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Kotéba de Seydou Boro : Du théâtre pour abattre le silence

Accueil > Actualités > Culture • • jeudi 22 août 2019 à 20h30min
Kotéba de Seydou Boro : Du théâtre pour abattre le silence

Dans la soirée du samedi 3 août 2019, le célèbre chorégraphe et homme de théâtre burkinabè Seydou Boro a présenté, à Ouagadougou, la générale de sa dernière création seul en scène, Kotéba, devant un public d’artistes. D’une durée de quarante minutes environ, le spectacle en fignolage joué au Centre de développement chorégraphique (CDC), n’a pas pu intégrer la composante lumières. Le spectacle n’en fut pas moins complet.

Deux microphones sur pied plantés sur l’espace vide de la scène, l’un à l’avant-scène, côté cour (c’est-à-dire du côté gauche de la scène en faisant face au public), et l’autre en retrait dans la partie droite de la scène. Voilà le décor qui accueille le public dans la salle. Ainsi plantés sur l’aire de jeu, ces deux objets intermédiaux d’amplification de la voix, transforment d’emblée l’espace scénique en un lieu de prise de parole. Mais qui y prendra la parole ?

Un homme furtif, un personnage oscillant tel un caméléon, pointe subitement au fond gauche de la scène et commence une marche ascension lente dans ce qu’on imagine être un corridor où les pas ne sont jamais assurés. Ce personnage dont la carrure laisse deviner un port naguère altier, avance précautionneusement en charriant par son être le poids de lourdes traces mémorielles. Il faudra pour l’imaginer penser à un vieux prêtre confesseur auquel le temps et la charge ont imprimé une allure de héron. Vêtu simplement d’une jupe masculine rouge-sang, semblable au sarong de l’Asie du Sud-Est, le personnage porte aussi sur le visage et le cou un masque de kaolin du même rouge.

Le costume sobre du personnage inscrit sur ce corps d’homme la marque du féminin en attribuant au porteur de la jupe, objet vestimentaire culturellement associé à la féminité, une identité transcendante. La prise de parole que suggère l’espace de jeu s’articulera donc autour des genres. La couleur rouge-sang du masque et de la jupe ne laisse aucune ambiguïté sur la violence dont le discours sera porteur. Le rouge se lit ainsi en texte avant le texte, donc en pré-texte, de cette parole qui doit être créée et dite, car celle-ci n’est pas donnée.

Le personnage joué par Seydou Boro avance comme sur des échardes, tel Orphée, dans une descente aux Enfers pour sauver la parole. Ce cheminement qui se traduit physiquement sur l’espace scénique est plutôt spirituel. Il s’agit en effet d’une alchimie, de cette magie dont parle Antonin Artaud au sujet du théâtre. Le masque de kaolin rouge arboré est le dédoublement psychologique nécessaire à la mise à mots de traumatismes. L’acteur est ici un forgeron dont le labeur physique et spirituel sous nos yeux fait advenir le récit de feu et de sang que couve ce rouge.

A mi-chemin de son périple visiblement éprouvant, le personnage, comme dans une confidence, souffle ses premiers mots dans un des microphones ; des mots dits en mooré. Le reste du texte sera en français. Le timbre bien masculin de la voix cache mal le manque d’assurance du sujet parlant. « L’objet » du récit, nous l’apprendrons au fil de la parole, c’est tantôt « la Petite, » tantôt « la Femme. » En faisant souffler dans chacun des deux microphones les bribes du récit, la mise en scène du spectacle a fait le choix de personnifier ces accessoires, faisant d’eux les substituts de « la Petite » et de « la Femme ».

Ces deux personnages subalternes, qui ne peuvent ou ne veulent prendre directement la parole, acquièrent ainsi le statut de sujet parlant, mais leurs mots doivent être ventriloqués par le personnage au masque et à la jupe rouges. S’il est vrai qu’en général, la subalternité dépossède l’individu du pouvoir d’énonciation, celle que présente Kotéba permet aux deux personnages féminins d’acquérir, par l’intermédialité des microphones, une subjectivité qui permet la prise de parole.

L’alchimie en cours sur la scène est portée par des gestes et des mots qui interrogent, des phrases et des mouvements maintes fois suspendus, inachevés, qui se poursuivront dans les imaginaires. Ces mouvements et ces mots sont apurés par l’artiste pour mieux dé-couvrir, dé-voiler, dé-masquer, … et lever le tabou sur l’inceste de « la Petite » et le viol de « la Femme. » Ces crimes de sang, trop souvent tus, sont ici excavés par le corps et le verbe.

L’homme à la jupe rouge doit, au terme de la descente aux enfers, se livrer à une reconstitution des faits en utilisant les personnages microphones sur pied. La position victimaire que finit par adopter l’homme lui-même dans cette reconstitution, lorsqu’il s’étend à cotés des deux autres personnages comme lui étendues et impuissantes, finit par convaincre que lui aussi, peut-être, est une victime.

Kotéba s’achève par un rite de purification où le cercle tracé de terre rouge permet une élévation à la surface ; c’est d’une remontée de la descente aux enfers qu’il s’agit. L’espoir qui point alors dans l’espace, sur le corps et dans les mots est rendu possible par l’homme et ses deux personnages qui ont su et pu déterrer la parole, comme une hache de guerre, pour abattre la loi du silence qui s’imposait aux mots et aux maux.

Christophe Konkobo,
Enseignant-chercheur et artiste

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