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Mégard Voho (ministère de la Justice) : "La réinsertion des prisonniers coûte cher"

Publié le jeudi 17 mars 2005 à 08h18min

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Pour remédier à la surpopulation carcérale et favoriser la réinsertion sociale des condamnés libérés, le Burkina a adopté une peine alternative à l’emprisonnement appelée travail d’intérêt général (TIG). C’était en avril 2004.

A environ un an de cette adoption, nous avons rencontré le directeur de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion sociale, Médard Voho. Dans l’entretien qu’il nous a accordé le 14 mars 2005, il évoque de long en large le TIG et aborde d’autres sujets non moins importants comme par exemple l’univers carcéral, la réinsertion sociale.

"Le Pays" : Succinctement, que fait la Direction de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion sociale ?

Médard Voho : La Direction de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion sociale (DAPRS) est une direction centrale du ministère de la Justice. Elle est chargée de la supervision des services en charge de l’exécution des peines, de la gestion des établissements pénitentiaires.

Où en êtes-vous avec le travail d’intérêt général (TIG) qui a été intégré, en avril 2004, au Code pénal burkinabè par l’Assemblée nationale ?

Le travail d’intérêt général est une peine correctionnelle alternative à l’emprisonnement. Deux lois relatives à cette peine ont été adoptées le 6 avril 2004 : la loi n°006-2004/AN portant modification du Code pénal pour introduire le travail d’intérêt général comme peine correctionnelle et la loi n°007-2004/AN portant administration du travail d’intérêt général. A l’issue de l’adoption, il reste à mettre en oeuvre le travail d’intérêt général.

Mais comme c’est une nouvelle peine, nous avons prévu un programme d’activités prévoyant la formation des différents acteurs du TIG. Nous avons formé, courant décembre 2004, les formateurs des formateurs qui sont des magistrats, des OPJ (NDLR : officiers de police judiciaire), des travailleurs sociaux. Pour les semaines à venir, deux formations seront organisées dans chaque juridiction au profit de la police judiciaire et des administrations susceptibles d’accueillir des condamnés à une peine de travail d’intérêt. Présentement, nous sommes à la phase de formation et de sensibilisation des différents acteurs.

L’adoption de la peine alternative signifie-t-elle que les peines appliquées jusque-là ont échoué, sont devenues inefficaces ?

Je précise que le travail d’intérêt général va cohabiter avec la peine d’emprisonnement. Les deux peines pourront être prononcées par les juridictions. Si le travail d’intérêt général a été adopté, c’est parce qu’il présente des avantages. Le premier avantage est qu’il favorise la réinsertion sociale des condamnés. Un des méfaits de la prison est la désocialisation, au contraire de la peine de travail d’intérêt général. Ainsi, un délinquant primaire (NDLR : qui a commis un délit pour la première fois) condamné à cette peine pourra continuer à conserver son travail et purger sa peine suivant des modalités fixées par le juge chargé de l’application des peines.

Du coup, il est soustrait des mauvaises conditions de détention.
Un autre avantage du travail d’intérêt général est qu’il permet à la collectivité de faire exécuter un travail quelconque par un condamné à cette peine. Si nous prenons le cas de la ville de Ouaga, nous voyons que les caniveaux sont bouchés, qu’il y a des sachets en plastique un peu partout. L’exécution de la peine de travail d’intérêt général permet de curer les caniveaux, de ramasser ces sachets gratuitement.

Le travail d’intérêt général permet également de lutter contre la surpopulation carcérale. Présentement, nous estimons à 90% le taux de délinquants condamnés à une peine inférieure à 12 mois. Cela suppose que ce ne sont pas des délinquants dangereux à qui l’on pourrait appliquer la peine alternative.

A quels types de délinquant le travail d’intérêt général peut-il être appliqué ?

Peuvent bénéficier de cette peine alternative ceux qui ont commis un délit ; ce qui exclut les criminels. D’autres conditions définies par la loi doivent être remplies. Il s’agit, pour le délinquant, de ne pas présenter une personnalité dangereuse, de n’avoir pas été condamné au cours des 5 dernières années précédant les faits qualifiés de crimes et de délits de droit commun soit à une peine criminelle, soit à une peine d’emprisonnement sans sursis supérieure à 4 mois.

Le délinquant doit aussi justifier d’un domicile fixe ou d’une adresse certaine ou à défaut d’un parent qui peut se porter garant pour l’accueillir chez lui et le prendre en charge du point de vue alimentaire. Le délinquant doit être âgé de 16 ans au moins ce qui exclut les mineurs de moins de 16 ans du bénéfice de cette peine. Pour ceux-ci, le juge peut prendre des mesures éducatives prévues par la loi.

Concernant les travaux à exécuter, tenez-vous compte du profil des condamnés pour qu’un délinquant habitué à un travail intellectuel ne se retrouve pas à exécuter un travail physique ?

Concernant la nature du travail à exécuter par le tigiste (NDLR : condamné au TIG), on distingue les travaux manuels (curer des canaux, entretenir un jardin, construire une route, etc.), les travaux intellectuels (alphabétiser des mineurs ou des adultes par exemple), les travaux liés à l’assistance qui peut être apportée à d’autres Burkinabè comme par exemple l’assistance de malades à l’hôpital. Dans la mesure du possible, le juge chargé de l’application des peines va tenir compte de la formation du condamné, de ses capacités physiques et intellectuelles.

Le tigiste sera-t-il surveillé par des agents de la sécurité pénitentiaire ou laissé à lui-même avec les risques qu’il s’enfuit sans avoir purgé sa peine ?

Les condamnés à une peine de travail d’intérêt général sont soumis à un contrôle. Le premier contrôle est effectué au niveau de la structure d’accueil qui doit désigner une personne pour suivre au quotidien le tigiste. Il y a un second niveau avec le délégué au travail d’intérêt général ou le travailleur social qui va suivre l’exécution du travail. De temps à autre, il passe pour voir si la structure d’accueil donne effectivement le travail convenu, si le tigiste exécute convenablement le travail. Le troisième niveau de contrôle est le magistrat chargé de l’application des peines qui supervise l’exécution des travaux confiés à des tigistes.

En tant que directeur de l’administration pénitentiaire ayant une haute vue sur les établissements de détention, quel est l’état actuel des prisons burkinabè du point de vue des normes, de la population carcérale, etc. ?

Nous disposons actuellement de 17 établissements pénitentiaires. Sur ce total, 13 établissements sont véritablement opérationnels. Concernant les conditions de détention, nous avons des problèmes sur les plans de l’hygiène, de l’alimentation et de la santé malgré l’effort considérable consenti par l’Etat burkinabè.

En ce qui concerne l’architecture des prisons, celles construites à une date très récente ne correspondent pas tout à fait aux normes parce qu’elles ne permettent pas d’opérer les séparations des détenus en fonction du sexe, de l’âge, de la situation juridique. Fort heureusement, après l’adoption du Plan d’action du ministère de la Justice, un effort a été fait pour régulariser la situation. Ainsi, dans pratiquement toutes les prisons du pays, il y a un quartier pour mineurs.

Des quartiers pour femmes existent dans les prisons de Ouaga, de Bobo ; un quartier pour femmes est en construction à Ouahigouya cette année. Le plan d’action prévoit la construction de quartiers pour femmes dans les autres prisons les années à venir. En attendant, une cellule est réservée dans les autres prisons pour l’incarcération des femmes.
Les prisons de Ziniaré, de Dédougou qui viennent d’être inaugurées répondent parfaitement aux normes. Il en sera de même de celles à venir.

L’opinion publique voit en ces établissements pénitentiaires des lieux où l’aspect détention a pris le pas sur celui de la correction. Quelle est votre réaction par rapport à une telle perception ?

La prison a deux fonctions principales. La première est une fonction punitive. C’est celle que le commun des mortels connaît le mieux. Mais la prison a également une fonction de réinsertion sociale. On doit profiter du séjour en prison du délinquant pour obtenir son amendement en vue de favoriser sa réinsertion sociale une fois libéré. La réinsertion sociale nécessite que certains programmes soient offerts aux condamnés. Il s’agit par exemple de la formation professionnelle, de l’alphabétisation, des mesures d’individualisation de la peine comme le placement à l’extérieur, la semi-liberté, la libération conditionnelle. Toutes ces activités et mesures doivent concourir à la resocialisation du délinquant. La réinsertion sociale coûte très cher. Le ministère de la Justice est conscient qu’il faut mettre l’accent là-dessus si l’on veut éviter la récidive à certains délinquants.

Avec, par exemple, le soutien du PADEG (NDLR : Programme d’appui à la consolidation du processus démocratique, l’Etat de droit et la bonne gouvernance) un atelier de menuiserie bois et métallique est en train d’être construit et équipé à la Maison d’arrêt et de correction de Ouaga. Avec l’appui de l’UNICEF, des activités de formation en menuiserie, en soudure, en couture, en alphabétisation sont menées en faveur des mineurs des prisons de Ouaga, de Tenkodogo, de Ouahigouya et de Bobo. Le volet resocialisation du délinquant n’est donc pas ignoré par le ministère de la Justice. Mais il faut reconnaître que c’est un volet qui nécessite beaucoup de moyens.

Courant 2004, la Maison d’arrêt et de correction de Ouaga (MACO) a connu une évasion consécutive à la révolte des détenus contre une coupure d’eau. Quelles sont les dispositions prises aujourd’hui pour éviter de connaître une situation pareille tant au niveau de la MACO que dans d’autres prisons ?

Sur le plan sécuritaire, les mesures prises doivent rester secrètes. Concernant le volet humanisation de la détention, des châteaux d’eau ont été construits dans la plupart des établissements pénitentiaires pour pallier les problèmes d’eau.

Le Centre pénitentiaire agricole de Baporo situé dans la province des Balé (Région du Centre-Ouest) est, depuis quelque temps, l’objet d’attention de la part du ministère de la Justice et nombre d’activités y sont menées. Pourquoi ce brusque regain d’intérêt pour ce centre ?

Le regain d’intérêt pour le centre ne date pas d’aujourd’hui. Le centre a été créé en 1985 pour, premièrement, améliorer l’alimentation des détenus. Deuxièmement, le centre a été créé pour assurer une formation en techniques agricoles modernes aux détenus condamnés qui le souhaitent. Le centre a bien fonctionné jusque dans les années 2000 avant de connaître, à partir de cette période, des difficultés d’origines diverses. Mais depuis 2003, le ministère de la Justice met tout en oeuvre pour redynamiser le centre de Baporo.

La question demeure toujours : pourquoi avoir jeté le dévolu sur Baporo qui n’est pas le seul établissement pénitentiaire du Burkina ?

Baporo est le plus grand centre pénitentiaire agricole du pays et est d’une superficie de 100 hectares. C’est la raison pour laquelle nous mettons l’accent sur ce centre. Si Baporo réussit à faire une bonne production, nous pourrons améliorer l’alimentation des détenus. Par ailleurs, il y a des unités de production dans la plupart des prisons où sont menées des activités de culture maraîchère, de petit élevage.

Concernant la réinsertion sociale, quelles sont aujourd’hui les chances d’un condamné ayant purgé sa peine de réintégrer la société burkinabè ?

(Silence). C’est une question piège (rires). Présentement, la chance du délinquant dépend de sa volonté de réinsertion. Quels que soient les moyens que l’Etat va mettre à la disposition du délinquant pour assurer sa formation professionnelle, s’il n’a pas la volonté de s’en sortir, l’effort restera vain. Mais j’avoue que nous ne disposons pas grandement de moyens pour assurer le suivi des délinquants libérés. Dans tous les cas, nos services restent à leur écoute pour leur apporter les conseils utiles.

N’estimez-vous pas qu’il manque un coup de pouce de votre part aux délinquants libérés car il n’est pas évident que, laissés à eux-mêmes, tous réussissent leur réinsertion ?

Nous sommes conscients de ce manque de coup de pouce et sommes en train d’élaborer un document intitulé "Politique pénitentiaire au Burkina Faso". Tous ces aspects seront traités et les activités à mener en faveur des détenus libérés seront également prévues. Il reste maintenant à rechercher les financements.

Propos recueillis par Séni DABO
Le Pays

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