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Iron Bender : « Depuis que j’ai commencé la musique, je n’ai jamais eu de producteur, je n’ai jamais eu de soutien »

LEFASO.NET | Par LEFASO.NET

Publié le lundi 12 août 2019 à 13h30min

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Iron Bender : « Depuis que j’ai commencé la musique, je n’ai jamais eu de producteur, je n’ai jamais eu de soutien »

Son nom à l’état civil est Mamadou Koussé. Il est artiste chanteur, son style musical est le reggae. Il est aussi écrivain. Iron Bender fut d’abord footballeur avant de se servir du micro pour faire passer ses messages au monde. Dans une interview qu’il nous a accordée, Iron Bender nous parle de lui, de sa musique. Son 5e album sortira bientôt, d’après ses dires.

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Iron Bender : Je m’appelle Mamadou Koussé à l’état civil. Je suis artiste chanteur, je fais le style reggae, je suis aussi écrivain. Je suis de Tougan, mon nom d’artiste c’est Iron Bender dit le Rasta commando. J’ai à mon compte quatre albums, j’ai aussi deux livres, un en anglais intitulé « Riap what you sow », publié en 2012 ; un en français qui s’intitule « Poèmes humoristiques thérapeutiques du Burkina », publié en 2016. Ils sont déjà tous les deux sur le marché. J’ai aussi deux autres livres qui vont sortir bientôt, qui sont « Mani Lor, femme de quelqu’un » et « The mysterious adventure of Bousouyan »

Que veut dire Iron Bender ?

Iron Bender veut dire l’homme qui tord le fer, ça vient de l’anglais. (…) Quand on dit Iron Bender, c’est celui qui tord le fer.

Comment êtes-vous venu dans la musique ?

C’est une longue histoire. Je ne faisais pas de musique avant, j’étais footballeur, je faisais du karaté aussi. Je me suis retrouvé au Nigeria, j’ai joué dans plusieurs équipes telles que 158 Baresel, Wadasco, Dumex, Fugerole.

C’est arrivé à un certain moment que je me suis inscrit dans une école, je me suis intéressé à la littérature. Surtout à la poésie, à l’histoire ancienne, l’Empire romain. Je voulais étudier pour savoir ce qui s’est passé dans le monde avant nous. En faisant des recherches, j’ai trouvé que ce que les gens ont écrit, c’est bon ; mais j’ai trouvé qu’au niveau des chansons, les chanteurs sont beaucoup plus écoutés. J’écoutais les rocks et autres mais quand j’ai écouté la musique reggae, j’ai vu que je comprenais tout ce qu’ils disent dans leurs chansons. C’est après que j’ai découvert les Bob Marley, les Peter Tosh.

L’histoire du reggae m’a beaucoup inspiré. J’ai commencé à interpréter. En ce moment je n’étais pas dans un orchestre, j’essayais de murmurer les chansons quand ça passait à la radio ou au magnétophone. Ensuite, je me suis inscrit dans les orchestres pour apprendre, parce qu’à l’époque, même si on avait de l’argent, il était difficile de faire la musique. Il fallait forcement intégrer un groupe.

Au début, je ne me suis pas lancé en tant qu’artiste chanteur, auteur compositeur, j’étais d’abord interprète. Avec ça, j’ai commencé à jouer les instruments. C’est pourquoi je joue à la basse, je fais l’accompagnement et je joue un peu au piano. J’ai été formé par Ras Michael, le plus grand bassiste de musique reggae de la Côte d’Ivoire. Il m’a appris à créer la ligne de base. La ligne de base se crée pour faire la différence entre deux chansons avec les mêmes notes, avec la guitare basse. Ainsi, c’est moi-même qui fais la ligne de base pour toutes mes chansons.

C’est avec mes recherches et la volonté que je me suis lancé dans la musique. Quand j’ai pris conscience, je me suis dit pourquoi ne pas apporter ma contribution. Vu ce qui se passe dans le monde entre les Noirs et les Noirs, entre les Blancs et les Blancs, entre les Blancs et les Noirs. Déjà en 1986, je jouais dans les orchestres. J’ai joué dans l’orchestre Willy Wise, Jah Apothy, Heart of Jah, tous étaient à Abidjan ville. J’ai fait ma première maquette en 1987. Voilà comment je suis venu dans la musique.

Qu’est-ce qui vous a fait aimer le style reggae ?

D’abord je dirais que ça a un rapport avec le fait que je maîtrise l’anglais. Mais c’est aussi dû au fait que je trouve que dans la musique reggae, on comprend tout ce qui se dit. Quand j’écoutais the world music, the slow music, je trouvais qu’on on ne me disait rien de concret, mais quand j’ai commencé à écouter les U-Roy, les Dillinger, Max Romeo, I Roy, Toots and the matyrs, Sony Okusun…, j’ai vu que ce sont des gens qui ont quelque chose à dire. Quand j’ai commencé à écouter the reggae music, j’ai compris que tout est règlementé dans la musique reggae. J’ai aimé le reggae parce qu’il y a des messages à moi que je dois passer. Puisqu’ à part la musique reggae, je ne vois pas un autre genre de musique qui donne les idées aux gens.

Quels sont les thèmes que vous abordez fréquemment dans vos chansons ?

Les thèmes que j’aborde ont un rapport avec mon passé et aussi avec les problèmes actuels de notre société. Ça dépend de mon passé car je n’ai pas eu des trucs faciles. Je ne suis pas de ceux qui ont bénéficié de certains privilèges comme imposer à la maman ce que tu veux manger. Ça dépend de notre société actuelle car il y a trop de problèmes au niveau de nos familles. Si la grande-sœur n’est pas jalouse de la beauté de sa petite-sœur, la petite sœur trouvera qu’on aime la grande-sœur plus qu’elle.

Dans la vie, il y a des actes abominables tels qu’un papa qui couche avec sa fille, le grand-frère et la petite-sœur, les prêtres PD... Ce sont des trucs que les gens ne peuvent pas dire, or ça y est là.

Quand on nous parle de mariage pour tous, c’est vrai que je ne suis pas allé trop loin à l’école, mais je sais que le mariage se fait entre un homme et une femme. La Bible dit : « Si un homme couche avec un homme de la manière qu’on couche avec une femme, qu’on élimine les deux, parce qu’ils ont commis l’acte le plus monstrueux de la terre » Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Bible. Ce sont des choses comme ça qui m’énervent. On dit « mariage pour tous » pour encourager l’abomination, et pourtant les femmes sont au moins 60% de la population mondiale ; un homme pourrait avoir trois femmes.

J’ai dépassé le stade où on monte sur scène ou on entre en studio pour chanter les « chérie tu es belle, quand je te vois je suis content ». J’ai dépassé ça, ce n’est pas dans mon cerveau, je ne peux pas faire cela parce qu’il y a trop de problèmes. Les beaux-frères qui prennent les biens de leur frère après la mort du mari, en laissant la famille de ce dernier sans rien, tout cela m’inspire. Je parle d’injustice, je parle des actes abominables, je parle de freedom (la liberté). Je préfère parler de tout ce qui est négatif pour la société. Je suis souvent incompris. Souvent dans mes albums, des fois même, quand je fais mes clips, c’est difficile à décoder. Mon but aujourd’hui est que ceux qui m’écoutent sachent au moins qu’il y a quelqu’un au Burkina qui dit certaines vérités dans le monde.

Quelles sont les conditions dans lesquelles vous créez ?

Ce n’est pas facile, car depuis que j’ai commencé la musique, je n’ai jamais eu de producteur, je n’ai jamais eu de soutien, je me débrouille seulement. Dieu merci, je ne suis pas un voleur, je me contente seulement de ce que j’ai, j’essaie d’économiser un peu ; c’est tout. Je suis moi-même l’arrangeur de tous mes albums. Je fais mes enregistrements dans les studios suivants : le studio ABC de feu Mamadou Doumbia, le studio Grenier, le studio Prince Edouard et aussi le studio JBZ. Les labels qui distribuent mes produits sont : Show Biz Abidjan et Seydoni à Ouagadougou.

C’est vrai qu’il y a des problèmes mais ces problèmes ne m’empêchent pas de travailler. J’ai même fait une chanson, « Stop tabac », parce que je trouve que la jeunesse est gâtée. J’ai fini la chanson, je suis allé au ministère de la Santé déposer le CD. Jusqu’aujourd’hui, ça vaut deux ans, personne ne m’a aidé. Un mois après l’attaque de Cappucino, j’avais déjà fini une chanson, « Non au terrorisme ». Je l’ai même clipé, il passe à la télé. Après ça, j’ai fait « Debout Burkina Faso, debout ». J’ai fini ça aussi, je l’ai clipé.

Je tiens toujours bon car depuis que je suis né, je n’ai jamais goûté à l’alcool, je ne fume jamais la cigarette. J’ai arrêté la viande depuis 1990. Je ne connais pas la drogue, j’ai arrêté de boire du café ça vaut 8 ans maintenant. J’ai déjà un sang chaud, si je prends encore des excitants, ce n’est pas bon.

Combien d’albums avez-vous aujourd’hui ?

Aujourd’hui, j’ai à mon compte quatre albums, sans parler des featurings. Mon premier album s’appelle « Crime », il est sorti en 1999. Mon 5e album va sortir bientôt, tout le travail est déjà fini. Je l’ai intitulé « Vérité ».

Peut-on avoir une idée de votre nouvel album ?

C’est un album de huit titres dont « La vérité, Allahou akbar (Dieu est grand), Mouso, Save the children, Abidjan Bassam (en hommage aux victimes de Bassam) ... ». Il ne faut pas penser au Burkina seulement ; le Burkina et la Côte d’Ivoire, c’est la même chose. La moitié de cet album a été enregistrée en Côte d’Ivoire, et l’autre moitié au Burkina Faso dans deux studios différents.

Vous faites souvent des tournées nationales et internationales ?

Oui je fais souvent des tournées nationales et internationales. La dernière fois, nous sommes allés au Mali. Je suis l’artiste qui a représenté le Burkina dans un festival au Mali, « Mali Festi Reggae », en 2018. Le concert pendant ce festival a été bien filmé et ça m’a permis d’avoir le « Marley » du meilleur concert live en 2018. J’ai fait aussi un peu le Sénégal, Lagos, mais ce n’était pas de vrais festivals qui font parler d’eux. Mais pour le Mali, c’était un truc très spécial, très bien fait. De temps en temps, je pars aussi en Côte d’Ivoire où je connais tous les artistes qui sont là-bas, je dirais même que la Côte d’Ivoire est ma base.

Faites-vous souvent des concerts live ?

Oui, oui je fais souvent des concerts live, même « Mali Festi Reggae » dont je parle était en live. Le live n’est pas quelque chose d’extraordinaire. Les gens pensent que quand on fait du live, on est un dieu ; le play-back est plus difficile que le live. En play-back, c’est carré du début jusqu’à la fin, les roulades sont comptés ; les vents, les solos, tout est compté jusqu’à la fin. Donc si tu fais du play-back, tu es obligé de suivre ce qui est sur le CD.

Mais quant au live, c’est vrai qu’il y a des répétitions, mais tu n’es pas obligé de suivre les musiciens à la lettre, tu es maître de ton temps. C’est le chanteur qui décide où le bassiste doit jouer, où le batteur doit s’arrêter. L’artiste chanteur est le moteur de la scène en live. Mais en play-back, il n’y a pas de dépense à faire, on fait semblant et le seul souci est qu’on ne va pas loin dans sa carrière en faisant du play-back car ça ne nous fait pas apprendre quelque chose de nouveau.

A combien s’élèvent vos cachets ?

Le cachet, ça se discute. Si un artiste dit que son cachet est une telle somme fixe, il a menti. Mes cachets précédents étaient quand même beaucoup, c’est ce que je peux dire. Je profite de l’occasion pour dire aux artistes d’être prudents en ce qui concerne les cachets. On peut trahir l’artiste à propos de son cachet, on peut te baratiner en te disant que c’est un petit truc, pour te faire signer un cachet pas conséquent et par fini, tu découvres que c’est le contraire. Pour signer un contrat, il ne faut pas tenir compte en premier lieu du montant qu’on t’a proposé, il faut toujours prendre en compte son transport aller-retour, son hébergement, sa restauration, tous les petits détails.

S’il arrive qu’on t’envoie la moitié de ce qu’on t’a proposé avant une activité, il faut toujours prendre le reste du cachet avant de monter sur scène. Sinon après avoir fini de chanter, il n’est plus possible de faire pression sur les organisateurs pour le reste de ton cachet. Le cachet doit monter car en partant, on doit partir avec son caméraman et il doit être payé lui aussi pour ses services. On doit partir avec son caméraman, parce que si on laisse les organisateurs s’occuper de la vidéo du concert, il est difficile de récupérer les vidéos après.

Que pensez-vous de l’évolution de la musique reggae au Burkina Faso ?

Les rastas au Burkina, on est là, même si on n’est pas soudé, même si chacun est dans son coin. C’est vrai qu’on est pauvre, on a des problèmes de producteur, on n’a rien. C’est vrai qu’il est difficile de rentrer en studio. Mais aucun autre reggaeman d’un autre pays ne peut venir faire le malin au Burkina Faso ici, même si les gens ne nous considèrent pas, même si les gens ne croient pas à ce que les rastas du Burkina font au Burkina présentement, même si les gens ne croient pas à leurs messages.

Ceux qui nous entourent ne croient pas en ce que nous faisons. Ils veulent qu’on chante comme les Arafat, qu’on fasse du coupé-décalé, pour avoir de l’argent. Alors qu’il est impossible d’écouter le coupé-décalé pendant 10 minutes sans devenir bête, puisqu’on ne comprend rien dans ce qui se dans le coupé-décalé. C’est rempli de bruit et on se prend plaisir à faire avec la bouche ce qu’un batteur doit faire avec la batterie.

Si on n’est pas dans les trucs mondiaux, internationaux comme on le dit, au Burkina ici, on ne te considère pas comme un artiste. On se fout de toi, tu n’es rien tant que tu n’es pas parti chanter en France.

On est censuré même par nos animateurs radio, la plupart des temps. On ne joue pas nos musiques, au profit de celles d’autres pays. Quand tu utilises des instruments de musique comme la calebasse, on ne te trouve pas à la hauteur. Mais ce qu’ils oublient le plus souvent, c’est que ceux qui écoutent cette radio sont des Burkinabè et non des étrangers.

Malgré toutes ces difficultés, il faut comprendre qu’il n’y a rien qui ne s’est passé au Burkina ici, que les rastas n’avaient pas prédit. Exemple, il y a un qui a chanté « Ouvre les yeux, ouvre les yeux ». C’est après cela que Blaise est parti. En 2004, j’ai fait « Faso unité ». Tout ce que j’ai dit dedans c’est ce qui se passe. Par exemple, les élèves qui crient dans la rue, ça veut dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas.
Je profite de cette occasion pour appeler tous les reggaemen du Burkina à l’union. La division ne fait pas notre force. Si on est soudé, si on se met ensemble, on peut faire de grandes choses.

Est-ce que Iron Bender vit de son art ?

J’ai toujours refusé de répondre à cette question, mais je vais vous répondre. Que faut-il entendre par vivre de son art ? C’est un français qui est très élastique. On ne peut pas vivre à 100% de son art. J’ai remarqué que tous ceux qui me demandent si je vis de mon art, font une comparaison entre moi et les autres artistes. Ce n’est pas la même chose, d’autres sont venus pour faire danser les gens, d’autres sont venus pour marquer leur temps c’est-à-dire faire passer des messages. Si vivre de son art signifie avoir des voitures, construire des maisons, être à la hauteur, faire des choses incroyables, alors je ne vis pas de mon art. Si vivre de son art, c’est conscientiser les gens, faire changer la mentalité des gens, faire croire à tout le monde qu’on peut changer certaines choses, oui je vis de mon art.

Si vous étiez devant le ministre de la Culture, que lui diriez-vous ?

Je ne sens pas le ministre de la Culture, personne ne sait même qu’il y a un ministre de la Culture au Burkina ici. Je ne l’insulte pas ; je le connais, j’ai son numéro, mais je ne sens pas qu’il y a un ministre de la Culture ici. Par contre, quand ses prédécesseurs étaient là, on sentait qu’il y avait un ministre de la Culture, on était proche d’eux. On partait leur parler, ils nous écoutaient. Il ne s’agit pas seulement de donner l’argent à quelqu’un, l’argent ne peut pas tout faire.

Ce que je veux dire au ministre de la Culture, s’il est vraiment un ministre de la Culture, il faut qu’il cultive la culture lui-même. Je ne parle pas seulement de ce qui concerne seulement des artistes musiciens, il faut tenir compte de tous les domaines de l’art et de la culture (les trucs vestimentaires, les stylistes, le cinéma…). Depuis son arrivée au ministère, s’il a fait quelque chose, je n’ai pas vu. Ce n’est pas qu’on n’aime pas le ministre, on veut qu’il pose des actes concrets qui prouvent qu’il est le ministre de la Culture.

Propos recueillis par Korotoumou DJILLA (Stagiaire)
Lefaso.net

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