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Education au Burkina Faso : Faut-il supprimer le CEP ?

Ceci est une contribution de BOUBACAR Elhadji, Inspecteur de l’Enseignement du 1er Degré.

Publié le mercredi 19 juillet 2017 à 01h45min

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Education au Burkina Faso : Faut-il supprimer le CEP ?

L’éducation, au Burkina Faso comme presque partout à travers le monde, est en crise. C’est un fait et c’est peut-être une bonne chose. Les crises sont en effet des facteurs de progrès. Elles le sont surtout quand elles mobilisent tous les esprits dans la recherche de leurs solutions. En ce mois de juillet 2017, l’école burkinabè achève une série d’évaluations sommatives sanctionnant des années d’études. Il s’agit des examens du Certificat d’Etudes Primaires (CEP), du Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC), du Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP) toutes options confondues et du baccalauréat, toutes séries considérées. Les résultats de ces examens cette année encore ont donné lieu à des supputations, à des mises en cause et à des interrogations plus ou moins légitimes. Ils ont rappelé à notre conscience collective les crises qui minent notre école ; ils ont cristallisé les opinions sur certains examens, au point de raviver l’idée de la suppression du premier de tous : l’examen du Certificat d’Etudes Primaires (CEP). Faut-il vraiment supprimer cet examen ?

En tant qu’acteur encore en activité dans le système éducatif burkinabè, notre point de vue sur le sujet pourrait paraitre partisan. Notre prise de parole, comme celle des acteurs de l’éducation en général qui l’auraient précédé ou qui pourraient la suivre, est cependant à terme inévitable au regard des arguments relayés par la presse et qui soutiendraient une suppression de l’examen du Certificat d’Etudes Primaires (CEP). Il ressort des opinions que cet examen coûterait cher et qu’il donne lieu à un diplôme sans grande importance de nos jours. Ces arguments sont peut-être pertinents et vrais.

Mais ils ne doivent en aucun cas justifier des décisions hâtives surtout entraînant la suppression de l’examen. Il faut profondément analyser les tenants et les aboutissants de cette cherté et de cette absence de valeur supposée du diplôme mis en cause avant de prendre une décision quelconque. Supprimer l’examen du CEP sans réfléchir profondément à des alternatives en lieu et place, c’est prendre le risque d’une erreur de gouvernance dont les conséquences sur l’école et la société burkinabè pourraient être incalculables. L’extrême prudence doit être de règle sur ce dossier pour, entre autres, les raisons suivantes :

1) L’examen du CEP est de nos jours l’unique ou presque ‘‘pression morale’’ sur les enseignants qui ont encore un minimum de conscience professionnelle. C’est assez osé et regrettable de le dire. La morale et la conscience professionnelle sont les choses les moins partagées aujourd’hui dans le milieu éducatif burkinabè, même s’il en reste fort heureusement d’enseignants conscients de leur mission et de leur rôle dans la société. Cela fâcherait probablement certains collègues, mais il faut admettre et réaffirmer qu’actuellement, c’est la perspective du CEP qui, entres autres, pousse certains enseignants à faire le peu d’efforts qui permettent d’obtenir les résultats que nous avons et que nous sous-estimons dans toutes les classes.

Dans toutes les régions à travers le pays, les retards, les absences, la volonté de se soustraire des obligations liées au métier sont devenus une règle de conduite largement partagée. L’autorité administrative et celle pédagogique n’existent que de nom. Les encadreurs pédagogiques, au-delà du fait qu’ils sont dépouillés de toute autorité, sont devenus des décors de leurs services, faute de moyens nécessaires dans l’exercice de leur fonction. Nous en savons quelque chose, pour avoir ‘‘bénéficié’’, il y a quelques années, comme frais de carburant, de 14.000 f par trimestre pour couvrir 55 écoles réparties entre deux communes. C’est là une des raisons fondamentales plaçant les encadreurs pédagogiques dans l’impossibilité et dans l’incapacité d’assumer pleinement leur principale fonction qui est celle du suivi des activités d’enseignement/apprentissage dans les écoles.

Et comme notre système éducatif n’a pas prévu une quelconque administration au sein des écoles, outre le Directeur d’école en général lui-même chargé de cours, le fonctionnement des établissements tient exclusivement au bon sens et à l’introuvable conscience professionnelle des enseignants. Quelles sont les mesures qui seront prises pour restaurer l’autorité des encadreurs pédagogiques et des directeurs d’écoles ? Quelles sont les dispositions qui seront prises pour leur donner l’essentiel des moyens dont ils auront besoin pour l’atteinte des objectifs qui leurs sont assignés ? Qu’est-ce qui sera fait pour qu’à défaut de favoriser la restauration de la conscience professionnelle, les enseignants se sentent dans l’obligation de faire le travail pour lequel ils sont recrutés et rémunérés ? Qu’est-ce qui sera fait pour l’amélioration des conditions de travail du personnel enseignant et qui pourrait les motiver davantage dans l’exercice de leur métier ? Quels rôles nouveaux pourront jouer les collectivités et les communautés dans l’administration et le fonctionnement des écoles ?

2) Les élèves eux-mêmes, dès lors qu’ils seront assurés de passer toutes les classes sans un minimum d’effort, pourraient percevoir les études primaires comme sans enjeu. S’il n’y a pas un dispositif et un mécanisme d’évaluation pertinent et rigoureux, un retour-dans les rangs des personnels de l’éducation- de la discipline et de la responsabilité, un patriotisme réel, la suppression du CEP pourrait tuer tout effort et intérêt pour les études chez les élèves. Quel type/forme d’évaluation sera instauré pour l’accès au post-primaire des élèves ? Il est utile de réfléchir très sérieusement à cela. Il est important de clarifier cette absence supposée d’importance du diplôme du CEP. Jusque-là, beaucoup de gens pensaient que le CEP joue, dans un contexte d’absence criarde de conscience professionnelle, la même fonction que le BEPC et le baccalauréat dans notre système éducatif : ouvrir la porte d’accès à un niveau supérieur d’études.

Pour cela, ils ne considèrent aucun de ces diplômes comme étant de trop. Chacun de ces diplômes est perçu comme un but à atteindre par les élèves, un idéal, une source de motivation dans les études à un moment donné, une boussole pour les autorités, les parents et pour toute personne qui s’intéresse aux questions éducatives. La preuve nous a été donnée après les résultats du CEP, session de 2017, avec cette indignation générale relayée par la presse suite aux mauvais taux de succès enregistrés par certaines écoles. Nous osons croire que ce n’est pas la question de l’emploi qui entretient cette conviction que le CEP ne servirait plus à rien.

3) La gestion des milliers d’enfants au post-primaire venant du primaire pourrait être une véritable équation à plusieurs inconnues si la suppression du CEP venait à intervenir avant que des dispositions idoines ne soient prises, en particulier pour ce qui concerne les infrastructures et le personnel enseignant. Il ne faut même pas exclure des troubles sociaux liés à cette éventualité. Que pensons-nous en effet de ce que feront les élèves et leurs parents si les perspectives de poursuivre les études après le primaire venaient à être compromises d’une quelconque manière ? Que pensons-nous qu’ils feront s’ils estiment que la qualité des enseignements/apprentissages compromet la réussite scolaire et sociale parce que les enseignants ne trouvent plus la nécessité de faire un quelconque effort ?

La suppression du CEP pourrait à terme déboucher sur des crises sociopolitiques (les politiciens exploitent toujours toutes les situations) aux conséquences imprévisibles. Si nous devons le faire, prenons donc, répétons-le, tout le temps nécessaire d’étudier les conséquences éventuelles et les solutions alternatives qui s’imposent.

4) Il n’est pas évident que la suppression du CEP soit un moyen de faire des économies, à supposer que l’éducation soit le lieu de penser à de telles opérations et à les réaliser. L’argument de cherté de cet examen appelle nécessairement sa suppression pour probablement investir ailleurs ce qu’elle aura permis de ‘‘préserver’’ comme ressources. Mais a-t-on réellement pris le soin de faire des projections pour voir si nos calculs sont bons ? Ne serait-il pas un simple déplacement de problèmes et de dépenses que nous ferons ? Sommes-nous certains que les dépenses liées à l’examen du CEP ne seront pas reportées à celui du BEPC ? Du reste, le problème réside-t-il dans la réduction des dépenses liées à l’éducation par la suppression d’un examen ou à la recherche d’une éducation de qualité par tous les moyens ? Ou doit-on se convaincre que la suppression d’un examen (et même que toute réduction de dépenses) entraîne nécessairement la qualité de l’éducation ?

En tout cas, au Burkina Faso comme partout ailleurs dans le monde, ceux qui ont leur ‘‘un peu’’ comme on le dit, inscrivent leurs enfants dans les meilleures écoles, celles où les frais de scolarité sont au-delà de l’imagination. Pourquoi à la maternelle déjà, des gens dans ce pays dépensent 100.000 f, 150.000 f, 200.000 f voire plus par an pour leurs enfants quand ils ne les envoient pas ailleurs hors du Burkina Faso ou même de l’Afrique ? Nous ne sommes pas en train de défendre une éducation coûteuse. Loin de là. Mais si le CEP est d’un quelconque apport à la qualité des enseignements/apprentissages dans notre système éducatif, il serait prudent d’envisager sa réforme d’abord, pour minimiser son coût et préparer sa suppression.

Allons par étape. Soyons très prudents avec une certaine perception de l’économie de l’éducation qui pourrait être sujette à des controverses. Du fait que ces dernières décennies, les autorités qui se sont succédées à la tête de notre pays soient accusées régulièrement à tort ou à raison de négliger l’école publique parce que leurs enfants n’y fréquenteraient pas, la question de la suppression du CEP doit être bien murie. Un pays qui peine à consacrer 20% de son budget à l’éducation se doit certes d’utiliser ses ressources à bon escient, mais aussi de tendre à accorder à ce secteur toute la place qui lui revient en ne ménageant aucun effort pour cela. Du reste, tant que notre pays ne fera pas le choix de développer l’éducation par un investissement massif aussi bien dans les infrastructures, les équipements, la formation et l’encadrement des personnels, pour le respect du temps et du déroulement des activités d’enseignement/apprentissage, il est illusoire de s’attendre à un quelconque développement.

5) La suppression du CEP si elle est actée, doit être soutenue par une réforme profonde de notre école, particulièrement, de l’administration scolaire. Nous comprenons très bien ceux qui soutiennent l’idée de cette suppression qui tire sa source de la réforme en cours du système éducatif. On ne parle plus de cycle terminal au primaire, ce qui devrait conduire logiquement à la suppression de l’examen du CEP. Il y a de la cohérence de ce point de vue, dans le désir de supprimer l’examen. De toutes les façons, tout le monde sait que cet examen sera tôt ou tard supprimé dans notre pays. Certains pays voisins l’ont déjà fait. La France qui est notre référence, l’a fait tout récemment en 1989, bien que son système éducatif soit à des années lumières du nôtre, mais loin d’être parmi les meilleurs dans le monde. Cependant, pour notre cas, il n’est pas interdit de revenir sur cette option du continuum si des études sérieuses étaient commanditées et venaient à relever l’importance de l’examen et la pertinence de son maintien pour l’instant. « Dans toute affaire, avant que de l’entreprendre, regarde ce qui la précède et ce qui la suit, et entreprends-la après cet examen » conseillait EPICTETE.

Pour terminer, nous sommes conscients que les autorités en charge du pays et de l’éducation, n’envisagent pas la suppression de l’examen du CEP dans un proche avenir. Nous savons que nous enfonçons une porte déjà ouverte, en espérant qu’elles s’entoureront d’une grande prudence avant de prendre une quelconque décision y relative. Peut-être qu’une simple réforme de l’examen serait suffisante, au stade où nous sommes, pour régler le problème et contenter ceux que son coût heurte et ceux qui voient dans le maintien de cette évaluation, un facteur d’engagement des enseignants, des élèves et des parents d’élèves, un moyen de pression morale sur tous. Encore une fois, rappelons que nous sommes conscient que notre pays doit faire tôt ou tard face à cette question de suppression pas seulement du CEP, mais aussi du BEPC.

C’est une perspective inévitable mais ne brusquons pas les choses. Si nous la brusquons, les conséquences (et l’image) qui en découleront seront semblables à celles liées à la rupture d’une digue d’un barrage. Il y a un véritable travail de conscientisation à faire et tout un ensemble de mesures à prendre pour que les enseignants burkinabè dans leur majorité retrouvent le patriotisme de leurs devanciers, la foi dans le métier, le sens de la responsabilité, le souci de mériter leur salaire, l’honneur d’exercer le plus noble des métiers. Le meilleur enseignant est celui qui aime à la fois son métier et ses élèves. Quand nos écoles seront majoritairement animées par ce type d’enseignants, nous pourrons même supprimer le baccalauréat sans inquiétudes. Que Dieu qui, seul et plus que tout autre sait ce qui est bien pour notre pays, fasse le meilleur choix pour nous, inspire ceux qui nous gouvernent et qui président à la destinée de notre école.

BOUBACAR Elhadji
Inspecteur de l’Enseignement du 1er Degré
boubacar.elhadji@yahoo.fr
70 10 05 50

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