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Braquage - Me Harouna Sawadogo : "Tué 4 fois, ressuscité 4 fois !"

Publié le mardi 26 juillet 2005 à 07h43min

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Dans notre édition d’hier lundi 25 juillet 2005, nous avons évoqué une attaque à main armée dont ont été victimes l’un des célèbres avocats du Burkina et bien d’autres usagers de la route , le dimanche 24 juillet dans les environs de la forêt classée de Tambi.

Comment la victime a-t-elle survécu aux balles meurtrières dont l’une, perforant la portière de sa voiture a failli lui transpercer le coeur ? "Il y a un problème", n’a cessé de marmonner le Bâtonnier qui, ostensiblement, n’arrive pas à comprendre qu’on ait dit que la région était sécurisée et qu’il y ait encore braquage, "à 200 mètres d’un poste de la gendarmerie". En tout cas, Me Harouna Sawadogo est inquiet. Flash-back sur une matinée de western à Pô.

"Le Pays" : Comme dans un film western dont raffolent les Burkinabè, les balles ont crépité du côté de Pô dans la matinée du 24 juillet. Pouvez-vous, nous raconter les faits ?

Bâtonnier Harouna Sawadogo : Nous avions quitté Ouagadougou le dimanche aux environs de 8h 30 mn. (Me Harouna Sawadogo était en compagnie de Ouézen Louis Oulon, journaliste à la RNB, ndlr). Quand nous sommes arrivés sur le pont du Nazinon et avons aperçu à côté un détachement de la gendarmerie, nous nous sommes réjouis du fait que la zone est maintenant sécurisée. Pendant que nous faisions toujours nos commentaires dans ce sens, 200 mètres plus loin, nous voyons un bus qui tanguait sous les tirs de deux individus kalachs en l’air. Nous avons réalisé que c’était des agresseurs. Nous avons freiné à 100 mètres du bus pour faire demi-tour. Mal nous en a pris. En face de nous, il y avait une autre position de malfaiteurs qui ont commencé à tirer directement sur nous, à visages découverts. Du coup, je n’ai plus fait de manoeuvre. Je me suis arrêté et je voyais le monsieur à quelques mètres de moi, qui me visait. Je n’entendais que les impacts sur la voiture. Je les sentais sans vraiment savoir ce que c’était. Il y a eu une balle qui a ricoché au niveau de ma tête, sur le flanc gauche. C’est là que mon voisin Ouezen Louis Oulon (notre confrère de la Radio nationale et président de l’association Reporters du Faso, ndlr) a crié : "Maître vous êtes mort, on vous a eu". Affalé dans le fauteuil, je lui ai répondu : "Non, je suis encore vivant". En quelques fractions de secondes, nous étions pris dans un feu nourri. J’étais au volant, arrêté. C’est là que j’ai dit qu’il fallait trouver une solution, au risque de nous faire finalement abattre. On a donc ouvert les portières, ce qu’ils ont considéré comme un acte de rédition. Ils ont alors cessé de tirer et se sont approchés de nous. Ils nous disent qu’ils ne sont pas des cruels et que ce qui les intéresse, c’est l’argent. En ce qui me concerne, l’instinct professionnel a pris le dessus. J’ai montré mon portefeuille à celui qui était en face de moi en lui disant que j’allais lui donner l’argent, mais que j’allais garder au moins 1000 F sur moi pour manger. J’ai fait ça pour casser le rapport d’agresseur à agressé et le rapport criminel qui pouvait peser sur moi et faire de moi une victime. Lorsque je lui ai dit ça, la situation a changé. Il m’a dit : "non, non, tu donnes tout, même les 1000 F".

Il ne vous a rien pris en dehors de l’argent ?

Dès qu’il a pris tout l’argent, qui n’était pas du reste beaucoup, il ne m’a rien demandé d’autre. Il est parti et ne s’est plus intéressé qu’aux autres. Ce n’est qu’après qu’ils sont revenus à ma voiture, tapant sur tout ce qui pouvait contenir quelque chose. C’est ainsi qu’ils se sont pris au Airbag croyant probablement que c’est un coffre-fort. A cet instant, ils ont trouvé deux portables, l’un pour moi-même et l’autre installé dans la voiture. Ils les ont pris et ont passé le temps à jeter toutes mes affaires dehors. Tous les autres documents comme les chéquiers et autres ne les intéressaient point. Ce n’est que l’argent qui les préoccupait. Ensuite, ils nous ont dit d’aller nous coucher dans l’herbe à côté. J’avais peur qu’il découvre le PA d’alarme (pistolet automatique, ndlr) que j’avais dans ma voiture. Je me disais que s’il retrouvait cette arme, ils m’abattraient alléguant que je l’avais cachée.
Par bonheur, un de mes chauffeurs avait caché le PA dans un endroit introuvable. Quand nous étions toujours couchés dans l’herbe, les braqueurs ont demandé à ce que le propriétaire d’une voiture se présente. C’était de moi qu’il s’agissait. Je n’ai pas réagi et comme ils étaient intéressés par d’autres braquages, parce qu’il y avait d’autres véhicules qui arrivaient, ils nous ont quittés et ont délaissé mon véhicule aussi.

Y avait-il de nombreuses personnes braquées comme vous ?

Ils ont arrêté pas mal de gens. C’est ainsi que nous avons constaté qu’il y avait un officier (le colonel Gnissi, ndlr) parmi nous. Ils lui ont signifié qu’ils vont retirer son véhicule à lui et qu’ils le laisseront au poste de gendarmerie. Effectivement, ils sont partis avec la voiture jusqu’au niveau des gendarmes. Ils l’ont balancée dans le ravin et ont tiré sur les gendarmes. Ceux-ci ont riposté. Les malfrats sont alors sortis du véhicule et sont rentrés dans la brousse. Ayant appris qu’il y a un détachement de gendarmes qui est parti vers Pô, nous sommes allés à leur recherche pour qu’ils viennent nous mettre en sécurité, afin que nous reprenions la route. C’est là que j’ai rencontré le convoi qui, le matin est venu installer ses éléments, mais comble de malheur est retourné à Pô avec les deux véhicules qu’ils avaient. Les éléments qui étaient installés n’avaient donc pas le moindre moyen de transport à leur disposition.

Les tirs des agresseurs n’ont-ils pas alerté les gendarmes postés à 200 mètres du théâtre des attaques ?

Effectivement, nous caressions l’espoir légitime que les gendarmes, alertés par les coups de feu allaient inéluctablement rappliquer. Peine perdue. Quand nous avons rencontré l’autre convoi de la gendarmerie et que moi-même j’ai transporté dans ma voiture des éléments pour une chasse aux bandits, nous sommes arrivés jusqu’au poste de gendarmerie. Nous nous sommes rendus compte que les agents étaient là mais n’étaient pas opérationnels et ont même reconnu qu’ils n’avaient pas les moyens. Ils sont planqués là-bas sans aucun moyen pour accomplir leur tâche. Pourquoi n’ont-ils pas réagi quand on tirait sur nous alors qu’ils ont riposté quand les bandits ont ouvert le feu sur eux ? A cette question, ils nous ont répondu qu’ils pensaient que c’était un champ de tir. On leur a demandé comment cela se fait qu’on les mette ici sans qu’ils sachent qu’il y a un champ de tir à côté. Et pourquoi n’ont-ils pas pourchassé les bandits qui sont venus jeter la voiture dans le ravin et ont tiré sur eux, leur a demandé Ouézen Louis Oulon. Ils ont répondu que l’endroit n’est pas un terrain découvert.

Ces réponses laissent tout de même perplexes, non ?

Je tire la leçon que c’est du personnel qui n’est pas très motivé, qui n’est pas équipé et qui n’est donc pas opérationnel. La sécurité c’est une question de vie. Je dirai que je suis mort 4 fois et que j’ai ressuscité 4 fois. 4 balles de kalach tirées à moins de 5 mètres de moi ! Ça été un miracle et tout le monde n’a pas eu la même chance que moi. Il y a eu des blessés et des morts semble-t-il. Je pense qu’il faut en finir avec les discours. La question de sécurité, c’est une obligation de résultats. Sur le terrain, honnêtement, il n’y a pas de résultat. Moi j’ai pris la route de Pô parce que j’avais lu dans la presse que le réseau de braqueurs qui y sévissait avait été démantelé et que la route était sécurisée. J’ai compté 7 personnes parmi les gens qui tiraient sur nous et nous avons constaté aussi qu’ils avaient des pisteurs à moto. Ces éclaireurs faisaient des aller-retour et ont été remarqués par nous et des passagers d’autres véhicules. Nous l’avons signalé aux gendarmes qui ont arrêté 3 des pisteurs, dont certains sont d’un certain âge. Il y avait donc au moins 12 individus qui opéraient dans ce braquage. Quelque part, cette criminalité est outrageante puisqu’elle ose même braver les forces de l’ordre. Il est à craindre qu’elle se renforce et qu’elle ne quitte maintenant la rue pour venir trouver les gens chez eux. Il n’y a pas 36 solutions, il faut les résultats. Ça ne sert à rien d’aller mettre des agents en poste si ceux-ci ne sont pas motivés, et qu’ils ne sont pas équipés. Ce sont les populations qu’on trompe en ce moment. La preuve, nous étions confiants à la vue des gendarmes, sans savoir que nous partions au suicide. Il faut prendre l’affaire à bras-le-corps.

Que faut-il faire concrètement selon vous ?

Il faut mettre en place un corps d’élite doté de moyens réels, matériels, financiers, etc., et très motivé psychologiquement. Il faut que ceux qui en font partie soient compétents. C’est une obligation pour non seulement le ministère de la Sécurité, mais l’ensemble de la classe politique, de se préoccuper de la sécurité des populations. A l’allure où vont les choses, je crains qu’en ces périodes pré-électorale et électorale, la situation en matière de sécurité au Burkina aille de mal en pis. L’insécurité va quitter la brousse pour arriver dans nos maisons. Aucun des bandits n’a caché son visage. Pire, ils nous parlaient, ils nous voyaient, ils nous narguaient. Ils sont même allés tirer à visage découvert sur les gendarmes. L’obligation de résultat est là, mais le résultat n’est pas là. Je ne me livre pas à des critiques vaines. Moi j’ai échappé à la mort. D’autres sont morts. Tout cela a des impacts négatifs sur le tourisme, l’économie, et le développement du Burkina. Moi je partais investir dans le domaine agricole au Nahouri. Je ne partirai plus. C’était simplement une contribution à l’essor de développement, mais ça me n’intéresse plus et d’autres personnes vont malheureusement se décourager aussi. Dans un pays, c’est quand il y a la sécurité qu’on trouve des solutions aux autres problèmes.
Il faut des gens efficaces sur le terrain et que les moyens qu’on mettra à leur disposition leur parviennent effectivement. Il faut éviter que les ponctions au niveau de la hiérarchie empêchent que les moyens n’arrivent aux hommes de terrain. S’ils n’ont pas les moyens, il ne faut pas qu’on leur demande d’aller se sacrifier. Il faut que matériellement et psychologiquement on mette les agents qui vont aller lutter dans des situations de combat réel. Franchement, j’ai vécu les secondes les plus longues de ma vie, vu la façon dont on tirait sur moi comme un lapin.
Du reste, j’aurai de la peine à dire que ces deux personnes qui tiraient sur moi n’ont pas reçu une formation de militaire de base. Ils tirent debout, les pieds joints avec les kalachs. La situation est grave parce que ce sont des gens qui connaissent le maniement des armes. Il ne s’agit pas de personnes isolées qui agissent pour des raisons de cupidité. Il s’agit ici de gens qui ont été initiés à une activité professionnelle, activité qui va coûter la vie à d’autres êtres humains.
La question de sécurité est une obligation. Peut-être qu’avec l’élection présidentielle qui vient, certaines choses seront étouffées. Mais pour combien de temps. Moi j’ai la liberté d’aller et de venir tranquillement et en toute sécurité à l’intérieur du Faso. Personnellement, je m’acquitte de mes devoirs de citoyen et j’attends de l’Etat la liberté d’aller et de venir, en contrepartie. Aujourd’hui, vous ne pouvez pas aller à 100 km de Ouaga en toute sécurité. Les faits ne se sont pas passés la nuit mais en plein jour.

Votre véhicule est-il blindé ?

Il n’est pas particulièrement blindé, mais il n’est pas non plus comme les véhicules ordinaires (c’est une 4x4 de marque BMW-Lexus, ndlr) et honnêtement, c’est ce qui m’a sauvé la vie. Les vitres des véhicules d’un certain type ont une forme rebondie qui empêche la pénétration des balles lorsqu’elles ricochent dessus. Ça doit être une technologie développée au niveau de certaines marques de véhicule. J’ai eu certes la baraka, mais je crois que mon véhicule a été pour beaucoup dans le fait que nous ayons eu, nous deux la vie sauve. Ce qui m’impressionne également dans ce braquage, ce sont le calme et la sérénité avec lesquels les braqueurs opéraient. Il y avait également une hiérarchie et une discipline exemplaire en leur sein. C’est très méthodique et je crois qu’il faut leur opposer une organisation conséquente. A un certain moment, je me demandais si le Faso était une zone de guerre. Il y a quelque part de l’amertume, même s’il y a de l’inquiétude. Jusqu’où ces gens doivent-ils braquer ou tuer pour qu’on prenne réellement à bras-le-corps ce problème d’insécurité ?

Etes-vous pour une méthode forte du genre opération coup de poing au cours desquelles on tue les malfrats ?

Vous ne pourrez pas me demander à moi s’il faut tuer les gens. Je dis simplement de pacifier. Quand nous avons pu signaler 3 complices, les gendarmes les ont pris. Mais quand ceux-ci ont été ligotés par les agents de sécurité, des passagers qui venaient du Ghana et n’avaient même pas été braqués ont décidé de faire la peau aux braqueurs, c’est encore nous qui nous sommes interposés. Les gens ont voulu les manger vifs. Il faut mettre en place une force organisée, spécialisée parce que je reste persuadé qu’on assistera à des situations de combats. Je me demande si nous ne sommes pas dans une situation assimilable à une situation de guerre. On peut évoquer ici la riposte de la police londonienne face à la vague d’attentats en Angleterre actuellement. Je ne dis pas de prendre les gens et de les tuer. Cependant, il faut sécuriser la région, les routes du Burkina.

Propos recueillis par Morin YAMONGBE
Le Pays

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