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Kamsaoghin Naaba, ministre du Mogho-Naaba : "Nous célébrons les funérailles de la morale"

Publié le lundi 5 septembre 2005 à 07h14min

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Si dans nos campagnes, la préservation des cimetières des agressions est à la hauteur du respect dû aux morts, il n’en est pas de même dans nos grandes villes et singulièrement à Ouagadougou où des cimetières sont délaissés et où les morts semblent définitivement morts de leur mort.

Tout se passe comme si ces morts nous dérangeaient dans notre vie quotidienne, étaient devenus encombrants et troublaient notre quiétude. Pour tout dire, dans certaines zones urbaines, les morts n’ont plus droit à la paix des cimetières - cimetières non gardés et non clôturés, cimetières - dépotoirs, cimetières saturés depuis des lustres où l’on continue pourtant à enterrer nuitamment et clandestinement des morts en exhumant de vieux ossements (germes de maladies) livrés aux charognards, cimetières - laboratoires de scènes obscènes, cimetières bancs de soupirs pour amoureux d’une seule nuit ; antichambres de malfrats et même refuges d’abattages clandestins. Comment en est-on arrivé là ?

Que faire pour que nos morts soient mieux respectés en retrouvant la place qui leur revenait dans le temps, qu’ils ne soient plus obligés de se retourner quotidiennement dans leur sépulture ? Comment éviter que des cimetières ne soient entièrement rasés et que des personnes endeuillées ne se voient interdites de se recueillir sur la dernière demeure d’êtres chers ? Le Kamsaoghin-Naaba, ministre du Mogho-Naaba, estime, à travers cette interview, qu’il est de la responsabilité de la municipalité de mettre fin à cette gestion anarchique des cimetières.

"Le Pays" : En Afrique en général, et au Burkina en particulier, on dit que les morts ne sont pas morts. Etes-vous d’accord avec une telle affirmation et quel sens revêt-elle ?

Le Kamsaoghin-Naaba : Dans le monde et à travers les âges, cette affirmation garde une résonance toute particulière et une profondeur abyssale.

Dire que les morts ne sont pas morts, n’est-ce pas une manière d’en appeler à leur respect ? Concrètement, comment devrait se manifester un tel respect ?

"Les morts ne sont pas morts" veut dire en clair qu’ils vivent à travers les souvenirs qu’on garde d’eux. Les anciens en Afrique étaient respectés ; aussi, quand ils disparaissaient, on les immortalisait par des funérailles et des rites de souvenir. Quand le sacrificateur voulait égorger son poulet, il s’adressait à Dieu et ensuite aux parents disparus.

Jadis, lorsqu’un décès survenait dans un quartier, c’était la consternation générale. Aujourd’hui, quand certains enterrent leurs morts, parfois, des voisins de mur mitoyen festoient. Ne trouvez-vous pas de tels comportements étranges ?

En effet, quand il y avait un décès dans une famille, tout le quartier était en deuil. Les enfants étaient enfermés dans la cour ; il leur était interdit de voir le corps, et même le brancard qui transportait le mort. Si par mégarde un enfant regardait ce convoi, il était obligé d’avaler un petit caillou pour effacer le malheur. De nos jours, la civilisation occidentale, d’un revers de la main, a tout balayé. Comment voulez-vous qu’une personne qui ne respecte pas un ancien ait du respect pour son cadavre ?

Qu’avez-vous ressenti lorsqu’il y a quelques années, on avait procédé au rasage de deux cimetières à Dapoya ? Certes, des familles avaient été priées de venir récupérer les restes mortels de leurs proches. Mais que d’ossements broyés et dispersés après le passage des bulldozers !

A cette époque, j’ai ressenti une certaine répugnance, répugnance que l’on ressent souvent au frôlement d’un crapeau. Dans ce cimetière, était enterré un ami, le docteur Yalgado Ouédraogo. Nous nous sommes connus en 1951 à Dakar. Lui était médecin africain et moi stagiaire en anestrologie. Nous, ses amis, avons assisté impuissants à cette scène. Mais, croyez-moi, la série va continuer.

De telles pratiques existaient-elles dans le Burkina traditionnel ? Si oui, répondaient-elles à une nécessité ? Y avait-il des précautions préalables à prendre avant de se lancer dans une telle opération ?

Je répondrai, sans ambages, non !

Respecter les morts suppose qu’on les laisse en paix. Que pensez-vous de ceux qui enterrent leurs morts clandestinement et nuitamment dans des cimetières saturés et fermés en exhumant des ossements livrés aux charognards ?

Cela est inexplicable. Dans le passé, le commun des mortels était enterré loin du village, à domicile pour les vieux parents et personnes âgées. Cette dérive, je l’impute à la municipalité. Les habitants manquent totalement de civisme.

A Ouagadougou par exemple, le seul cimetière digne de ce nom est le cimetière municipal. Les autres cimetières ne sont plus qu’un lointain souvenir. Même ceux qui ont résisté aux intempéries sont transformés en véritables dépotoirs d’ordures ménagères et d’excréments, en repaires de malfrats, en antichambres de pratiques obscènes, le tout, dans l’indifférence presque générale. Que faut-il faire, selon vous ?

J’impute encore tout cela à la municipalité.

Ne trouvez-vous pas que cette notion de respect craintif des morts a perdu aujourd’hui toute sa charge émotionnelle au Burkina et que, finalement, ce sont les pays occidentaux, dont on dénonce parfois l’indifférence devant la mort, qui sont en train de récupérer cette valeur africaine ?

Pas seulement sa charge émotionnelle mais toute sa signification.

Un tel mépris des morts n’est-il pas irréversible ? Ne pensez-vous pas que, demain, nos enfants, déjà endurcis par ces scènes macabres qui défilent à la télé et qui leur font de moins en moins peur, auront de plus en plus un regard méprisant sur nos disparus ?

Le mépris des morts est déjà effectif aujourd’hui, donc irréversible. Nos enfants verront un jour les méfaits de cette attitude.
Il y a un proverbe de chez nous qui dit : "Inutile et superflu de prendre un enfant et le porter haut pour qu’il voit ce qui arrive devant lui".

De nos jours, la solidarité entre voisins de quartier autour d’un décès n’est plus la même que celle observée dans le passé. Qu’est-ce qui peut bien expliquer cela ?

L’individualisme créé par la civilisation occidentale est la cause principale de cette dérive.

Les Occidentaux respectent pourtant leurs morts en entretenant bien leurs cimetières...

Les Africains copient mal. Ils ne savent que singer les comportements négatifs de l’Occident.

En tant que responsable coutumier et garant de la tradition, ne croyez-vous pas avoir une part de responsabilité dans cette situation ? Avez-vous déjà engagé des actions en vue de sauver ce qui peut encore l’être ?

Nous ne sommes pas responsables de ce qui arrive à nos cimetières. Adressez-vous à la municipalité qui les gère à présent.

Le culte de la mort faisait partie de la culture africaine. Aujourd’hui, on assiste pratiquement à la culture de la mort. Tout cela n’est-il pas la conséquence de l’agonie de la morale au Burkina ?

La morale n’agonise plus. Nous célébrons ses funérailles.

Selon vous, quelles sont les conséquences de ces comportements qu’on pourrait qualifier de dérives ? Avez-vous des recommandations particulières à faire ?

Trop tard !

Propos recueillis par Alassane K. Ouédraogo
Sidwaya

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