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Justice burkinabè : Le diagnostic de Joséphine Ouédraogo, Garde des Sceaux.

Publié le jeudi 26 mars 2015 à 11h12min

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Justice burkinabè : Le diagnostic de Joséphine Ouédraogo, Garde des Sceaux.

Les Etats généraux de la Justice burkinabè devraient s’achever le samedi 28 mars 2015 avec un « Pacte national pour le renouveau de la Justice". En attendant ce document qui devrait fixer les nouveaux engagements du troisième pouvoir au Burkina, nous vous proposons le diagnostic de la ministre de la Justice, tel qu’elle l’a dressé dans son discours à l’ouverture de cette grande rencontre, le 24 mars 2015.

Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de commencer mon allocution en remerciant l’ensemble des burkinabè femmes et hommes, de toutes couches sociales, des divers secteurs d’activités, venant des provinces et de la capitale, qui se sont mobilisés ce matin pour participer au lancement des travaux des Etats Généraux de la Justice.

C’est le rendez-vous de la nation burkinabè avec la justice burkinabè. Un rendez-vous, Monsieur le Président, que vous m’avez chargée d’organiser en exigeant qu’il ait du sens et surtout de l’utilité afin de répondre aux attentes pertinentes du peuple burkinabè.

Il y a eu tant de conférences, tant de réunions, tant de fora et d’assemblées par le passé, que toute nouvelle initiative de ce type se voit systématiquement décriée.

C’est la raison pour laquelle l’annonce des états généraux de la Justice n’a pas suscité en réalité beaucoup d’enthousiasme au départ. Jusqu’à hier encore, les plus irréductibles continuaient de dire que les maux de la Justice étant connus et largement dénoncés depuis longtemps, les dossiers de crimes de sang et de crimes économiques les plus scandaleux ayant été listés, les solutions étant claires, les attentes du peuple burkinabè étant déjà exprimées sur tous ces points, à quoi servirait-il donc d’organiser des états généraux de la Justice ?

Pourquoi tourner en rond, pourquoi dépenser du temps et de l’argent quand on nous demande d’aller droit au but ? Pire, beaucoup s’indignent, convaincus que la forfaiture consiste à emballer sous l’appellation « d’états généraux », ce qui n’est rien d’autre qu’un forum de plus…

Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Ces doutes et ces fortes préoccupations me semblent parfaitement légitimes, car l’impatience du peuple est à son comble parce qu’il pense être déjà sorti de la longue période de violation de ses droits, de mépris de sa dignité, de pillages de ses ressources, de privation d’informations vraies.

Par l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, le peuple burkinabè se croit déjà affranchi d’un système raffiné dans l’achat des consciences et la pratique de l’exclusion sociale, économique et politique.

En effet, la société burkinabè était assujettie depuis des décennies aux mécanismes imposés par ses dirigeants pour accéder à la prospérité, aux privilèges et même à la sécurité. Il fallait avoir du rang social, un certain niveau d’instruction et surtout une sphère de relations dans les cercles des puissances économiques et politiques à l’intérieur et à l’extérieur du pays. A l’évidence, seule une petite minorité pouvait entrer dans ces mécanismes de promotion sociale.

Ces principes de gouvernance constituaient autant de barrières érigées au sein de tous les secteurs. La pratique de l’injustice et de la violation des droits les plus élémentaires a ainsi gangréné l’administration, le système judiciaire et le système politique.

Dans le milieu judiciaire ces pratiques ont engendré des conséquences dramatiques, insupportables parce qu’elles touchent la vie, le droit et la liberté du citoyen. C’est ainsi que l’utilisation systématique et impunie du crime était devenue une stratégie d’accession aux postes de pouvoir, de conservation du pouvoir, et offrait des raccourcis pour l’enrichissement des jeunes impatients et des classes dirigeantes.

Il est donc normal qu’au lendemain de l’insurrection populaire généralisée, qui a coûté des vies, provoqué des blessures physiques et morales graves et des destructions de biens, le peuple burkinabè pense avoir mis fin au système d’injustice et de pillages organisés.

Malheureusement, si l’insurrection populaire a effectivement décoiffé et défenestré l’appareil de gouvernance, elle ne pouvait pas en 3 jours faire tomber les échafaudages et les armatures de tout un système qui avait réussi à subordonner toute l’administration publique à la défense et à la protection des intérêts des acteurs du système.

C’est pourquoi je me permets de paraphraser le Premier Ministre, le Lieutenant Colonel Isaac Zida qui, au lendemain de l’insurrection populaire a fixé l’une des missions du gouvernement de la Transition comme étant celle de poser les jalons pour des réformes profondes visant à rendre nos institutions crédibles et à construire les fondations d’une administration compétente et loyale au service des citoyens.

En d’autres termes, nous sommes conscients que la réhabilitation du système judiciaire burkinabè contribuera à libérer la société burkinabè des stigmates et des racines de l’injustice sociale. Mais la réhabilitation du système judiciaire ne se fait pas en 4 mois. Elle passe nécessairement par des réformes profondes qui s’appuient sur la révision du statut des institutions et de leurs acteurs.

La crédibilité du système judicaire burkinabè exige une remise à niveau de ses modes opératoires, le renforcement du suivi et du contrôle des services, la diversification des compétences et la restauration de l’éthique dans les pratiques de ses acteurs. Enfin, la remise sur pied du pouvoir judiciaire relève d’une prise de responsabilité collective pour lui restituer son indépendance vis-à-vis des tenants du pouvoir exécutif, du pouvoir législatif et de toutes les forces de corruption.

Ces réformes constitueront les seuls gages pour l’avènement d’une justice intègre et efficace. C’est à cette fin que se justifie l’organisation des états généraux. Vouloir à tout prix faire l’économie de ce grand rendez-vous du sursaut national pour fixer les conditions institutionnelles et opérationnelles d’une réhabilitation de la Justice reviendrait à exiger d’un malade grabataire qu’il s’élance dans une course de 100 mètres plat.
Et pourtant, nous n’avons pas attendu que se tiennent les états généraux avant d’enclencher les premiers remèdes d’urgence au système judiciaire :

En quatre mois, malgré les lourdeurs institutionnelles et procédurales, et en dépit des lenteurs administratives et des délais qu’impose notre démarche qui se veut inclusive, nous comptons au nombre de nos acquis les plus pertinents :
• la relance des procédures d’instruction de grands dossiers de crimes de sang dont le cours était soit suspendu, soit bloqué par des pesanteurs politiques ; ces procédures sont en cours dans le strict respect du secret de l’instruction tel que prévu par le Code de procédure pénal ;
• la finalisation par mon département et l’adoption par le Conseil National de la Transition de la Loi portant prévention et répression de la corruption ; une loi dont le processus d’adoption a connu un certain blocage face aux tentatives des uns et des autres de la vider de son contenu ;
• la finalisation des textes sur la mise en place du pôle économique et financier et du pôle de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée ;
• la reprise en main des chantiers de relecture et de finalisation des textes sur le statut de la magistrature et du Conseil supérieur de la magistrature ;
• la relance effective de la rédaction des décrets d’application du statut du personnel du corps des greffiers ;
• le lancement du processus de rédaction des décrets d’application de la loi portant statut du personnel de la Garde de Sécurité Pénitentiaire ;
• les gros efforts consentis par le gouvernement et les services techniques du département de la justice et des droits humains pour créer des conditions minimales de reprise des activités des juridictions incendiées à Bobo Dioulasso ; en dépit de tout ce qui reste encore à faire pour soutenir les magistrats et les auxiliaires de justice dans leur lourde tâche, nous saluons l’engagement pris par toutes les équipes, de reprendre les activités le 30 mars 2015 à Bobo Dioulasso ;
• par ailleurs, des réflexions profondes sont engagées sur les réformes institutionnelles notamment, celle de la Haute Cour de Justice en vue de la rendre opérationnelle et apte à juger tous les actes constitutifs de haute trahison, d’attentat à la Constitution ou de détournement de deniers publics commis par les dirigeants ainsi que les faits constitutifs de crimes ou délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ;
• enfin, nous poursuivons aussi les efforts pour lancer une stratégie appropriée de traitement accéléré des centaines de dossiers en attente de jugements dans les cours et tribunaux.

Excellence,
Monsieur le Président de la Transition,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs,

Ces avancées que nous considérons importantes au vu du contexte particulièrement difficile et agressif dans lequel s’opère la Transition, ces avancées, dirais-je, restent très fragiles, trop fragiles si les véritables réformes à caractère politique et institutionnel ne sont pas clairement tracées et immédiatement lancées. C’est le but ultime des états généraux et c’est le fondement de son principal résultat attendu qui est l’adoption et la signature le 28 mars 2015, du Pacte national pour le renouveau de la Justice.

Ce Pacte comme son nom l’indique présentera une série d’engagements auxquels vont se soumettre les autorités burkinabè et plus particulièrement les acteurs de la Justice et des Droits humains face à la nation ; c’est pourquoi, nous voulons en même temps prendre à témoin, un échantillon des forces vives burkinabè en les invitant à s’inscrire comme cosignataires du Pacte aux côtés des autorités burkinabè. Les cosignataires ont été sélectionnés en raison de leur force d’influence positive ou négative sur la Justice.

Nous osons donc qualifier ce Pacte de pierre angulaire du processus de réhabilitation du système judiciaire burkinabè.
Il est structuré autour de six (6) grands chapitres, portant respectivement sur :
 l’indépendance de la magistrature
 le fonctionnement du service public de la justice
 la moralisation de l’appareil judiciaire
 l’accessibilité à la justice
 l’esprit de citoyenneté
 la prise en compte des droits humains dans les procédures judiciaires

La dernière partie du Pacte est consacrée à la mise en place du mécanisme de veille, de suivi et d’interpellation, auquel sera conféré par une loi, le statut d’Autorité de mise en œuvre du Pacte.

Les engagements inscrits dans le Pacte vont s’inspirer des résultats des discussions et des propositions des ateliers fondées sur les préoccupations des acteurs de la justice et du public.

Les divers engagements inscrits au Pacte national pour le renouveau de la Justice, pourraient s’assimiler à une ordonnance médicale dont les prescriptions sont immédiatement exécutoires parce que la guérison du malade en dépend. Ils tireront leur caractère contraignant de leur l’acceptation par tous et de l’adoption de la loi portant création de l’Autorité chargée de veiller à leur mise en œuvre.

Excellence,
Mesdames et Messieurs,

Au-delà de la tenue effective des Etats Généraux de la Justice et des résultats attendus, nous restons parfaitement conscients que l’aboutissement de notre mission collective de réhabilitation de la dignité, de la liberté et de la démocratie véritable, est largement tributaire de notre quête sincère d’une Justice qui va au-delà du seul fait de dire le droit.

Notre quête légitime de justice devrait être accompagnée des conditions qui favorisent l’apaisement social. Un prisonnier qui purge la peine qui lui est infligée en application de la loi, a besoin de pardon et qu’il lui soit reconnu en plus, le droit à la restauration de sa dignité après l’exécution de sa peine.

C’est pourquoi nous condamnons les traitements dégradants et humiliants sur des détenus et la stigmatisation d’anciens détenus. C’est pourquoi je saisis cette tribune pour dire que la justice burkinabè doit être dénuée de tout esprit de vengeance et de haine ; elle doit travailler à dire le droit dans le respect de la dignité des uns et des autres.

Par ailleurs, nous savons que les textes juridiques sont inaccessibles et incompris du citoyen ordinaire encore moins des populations rurales ou urbaines illettrées. Un travail de fond devrait être engagé sur l’accès à l’information juridique et judiciaire.

Nous ne saurions parler de démocratie et d’Etat de droit tant que l’accès à un huissier de justice, à un notaire ou à un avocat demeure un privilège réservé aux justiciables des grands centres urbains. Nous ne saurions parler de démocratie ni faire œuvre de justice auprès du plus grand nombre, tant que le métier d’avocat, celui de notaire, ou celui d’huissier de justice ne s’ouvrent pas largement aux jeunes afin de lever les verrous qui condamnent les populations rurales à affronter la complexité de la procédure judiciaire sans l’assistance de technicien du droit,

Excellence, Monsieur le Président,

Pour conclure mon propos, permettez-moi de vous remercier et de remercier Son Excellence Monsieur le Premier ministre ainsi que les membres du gouvernement de la Transition, pour les appuis et les encouragements que vous n’avez cessé de prodiguer à mon endroit et à l’endroit de mes collaborateurs tout au long du processus préparatoire des états généraux.
Permettez-moi par ailleurs de féliciter les membres du Comité national d’organisation qui, à travers les commissions et le concours d’autres acteurs de divers secteurs, ont travaillé sans relâche pour qu’en l’espace de 3 mois seulement, la tenue des états généraux s’ouvre aujourd’hui.

Je voudrais remercier vivement les gouverneurs pour leur implication directe dans la gestion des contributions des membres des services déconcentrés et des structures non gouvernementales.

Je veux reconnaître le concours précieux du Conseil National des OSC, pour sa prise de responsabilité dans la mobilisation de la société civile.

Je remercie tous les organes de presse, radiophonique, télévisuelle et écrite pour leur implication directe dans les activités préliminaires de diagnostic.

Ma reconnaissance va à tous nos partenaires financiers pour leurs appuis multiformes et pour les engagements que certains ont déjà pris de soutenir les actions immédiates de diffusion et de sensibilisation sur le Pacte.

Aucune œuvre humaine n’étant parfaite, je demande à l’avance l’indulgence des uns et des autres, et surtout celle des acteurs du ministère de la Justice, des droits humains et de la promotion civique, qui pensent avoir été exclus du processus préparatoire.

Ces états généraux ne sont que la première étape d’un long cheminement vers la restauration de la Justice burkinabè.

Enfin, je voudrais vous informer qu’un Collège de Médiateurs, composés d’une dizaine de personnalités a été mis sur pied pour veiller par leur présence et par leurs conseils à déjouer toute source éventuelle de perturbation des travaux.

Je formule le vœu que, par la Grâce de Dieu, les états généraux de la justice se déroulent dans un climat paisible et constructif.

Je vous remercie de votre aimable attention.

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