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Affaire Dabo Boukari : Salif Diallo convoqué par le juge

Publié le jeudi 16 janvier 2014 à 17h11min

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Affaire Dabo Boukari : Salif Diallo convoqué par le juge

L’ex-ministre d’Etat Salif Diallo sera-t-il bientôt entendu par la justice dans l’affaire Dabo Boukari ? Le juge d’instruction a émis une convocation dans ce sens. Mais l’affaire n’est pas aisée. Le chef des OPJ commis à la tâche a refusé de transmettre la convocation en invoquant la qualité de la personne convoquée.

Quand un ancien militaire du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) communément appelé « Conseil » vient « soulager sa conscience » à la justice, ses propos deviennent une affaire de la République, tellement l’histoire récente du pays se confond aux faits et gestes des locataires de ce célèbre et sinistre lieu du Conseil de l’Entente. De nombreuses vies ont été arrachées dans ce camp retranché depuis son occupation par les para-commandos venus de Pô un soir du 4 Août 1983.

Le capitaine Thomas Sankara qu’ils ont porté au pouvoir a lui-même perdu la vie dans ce lieu le 15 octobre 1987 avec douze de ses collaborateurs. Après eux, des noms devenus célèbres comme le Professeur Guillaume Sessouma et l’étudiant en 7ème année de médecine Dabo Boukari auraient également laissé leur vie en cet endroit. Toutes ces affaires ont été portées à la justice sans réelles avancées. Mais les choses pourraient bouger concernant le dossier Dabo Boukari.

De sources concordantes, un « ancien militaire du Conseil » est passé fin novembre à la justice demandant à voir le juge « pour soulager sa conscience », selon ses propos, par rapport à la mort de Dabo Boukary. Le juge l’a effectivement reçu. Son audition décrirait de bout à bout ce qu’on a appelé « les événements de mai 1990 sur le campus ». Il aurait affirmé avoir personnellement « suivi » tout ce qui s’est passé, à savoir la grève déclenchée par l’Association des étudiants burkinabè (ANEB) suivie de la répression de ses délégués et militants.

Des militaires du RSP auraient supervisé l’opération commando sur le campus qui a consisté à traquer les supposés meneurs de la lutte. Des éléments auraient été mis à la trousse de nombreux étudiants. Il est formel, c’est Salif Diallo qui aurait donné les noms de ceux qui devraient être arrêtés. C’est encore l’ex-directeur de cabinet de Blaise Compaoré qui aurait indiqué les planques des responsables du syndicat activement recherchés.

C’est sur la base de ces informations que les militaires ont mis la main sur Dabo Boukari et d’autres délégués de l’ANEB et de l’Union générale des étudiants burkinabè (UGEB). Les militaires ont effectivement amené une bonne cohorte d’étudiants dans les locaux du Conseil où ils étaient soumis quotidiennement à des séances de tortures. Dabo Boukari, l’élément le plus activement recherché à l’époque avec Séni Kouanda, devenu docteur en médecine et chercheur à l’Institut de recherche en science de la santé (IRSS), est mort suite à ces tortures.

Le témoin soutient également que c’est le général Gilbert Diendéré (à l’époque capitaine) qui aurait ordonné la relaxe de tous les détenus. Il semblait être surpris de leur présence dans les locaux et du traitement qui leur était infligé. Quand Diendéré a été mis au courant de la mort de Dabo, après avoir vu le corps, il aurait ordonné son enterrement. Le témoin soutient qu’il connait l’endroit où Dabo a été enterré. Il a donné plusieurs détails qui auraient convaincu le juge de la solidité de son témoignage.

Le nom de Ram Ouédraogo est également revenu plusieurs fois dans ses propos. Ce dernier avait en 2000, dans le cadre des préparatifs de la Journée nationale du pardon, recueilli également le témoignage de ceux qui avaient exécuté la sale besogne en mai 1990. Le témoignage de Ram pourrait éventuellement confirmer certains éléments.

Plusieurs jours après l’audition du militaire, des convocations ont été émises pour les deux ex-ministres d’Etat pour « affaire les concernant » sans précision. De sources sûres, c’est la brigade ville de gendarmerie de Boulmiougou qui a été commise pour remettre les convocations à leurs destinataires. Mais le commandant de brigade aurait notifié au juge qu’il n’est pas dans ses prérogatives de remettre des convocations pour une affaire déjà en instruction. L’huissier serait bien indiqué, aurait-il soutenu. Une explication qui ne tiendrait pas la route selon les spécialistes. Du coup, le juge Bilgo se retrouve aujourd’hui avec ses convocations sous la main. Il a la possibilité de recourir effectivement à un huissier. Mais il ne l’a pas fait pour le moment.

C’est le cabinet Sankara qui s’est constitué auprès de la famille Dabo. Dans le cadre de la procédure ouverte en 1999, plusieurs personnes ont déjà été entendues tels les anciens camarades de Dabo, Dr Séni Kouanda, Dr Coulibaly Aboubacar, Soungalo Soulama, Jean Yves Kambou. Mais l’instruction n’a pas permis d’inculper quelqu’un jusqu’à présent.

Les implications politiques

Cet épisode dans le dossier Dabo soulève évidemment des questions au regard du contexte socio-politique du moment. On sait que Salif Diallo est en quasi-dissidence avec le parti au pouvoir. Il aurait récemment demandé à tous ses amis politiques de quitter le navire CDP après les fêtes de fin d’année. La délivrance des convocations a-t-elle des liens avec cette évolution politique au sein du parti au pouvoir ? Le militaire serait-il parti de gré faire son témoignage ou aurait-il été envoyé en mission ? L’intéressé soutient pour sa part que c’est pour « soulager sa conscience ». Mais quels que soient ses motivations, on ne peut s’empêcher de faire un lien avec la bagarre qui se déroule aujourd’hui entre les clans du régime. Il reste au juge de faire son travail comme il se doit.

Pour le moment, il a posé des actes qui cadrent bien avec la procédure. Il a demandé à entendre les personnes citées par l’ex-militaire du Conseil. Salif Diallo, Ram Ouédraogo et Gilbert Diendéré en font partie, mais ils ne seraient pas les seuls. Très certainement que les jours à venir, il y aura des rebondissements dans l’affaire.

Abdoulaye Ly
MUTATIONS N° 44 du 1er janvier 2014. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com . site web : www.mutationsbf.net)

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