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Financement de l’entrepreneuriat au Burkina : « Nous demandons la suppression pure et simple de tous ces fonds nationaux qui sont budgétivores », déclare l’AJCEB

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Publié le vendredi 15 mars 2019 à 23h00min

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Financement de l’entrepreneuriat au Burkina : « Nous demandons la suppression pure et simple de tous ces fonds nationaux qui sont budgétivores », déclare l’AJCEB

Le président de l’Amicale des jeunes commerçants et entrepreneurs du Burkina (AJCEB), Salif Zida, par ailleurs directeur général de Diamanzi services, et son secrétaire général, Aziz Nignan, PDG de l’entreprise GBI, nous ont accordé une interview. Dans cet entretien, ils nous parlent de leur structure qui possède la plus grande représentativité parmi les associations de jeunes du milieu des affaires (plus de 35%) et donnent leur analyse de l’état de l’économie burkinabè. Lisez plutôt.

Lefaso.net : Présentez-nous votre amicale

AJCEB : L’Amicale des jeunes commerçants et entrepreneurs du Burkina (AJCEB) est une association d’opérateurs économiques qui ont un âge maximum de 50 ans, dont le but est de défendre nos intérêts et promouvoir nos différents secteurs d’activités. Elle compte environ 600 membres à l’intérieur de Ouagadougou et plus de 1 000 membres à travers tout le pays. Le bureau est composé de 22 membres parmi lesquels il y a quatre chargés de mission et un commissaire aux comptes.

L’Amicale entend couvrir tout le territoire burkinabè cette année, mais pour l’instant, nous ne sommes représentés que dans cinq régions du pays à savoir les Hauts-bassins, le Centre-Ouest, l’Est, le Centre-Sud et le Nord. En termes de représentativité, il y a dans la ville de Ouagadougou plus de 35% des opérateurs économiques remplissant les conditions requises, qui sont membres.

Quelles sont les conditions pour être membre de l’AJCEB ?

Pour être membre de l’AJCEB, il faut être commerçant ou entrepreneur, avoir un âge maximal de 50 ans, être en règle vis-à-vis de l’Etat, avoir un registre de commerce, un numéro IFU, une situation fiscale qui prouve que tu contribues au développement du pays et avoir une bonne moralité en affaires. Si ces conditions sont réunies, les frais d’adhésion sont de 50 000 F CFA et sont négociables. Que vous soyez une grande ou une très petite entreprise, il suffit d’avoir la volonté seulement et le reste peut se négocier. En dehors de cela, il y a des quotas mensuels qui permettent de financer nos activités. Et chaque fois qu’il y a un décaissement, il faut que la commission siège.

Quels sont vos rapports avec les institutions telles que la Chambre de commerce et d’industrie et le Conseil national du patronat burkinabè ?

Parlant des différentes institutions économiques telles que la CCI-BF et le Patronat, on peut dire que ce sont les nos institutions mères. A la CCI-BF, nous participons parfois à des formations. C’est au Conseil national du patronat burkinabè (CNPB) que nous n’avons pas encore participé à une activité. Mais nous avons deux personnes qui sont membres du CNPB, et l’AJCEB également compte y faire son adhésion les jours à venir. Qui parle de patronat parle d’employeurs, alors l’association peut y faire son adhésion et ses membres également peuvent adhérer individuellement en tant qu’employeurs.

L’AJCEB remplit-t-elle les conditions nécessaires pour être membre du CNPB, par exemple avoir un cumul de chiffre d’affaires d’au moins 5 milliards au cours des trois dernières années ?

A l’AJCEB, nous étions à un chiffre d’affaires de 8 milliards de F CFA l’année dernière. Donc nous sommes dans la fourchette et cette année, nous pensons dépasser ce chiffre d’affaires si tout va bien. L’année dernière, nous avons fait beaucoup de transactions et les banquiers le savent.

Quelles sont les activités que vous avez menées en 2018 ?

En 2018, nous avons fait trois séances de formation ouvertes au grand public. Nous avons pu former au total 147 personnes et on a pu accompagner sur fonds propres 42 personnes à travers nos cotisations hebdomadaires. Pour notre propre vision, nous voulons tout faire cette année pour créer une microfinance pour soutenir nos membres et nos sympathisants.

L’année passée, on a aussi participé au symposium sur l’industrie à Bobo, nous avons été au TAC [Traité d’amitié et de coopération entre le Burkina et la Côte d’Ivoire, ndlr) et nous avons formé des hommes d’affaires à Yamoussoukro. Après, nous avons été à Abidjan à la rencontre des hommes d’affaires résidant en Côte d’Ivoire pour leur parler des opportunités d’investissement dans leur pays d’origine. Après cela, nous étions à la grande foire de Guangzhou [ ou encore Canton en Chine, ndlr] où nous avons obtenu beaucoup de partenariats pour lesquels nous sommes en train de travailler sur la plateforme d’achat en ligne sino-burkinabè qui sera bientôt une réalité.

Quels sont vos projets pour 2019 ?

Cette année 2019, nous comptons faire des formations dans les douze régions en fonction des besoins de chaque région. Parmi ceux qui ont des plans d’affaires, on va observer les plus innovants et essayer de trouver des financements pour eux. Nous allons aussi travailler sur la Nuit de la jeunesse entreprenante où on va repérer des jeunes qui sont dans les treize régions qui se battent dans l’entreprenariat mais sont peu connus du public, pour leur donner des conseils, des encouragements et des félicitations qui seront utiles à leur promotion. On va demander le parrainage du Premier ministre pour vraiment réussir cette nuit-là.

Nous avons aussi commencé des partenariats et signé des conventions. S’il plait à Dieu, nous allons repartir cette année en Chine en fin mars pour finaliser notre projet d’usine de fabrication de lingettes et de couches qui pourra employer plus de 200 personnes.

Enfin, nous parlons d’un projet dénommé « Actionnariat populaire ». Si on n’arrive pas à trouver la vraie formule d’accompagnement malgré les multiples fonds d’accompagnement, il faut passer par l’actionnariat populaire. Certains diront que c’est nouveau, mais ça existe. Il s’agit d’une usine de fabrication [de concentré] de tomates qui va fournir au minimum 2 000 emplois directs et 15 000 emplois indirects avec une action coûtant 5 000 F CFA.

D’ici là, on fera le lancement pour les souscriptions et avant fin 2021, l’usine sera opérationnelle et s’intéresser à la tomate, la pomme de terre, les oignons et les légumes. Le lieu d’implantation du projet a déjà été identifié, le plan d’affaire est déjà disponible et tous les paramètres déterminés. Pour les procédures restantes, ce sont des papiers juridiques à finaliser avec notre avocat et passer à la phase de conférence de presse pour l’explication du projet et le lancement de la souscription.

Quel type d’accompagnement l’AJCEB bénéficie de la part du gouvernement ?

L’AJCEB n’a jamais bénéficié d’un quelconque accompagnement de la part du gouvernement ; en tout cas, pas de façon ciblée. Ni de la part d’une quelconque institution ou opérateur économique. Même une visite, nous n’avons pas reçue. Nous fonctionnons sur fonds propres. Nous entendons dire dehors que l’AJCEB a eu un milliard avec la Chambre de commerce…

Nous tenons à rassurer le monde des affaires que ce sont des histoires qu’on raconte. Il faut nous approcher pour comprendre. Il ne faut pas rester derrière les écrans et dire que les premiers responsables de l’AJCEB sont entre deux avions. Avant tout, nous sommes des hommes d’affaires, des entrepreneurs. Souvent, les ressources que nous gagnons ne viennent pas du Burkina. Nous gagnons des contrats au Congo, au Niger et un peu partout où nous travaillons.

On peut dire qu’au Burkina, l’année passée, c’est un seul marché de 4 800 000 F CFA que nous avons eu. Est-ce qu’on peut vivre avec ça ? Mais nous sommes en voyage régulièrement. Dans l’AJCEB, la trésorerie a un commissaire aux comptes. Pour enlever quelque chose, il faut toute une procédure, il faut que la commission siège et il y a des cosignataires. Donc dans les voyages que nous menons, la plupart du temps, c’est sur nos propres fonds.

Quel est le poids des activités des membres de l’AJCEB dans l’économie nationale ?

Il n’y a pas eu de calcul pour évaluer le poids réel de nos opérateurs économiques. Mais nous, nous pouvons dire que l’AJCEB, en termes de poids dans le PIB national, bat le Patronat parce que nous, nous impactons directement. Vous savez, dans les impôts et taxes, les PME/PMI sont les meilleurs contribuables, les meilleurs payeurs d’impôts. A Ouagadougou uniquement, il y a plus de 3 000 associations à intérêt économique mais environ 35% des jeunes commerçants et entrepreneurs sont à l’AJCEB parce que c’est une structure qui a des bases crédibles.

A votre avis, est-ce que l’économie du pays se porte bien ?

Si nous disons que l’économie va mieux, ce serait mentir. Elle ne va vraiment pas mieux parce que l’économie d’un pays ne peut pas être entre les mains de quelques individus et ça va aller. Nous avons fait l’insurrection et nous avons pensé que des choses allaient changer et on allait aussi intégrer une nouvelle génération de jeunes opérateurs économiques. Mais l’on constate qu’on ne fait qu’enrichir les mêmes individus et cela est déplorable.

Lorsque vous observez, les jeunes se battent, ils ont compris et veulent travailler mais ils manquent de financements. Ailleurs, on donne des lignes de crédit à la jeunesse. Ici, on donne 300 000 F CFA à des jeunes et on leur dit d’entreprendre. On ne peut pas entreprendre avec 300 000 F CFA ! Tout ce que nous demandons, c’est que le pays arrive à créer de nouveaux riches qui viendront s’ajouter aux présents, afin de faire avancer l’économie. C’est en cela que tient notre indépendance économique. Les grands qui y sont déjà ne peuvent plus créer du nouveau, ils ne peuvent pas couvrir à eux seuls les besoins du pays en matière d’emplois.

Si l’on donne 10 milliards à un grand opérateur, il a deux options : soit payer son crédit, soit aller investir à Dubaï dans l’immobilier et il est assis. Il ne peut pas créer du nouveau et ça sera du gaspillage. Mais aujourd’hui, si on prend un milliard donner par exemple à une structure crédible comme l’AJCEB, il y aura plus de 1 000 personnes qui vont avoir quelque chose pour faire fonctionner leurs entreprises ou leurs commerces et ça va booster l’employabilité et générer des ressources pour le pays. Mais à chaque fois nous parlons, nous avons l’impression qu’on n’est pas écouté.

L’avènement du ministère du Commerce nous avait donné de l’espoir. On a eu confiance en lui, on l’a cru, on a voulu l’accompagner mais nous nous sommes rendu compte que c’est de la poudre aux yeux. Toute la jeunesse entreprenante se demande aujourd’hui le nœud du problème. Parce qu’on a l’impression qu’il est arrivé pour servir les intérêts de quelques individus. Si c’est travailler au Burkina Faso, il y a de vaillants travailleurs mais on ne peut pas relancer une économie sans la jeunesse et les conditions de s’accomplir. Alors, en somme, on ne peut pas dire que ça va.

Alors, quelle est la formule ou le type de partenariat que vous proposez au gouvernement ?

Nous avons eu des échanges avec le président Roch Marc Christian Kaboré qui dit rester disponible à l’endroit de la jeunesse entreprenante. Il faut alors qu’il agisse de sorte à créer de nouveaux riches parce qu’on met des barrières à la jeunesse. En exemple, lorsqu’on prend le secteur minier, il n’y a que cinq personnes qui ont le permis d’achat.

Lorsqu’on prend dans l’import-export, on fait une association d’acheteurs d’huile où il faut 14 000 bidons pour être membre de l’association. Comment des jeunes peuvent s’insérer dans ça ? Quand on prend le sucre, on dit qu’il faut faire un enlèvement à la SN SOSUCO. Pendant ce temps, ces mêmes individus sont actionnaires à la SN SUSUCO. Et ces gens, lorsqu’ils gagnent le profit, ils mettent dans leurs banques, ils restent assis et commencent à soutenir que le pays est dur avec la situation sécuritaire et que la jeunesse ne veut pas travailler.

Nous pensons qu’on peut faire une sélection de jeunes opérateurs économiques et de structures crédibles et prendre l’exemple du Nigéria avec le président Obasanjo. Quand vous observez aussi tout ce qui est au Trésor, c’est l’import-export on n’a pas d’industrie ici. Sans l’import-export, la Douane ne vit pas. Donc il faut qu’on arrive à pousser les jeunes commerçants à trouver des canaux, des facilités, à leur faire participer à des grands fora. Si on arrive à leur donner des lignes de crédits, on pourra relever l’économie.

Dans le cas contraire, ça restera plombé ; les quelques-uns qu’ils sont en train d’aider ne peuvent plus rien donner parce qu’ils ont déjà donné au-delà de leurs capacités. L’AJCEB a dénoncé, on a fait des plans stratégiques et il y en a qui se permettent de dire qu’ils sont sans activités. Est-ce qu’un entrepreneur est sans activités. Il peut ne pas avoir un marché mais il n’est pas sans activité ! Aujourd’hui, je vous dis que 10 milliards suffisent pour décanter la situation actuelle.

En outre, il faut que l’Etat arrive à segmenter les marchés publics. On a de beaux textes mais ce n’est pas appliqué. Un marché d’acquisition de 2 milliards de F CFA, on le donne à un grand opérateur économique. S’il gagne un bénéfice de 300 ou 400 millions, ça ne lui fait ni chaud ni froid, parce qu’il est déjà assis. Mais on peut segmenter ce marché, le morceler et l’attribuer à plusieurs entreprises. Si chacun gagne 3 millions, il va gérer ses besoins et sa famille et permettre à d’autres aussi de le faire. Ce n’est pas que le président Roch ne fait pas d’efforts, il le fait mais l’effort n’impacte pas directement.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Dans l’activité économique, les difficultés sont économiques et financières. Nous savons qu’on a la maturité, le sens des affaires, mais souvent les moyens et les financements manquent. Parfois, il faut permettre à la jeunesse de sortir chercher ses financements. Parce que nous sommes là, nous pensons que le ministère du Commerce et la CCI-BF doivent orienter la jeunesse pour la recherche du financement. S’il y a un forum de financement, nous les jeunes, on n’est pas informé. C’est après qu’on apprend que nos opérateurs sont partis à tel endroit pour tel forum. Il faut qu’on associe la relève sinon il y aura un grand trou dans les jours à venir.

Les fonds nationaux que nous avons, les financements sont octroyés par copinage. Tu déposes ton plan d’affaires, ils te disent qu’il faut qu’ils refassent ton plan d’affaires. Ils font ton plan d’affaires très coûteux et après on te dit qu’il faut que tu gères la commission et ce n’est même pas sûr que tu seras retenu. Et la plupart du temps, ce sont des fonds où le budget de fonctionnement dépasse le budget d’accompagnement. C’est pour cela que nous, nous demandons la suppression pure et simple de tous ces fonds nationaux qui sont budgétivores à travers leur fonctionnement. Cela retarde l’économie. On peut faire un fonds unique.

Quel est votre message à l’endroit des opérateurs économiques ?

Il n’y a pas un opérateur économique qu’on n’a pas suivi, mais lorsque tu arrives, ils disent toujours que ce n’est pas facile et que la jeunesse ne veut pas travailler. Pourtant, la plupart d’entre eux on bénéficier d’un accompagnement, d’une facilité quelque part. Il faut qu’ils aient un regard ; ça ne coûte rien d’accompagner les gens et là où vous êtes arrivés, vous ne pouvez plus reculer en soutenant des jeunes. Vous avez des garantis, il faut accompagner la jeunesse, il faut préparer la relève. Si vous n’accompagnez pas cette jeunesse, vous ne la mettez pas au cœur des débats économiques, et la relève ne sera pas assurée. Peu importe comment tu te bats, tant qu’on ne t’aide pas, le décollage sera difficile.

Pourtant, le Conseil national du patronat a décrété la formation et l’accompagnement d’environ 50 000 jeunes. Vous ne pensez pas que cela est un bon début de soutien à la jeunesse ?

On voit le bon maçon au pied du mur. On attend de voir parce qu’il ne faut pas faire des choses de populisme. Les gens attendent le concret et nous attendons aussi de voir ce qu’il en sera. Aujourd’hui, ce que nous demandons à nos aînés, c’est qu’ils acceptent de passer des marchés d’acquisition de service à la phase d’industrialisation. Créer des industries et laisser le secteur des services et autres pour la jeunesse entreprenante. S’il n’y a pas de production de richesses, alors la demande va finir par dépasser l’offre et c’est d’autres qui vont profiter de ce marché.

Quelles sont vos suggestions à l’endroit de vos membres ?

Nous félicitons nos membres qui sont des patriotes, déterminés et qui ont le désir de grandir et d’aller au-delà de nos frontières. C’est pour cela que nous avons fait la lecture du Coran aujourd’hui pour demander la paix au Burkina, la bonne marche des activités économiques. Et nous pensons que Dieu ne dort pas. Quel que soit le lieu où nous trouvons notre pain, que Dieu facilite. On dit que là où c’est dur, seuls les durs passent, et c’est Dieu qui peut sauver en tout lieu.

Votre mot de fin.

La paix dans notre pays et la relance économique. Que Dieu bénisse le Burkina Faso, qu’il bénisse les Forces de défense et de sécurité et qu’il fasse que tous ceux qui veulent du mal du Burkina succombent.

Propos recueillis par Etienne Lankoandé (stagiaire)
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