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Mise en accusation des dignitaires de la quatrième République : Que vaudront les arguments de l’ex-majorité devant le Conseil constitutionnel ?

Publié le samedi 1er août 2015 à 01h09min

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Mise en accusation des dignitaires de la quatrième République : Que vaudront les arguments de l’ex-majorité devant le Conseil constitutionnel ?

Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, ex-parti au pouvoir) a saisi le Conseil constitutionnel lui demandant de déclarer inconstitutionnelles les Résolutions de mise en accusation de l’ex-président Blaise Compaoré et d’anciens ministres. Pour mieux appréhender les motivations de cette saisine, nous avons approché Me Mathieu Somé, militant du CDP. Celui-ci a relevé des ‘’défaillances’’ de forme et de fond qui ont entaché ces Résolutions, et qui fondent subséquemment la saisine du Conseil constitutionnel. Mais l’invocation de ces raisons a déjà suscité des analyses globalement contradictoires. Et l’on se demande ce qu’elles vaudront face à la conviction du juge constitutionnel.

Conformément au droit que leur reconnaît l’article 157 de la Constitution, les députés Adama Séré, Awa Ouré/Zabré, Konseibo Andréa, Laurentine Kabré, Saïdou Kaboré, Raoul N. Sawadogo, François Denis Ouédraogo, Boubacar Bouda, Amadou Diabaté et Amadou Dabo, ont signé une requête par laquelle ils ont saisi le Conseil constitutionnel. Ils l’ont fait le vendredi 24 juillet dernier. Ils veulent que la haute juridiction qu’est le Conseil constitutionnel et dont les décisions s’imposent à tous, déclare non conformes à la Constitution, des Résolutions mettant en accusation des dignitaires de l’ancien régime dont l’ex président Blaise Compaoré. Des Résolutions adoptées le 16 juillet dernier par le Conseil national de la Transition (CNT) et qui précisent des actes répréhensibles qu’auraient commis des anciens ministres et l’ex-président. A la charge de ce dernier, sont mises notamment les infractions de haute trahison et d’attentat à la Constitution.
Au CDP, l’on clame que ces infractions ne peuvent être attribuées à Blaise Compaoré. D’où le recours devant le Conseil constitutionnel. Pour les militants de l’ex-majorité, les Résolutions de mise en accusation pèchent non seulement du point de vue de la forme, mais aussi dans le fond.

Blaise Compaoré ne peut être mis en accusation qu’après la levée de l’immunité

Sur la forme, relève Me Mathieu Somé, le CNT a manqué de mettre en place, conformément à son Règlement, une commission de trente membres (députés) pour apprécier les projets de Résolutions avant leur adoption en séance plénière. Cet argument, le député Anselme Somda, président de la Commission des affaires sociales et du développement durable, le rejette en précisant que ladite commission a bien été mise en place et a travaillé comme il se doit, sous la présidence du député Jean-Hubert Bazié.
Toujours du point de vue de la forme, précise Me Somé, Blaise Compaoré ne peut être mis en accusation qu’après la levée de l’immunité constitutionnellement reconnue aux anciens chefs d’Etat comme lui (Blaise Compaoré). Cet argument semble susciter le courroux de Me Prospère Farama qui dit le trouver « fallacieux ». Dans une interview accordée à une radio de la place le 29 juillet 2015, ce dernier réagissait en ces termes : « Une loi d’amnistie, au plus, ne peut amnistier que des faits déjà passés. Je n’ai jamais vu en droit, une loi d’amnistie qui est votée contre une personne pour des faits qu’elle viendrait à commettre ultérieurement. Cela ne veut absolument rien dire en droit. Ce serait quand même oser de dire que Blaise Compaoré a voté une loi en disant que : ‘’si d’aventure dans le futur je venais à assassiner des gens ou si je venais à détourner des biens par la suite, je serai couvert par une telle loi’’. »

Majorité requise non-réunie, méthode de vote inappropriée

Le troisième manquement du CNT selon l’ex-parti au pouvoir, en tout cas aux dires de Me Somé, tient à la non-satisfaction de la condition de majorité qualifiée (4/5) pour pouvoir mettre en accusation l’ancien président. Une majorité qualifiée en vertu de laquelle au moins 72 députés devraient voter pour la mise en accusation de Blaise Compaoré. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la séance plénière au cours de laquelle les Résolutions de mise en accusation ont été adoptées, n’a réuni que 64 députés. Mais à en croire le juriste Abdoul Karim Sango, enseignant à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM), « Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel ici d’apprécier si cette majorité a été réunie », mais plutôt à la Haute Cour de justice, si cet argument venait à être brandi devant elle à l’occasion du jugement. M. Sango l’a dit dans une interview diffusée le 30 juillet dernier par la radio France internationale (RFI).
Pour l’ex-majorité, le Conseil constitutionnel devra également retenir comme argument militant en faveur de l’inconstitutionnalité des Résolutions, le fait que celles-ci ont été votées à main levée. A en croire Me Somé, c’est un vote qui devrait se faire à bulletin secret. Un tel mécanisme de vote aurait, pense-t-on au CDP, permis à la majorité des députés de rejeter lesdites Résolutions. A ce propos, M. Sango dira qu’au sein de la Représentation nationale, « Le principe c’est le vote à main levée, mais si un député demande le vote à bulletin secret, le président de l’Assemblée n’a pas le choix. » Le vote à bulletin secret n’est jamais systématique. En tout cas, l’on se rappelle qu’à cette plénière du 16 juillet 2015, les dix députés représentant le caucus de partis constitutifs du camp de l’ex-majorité, ont joué la carte de la chaise vide.

Ni haute trahison, ni attentat à la Constitution

Au-delà de ces arguments de forme, la haute trahison dont le CNT accuse Blaise Compaoré, n’est pas, de l’avis de Me Somé, constituée. Pour lui en effet, une telle infraction ne peut être retenue contre un président qu’en cas de guerre entre notre pays et une puissance étrangère, au cours de laquelle guerre le chef de l’Etat aura été de connivence avec la puissance ennemie pour déstabiliser notre pays. Or, il n’en a jamais été le cas durant les 27 ans de pouvoir de Blaise Compaoré. Le Conseil constitutionnel ne peut donc, estime-t-on au CDP, retenir cette infraction contre l’ex-président.
De même, l’attentat à la Constitution n’a jamais été commis par l’ex président, clame M. Somé. Pour lui, le CNT a mis cette infraction à la charge de Blaise Compaoré, en tenant compte vraisemblablement de la procédure enclenchée pour réviser l’article 37 de la Constitution. Cette procédure – stoppée par l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 – ne peut justifier la commission d’un attentat à la Constitution car, précise-t-il, la révision entreprise était « légale ». L’on ne peut, selon lui, commettre d’infraction en agissant dans la légalité. Et dans ce cas précis, sa conviction à lui, Me Mathieu Somé, c’est que « Quand on agit dans la légalité, on ne commet pas une erreur qui soit attentatoire à la Constitution ».

« S’ils sont complices, il faut que l’auteur principal soit connu »

Quant aux anciens ministres mis aussi en accusation, Me Somé s’insurge contre les actes de « coups et blessures volontaires, assassinats et complicité de coup et blessures et d’assassinats » que le CNT leur reproche. Là également, le Conseil constitutionnel devra, de l’avis de Me Somé, trouver des éléments pour motiver sa décision d’inconstitutionnalité des Résolutions de mise en accusation.
En attendant, le militant-avocat du CDP dit poser la question de savoir ‘’qui a aperçu un de ces ministres dans les rues le 30 octobre pour porter des coups et blesser ou assassiner des gens ? Ou qui les a vus en train de commettre des actes de complicité de telles infractions ?’’. Du reste, précise-t-il, « s’ils sont complices, il faut que l’auteur principal soit connu ».
Cette batterie d’arguments, fonde l’ex-majorité dans sa conviction que le Conseil constitutionnel décidera de l’annulation de ces Résolutions de mise en accusation. Mais que vaudront-ils (ces arguments) devant le Conseil constitutionnel burkinabé ? Hasardeux de deviner.
En attendant d’être situé, la Haute Cour de justice devra se ‘’mettre une cale’’, même si elle était prête de mettre en branle la procédure judiciaire sur la base de ces Résolutions. Pendant ce temps, les regards sont de nouveau – après l’épisode Code électoral – braqués sur le Conseil constitutionnel, cette juridiction politique par essence et par attributions.

Fulbert Paré
Lefaso.net

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