au début, c’étaient surtout les Forces de défense et de sécurité (FDS) qui étaient harcelées ; mais de plus en plus, ce sont les populations civiles qui payent le lourd tribut. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce changement de donne ?

Laurent Kibora : Avant de répondre à votre question, il faut dire pourquoi nous sommes attaqués. Ceux qui nous attaquent ont clairement manifesté leur motivation. Au mois d’octobre 2019, le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) a publié un communiqué dans lequel il s’en prenait au Burkina. La gouvernance suite à l’insurrection populaire, les liens avec les forces étrangères sont entre autres pointés du doigt.

Aussi, Abdoul Hakim Al-Sahraoui, qui est le bras droit du patron de l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara), a lancé un message très menaçant aux dirigeants pour dire qu’il y aura des opérations de grande envergure. Nous sommes dans cette dynamique actuellement. On a eu Sokoto au Mali, Chinagoder au Niger, Silgadji et Arbinda au Burkina Faso.

Pour revenir à votre question, il faut dire que les terroristes sont des grands stratèges. Tantôt ils mettent la presse sur un point, tantôt ils changent de stratégie et mettent la pression sur un autre point. Pendant longtemps, ils ont harcelé nos Forces de défense et de sécurité parce qu’ils ont vu que la faille était à ce niveau. Cependant, notre armée a commencé à s’adapter à la menace, à engranger des victoires. Cela ne laisse pas l’ennemi indifférent. Du coup, il a changé de stratégie.

Selon les informations qui nous parviennent, après la cuisante défaite des terroristes à Arbinda, beaucoup auraient fait défection. Certains sont impotents à vie. Cela a porté un coup au moral des éléments de leurs troupes qui ont décidé de se venger à tout prix.

Nous sommes dans un contexte où les solutions que nous croyons avoir trouvées ne produisent pas de résultats probants. Nous avons utilisé les couvre-feu, l’Etat d’urgence, mais les terroristes continuent de gagner du terrain. Nous avons impliqué la chefferie coutumière, les religieux et maintenant nous sommes en train de parler de volontaires pour la défense de la patrie.

Justement, a-t-on enfin trouvé la solution avec ces volontaires pour la défense de la patrie ?

Je l’ai toujours dit, c’est une bonne-mauvaise idée. Bonne dans la mesure où avec ces volontaires, il y a un mécanisme de défense automatique. Les FDS ne peuvent pas être partout pour riposter, contre-attaquer. En plus, on ne peut pas rester les bras croisés. Vu dans ce sens, c’est une bonne idée.

Dans un autre sens, il faut être objectif. Si avec les FDS nous peinons à faire face à ces terroristes, est-ce que ce sont les volontaires qui vont réussir ? Ils auront une formation de deux semaines. En 14 jours, qu’est-ce qu’une personne peut apprendre pour face à ces hommes armés ? En plus, il y a l’équipement. Déjà, l’armée se plaint de la qualité de son équipement qui n’est pas adapté. Il y a des problèmes de primes, de coordinations, de commandement, et on ajoute une autre donne. Cela risque d’envoyer d’autres problèmes. Mais, cela interpelle les autorités à prendre de bonnes décisions. Selon moi, la solution est en trois phases…

Lesquelles ?

D’abord politique, ensuite diplomatique et enfin patriotique. Sur le plan politique, parce que je pense que ça sera difficile de sortir de ce problème sans une véritable réconciliation nationale. Il faudrait que cessent ces règlements de comptes, ces vendettas. Dans une situation pareille, c’est le moindre mal qu’il faudra chercher. Il y a beaucoup de dossiers en suspens en justice actuellement.

Vous ne prônez pas une certaine impunité-là ?

Au regard de l’urgence du moment, je pense qu’il faut prôner le rassemblement autour d’une seule cause. Cette union nationale ne peut être obtenue sans qu’on ne passe par le pardon, l’absolution. Si ces terroristes ont pu s’installer dans notre pays, c’est parce que nous sommes divisés. Il y a beaucoup de personnes frustrées, et cela se sent. La preuve, des informations confidentielles se retrouvent souvent sur les réseaux sociaux. Combien de fois on a enregistré des grèves au niveau de la police nationale dans ce contexte ? Devant tout cela, il faut une solution politique. On dit souvent qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’on bon procès.

Et sur le plan diplomatique ?

Il faut le dialogue, il faut le bâton et la carotte comme on le dit. Le Mali est sur cette voie. Le Haut-représentant du chef de l’Etat pour le Centre, Dioncounda Traoré, a avoué avoir envoyé des émissaires pour discuter avec Iyad Ag Ghaly, Amadou Kouffa. Les autres l’ont expérimenté et ont eu de bons résultats. L’Algérie l’a essayé et a trouvé une accalmie. La Mauritanie également. Le Burkina, de par son rôle de facilitateur et de médiateur dans le passé, a eu à établir des liens avec quelques dirigeants de ces groupes. C’est une solution à envisager.

Mais sur quoi négocier avec ces groupes dont certains réclament qu’une partie du territoire leur soit cédée ? Peut-on négocier l’intégrité territoriale du pays ou le caractère laïc de l’Etat ? N’est-ce pas un aveu d’impuissance ?

Non, pas du tout. Quand vous décidez déjà de négocier, il y a le respect de l’adversaire. Concernant toutes ces revendications territoriales, idéologiques, des analystes ont révélé qu’il n’en est rien. Mais c’est juste un problème financier. Le terrorisme et l’insécurité nourrissent beaucoup de personnes. C’est un gros business qui fait couler beaucoup d’argent, c’est un peu comme l’immigration clandestine qui génère beaucoup de milliards pour les passeurs. Si vous partez par exemple à Agadez au Niger, avec l’intervention de l’Union européenne qui contribue à bloquer le passage, cela a créé beaucoup de problèmes. L’économie parallèle qui s’était développée autour de ce trafic s’est effondrée du jour au lendemain. Cela a poussé beaucoup de gens dans des activités plus criminelles : le terrorisme, le grand banditisme.

Dans ce contexte, il serait très judicieux et stratégique de ne pas se mettre en marge. Les Occidentaux eux-mêmes condamnent ces groupes le jour ; mais la nuit, ils vont dialoguer avec eux. De par le passé, c’est ce que le Burkina aussi faisait. Il ne s’agit pas de dire que nous allons céder une partie du territoire ou que nous allons accepter l’application de la charia dans une partie du territoire, mais c’est de leur proposer de gagner autrement leur vie, sans tuer.

Qu’en est-il de la solution patriotique que vous prônez ?

Elle s’inscrit sur le socle de l’union sacrée, de la réconciliation nationale et de la cohésion. Ce patriotisme commande que le Burkinabè dise non au terrorisme, non au grand banditisme. Il y a certaine responsabilité citoyenne dans la lutte contre le terrorisme qu’il fait prôner et défendre. Si nous-mêmes livrons nos frères et sœurs, nous rendrons compte à l’histoire.

Une autre chose, selon que l’on est dans ces zones très marquées par le terrorisme ou dans les grands centres urbains comme Ouagadougou, l’on se rend compte que les Burkinabè n’ont pas les mêmes problèmes. A Ouagadougou, l’on ne semble pas se préoccuper du phénomène qui a occasionné des milliers de déplacés internes et qui provoque des morts presque quotidiennement….

Il ne faut pas faire la sourde oreille. Ce sont des messages que ces groupes terroristes nous envoient. J’ai l’impression que jusqu’à présent, les autorités font la sourde oreille et n’essaient pas de trouver les solutions face aux messages qu’on leur envoie.

Par exemple, vous prenez la ville de Djibo où la population a doublé à cause de l’afflux des populations fuyant le terrorisme ; c’est pareil pour les communes de Barsalogho, de Kaya. C’est une autre réalité qui contraste avec le vécu dans les grands centres urbains comme Ouagadougou. Cela nous laisse voir que les Burkinabè n’ont pas encore compris, n’ont pas encore saisi qu’ils sont en guerre.

Ces temps d’accalmie, de quiétude et de sérénité que nous avons connus de par le passé sont révolus. Nous sommes dans une nouvelle donne et nos comportements, nos agissements doivent être en adéquation avec cette nouvelle donne. Cela commence par nos autorités ; elles doivent sonner l’alerte, donner l’exemple, fédérer les énergies. Le président du Faso fait certes des efforts, mais nous avons remarqué qu’il est beaucoup dehors ; il voyage beaucoup, pendant qu’à l’intérieur, des Burkinabè souffrent dans leur chair.

Dans une de vos solutions pour lutter contre le terrorisme, il y a quelques mois, vous avez proposé le rouleau-compresseur russe. Une stratégie de coordination entre les différentes forces impliquées dans cette lutte. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Le rouleau-compresseur russe est une réponse face à un constat : il n’y a pas suffisamment de collaboration, de coordination entre les différents corps de Forces de défense et de sécurité, c’est-à-dire les forces militaires et paramilitaires. Ce que j’ai proposé est un peu un travail à la chaîne, où chaque maillon a un rôle précis à jouer.

Les Gardes de sécurité pénitentiaire par exemple, qui sont chargés de surveiller des présumés terroristes, récoltent les informations qui seront transmises à la police qui est très futée dans le renseignement. La police, à son tour, traite ce renseignement et la transmet à la gendarmerie. De là, en coordination avec l’armée, des opérations peuvent être organisées pour aller à l’action. C’est donc un mécanise où militaires, gendarmes, policiers, GSP, douaniers et forestiers doivent coordonner les efforts pour que la lutte soit plus efficace. Si toutes ces entités sont unies, soudées, je crois que les résultats seront entre meilleurs.

Entretien réalisé par Tiga Cheick Sawadogo
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