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Modification de l’article 37 par référendum : Des leaders politiques réagissent

Publié le lundi 16 décembre 2013 à 00h16min

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Modification de l’article 37 par référendum : Des leaders politiques réagissent

Le 12 décembre 2013, lendemain de la fête de l’indépendance à Dori, le président du Faso a animé un point de presse au cours duquel il a annoncé la modification de l’article 37 de la Constitution avec la précision que le peuple sera consulté à cette fin. C’est donc un référendum qui se trouve ainsi annoncé. Quelle réaction et que ferait leur parti politique si ledit référendum venait à être enclenché ? Telles sont les questions que nous avons posées à des leaders politiques dont certains ont bien voulu réagir. Ces derniers, ce sont Victorien Tougouma, président du Mouvement africain des peuples (MAP), Etienne Traoré, Secrétaire général du PDS/Metba et Ablassé Ouédraogo, président du parti « Le Faso Autrement ». A l’occasion, c’est un point de presse de l’opposition politique dans son ensemble, prévu pour se tenir sur la question le lundi 16 décembre 2013, qui nous a été annoncé par la voix la plus autorisée au sein de l’opposition réunie.

Victorien Tougouma, président du MAP (Mouvement africain des peuples)

Nous, nous avons toujours pensé qu’il était important en démocratie, qu’il puisse y avoir un renouvellement de la classe politique ; ce d’autant plus que ceux qui nous dirigent aujourd’hui sont arrivés très jeunes au pouvoir. Ils devraient comprendre l’intérêt de faire place à d’autres, donc un renouvellement de générations. C’est en cela que nous pensons qu’il est important qu’au niveau de la Constitution du pays et au niveau des statuts des partis politiques, il puisse y avoir des mécanismes qui permettent un renouvellement de la classe politique.

Pour nous, modifier l’article 37, ce ne serait vraiment pas opportun ; que ce soit par voie parlementaire ou par référendum. L’annonce de l’option référendaire est pour nous, une surprise. Comme cela n’est pas encore mis sur la table, nous pensons que le président va encore méditer sur la question, et sans doute renoncer à modifier l’article 37. Mais cela ne dépend pas du président du Faso seul ; ça dépend en partie de la classe politique.

Comme nous l’avons toujours dit, pour nous, la vraie question, ce n’est ni le Sénat, ni l’article 37 ; c’est comment arriver à organiser le départ de nos chefs d’Etat pour qu’ils soient rassurés qu’eux-mêmes et leurs proches seront dans la sérénité et la quiétude, après un travail pénible qui est celui de diriger un pays. Malheureusement, le Burkina a échoué depuis notre indépendance à faire en sorte que nos chefs d’Etat sortent véritablement par la grande porte. De Maurice Yaméogo à travers la marche de 1966 jusqu’au président Sankara qui a été assassiné, nos chefs d’Etat ont toujours du mal à sortir par la grande porte. C’est donc à la classe politique de réfléchir sur comment on organise cela. Je me dis que c’est peut-être ça aussi qui fait peur au président Compaoré et qui l’amène à vouloir s’accrocher au pouvoir. Sinon, il n’a véritablement aucun intérêt à rester au pouvoir aussi longtemps.

Pour nous au MAP, nous pensons d’abord que si l’article 37 devait être modifié, ce serait un échec de toute la classe politique. Ça voudrait dire que nous avons échoué à dialoguer et à trouver des solutions sur l’essentiel, c’est-à-dire l’avenir du Burkina.

Comme vous le savez, nous sommes en train de pleurer actuellement avec le monde entier, la disparition de Nelson Mandela. Nous sommes tous conscients qu’il n’y a pas d’homme providentiel ; sinon Mandela serait resté au pouvoir jusqu’à sa mort. Il l’aurait bien mérité après la lutte qu’il a menée pour les sud-africains. S’il est parti du pouvoir, c’est pour faire comprendre à tous les africains et au monde entier qu’il n’y a pas d’homme providentiel. Le plus important quand on est au pouvoir, c’est de préparer la relève.

Donc, si l’option du référendum pour modifier l’article 37 venait à être mise sur la table, c’est d’abord parce que nous avons échoué à dialoguer et à trouver des solutions. Et cet échec est dû en parti à la génération de la Révolution qui, me semble-t-il, au lieu de se consacrer à l’intérêt du Burkina Faso, se préoccupe de problèmes d’individus. Et c’est cela qui nous fait le plus mal.

C’est une fois de plus l’occasion de lancer un appel à cette génération de comprendre que si la Révolution a bouffé ses enfants, modifier l’article 37, c’est de bouffer maintenant ses petits-enfants, parce que véritablement, on ne voit pas comment les jeunes auront un avenir serein si c’est la même génération qui doit rester au pouvoir comme à l’opposition.

Nous, nous pensons que cette option ne sera pas mise sur la table. Mais si ça venait à l’être, nous allons, au sein du parti, nous consulter pour voir comment appeler à voter oui ou non à ce référendum.

En attendant, nous estimons que si le président du Faso a le courage de mettre en place le Sénat et de modifier l’article 37, c’est parce que nous avons aussi une opposition qui est assez faible et que le pouvoir ne considère pas tant que ça. Pourquoi ? Parce que si on regarde actuellement dans le gouvernement, un parti d’opposition quand même historique, celui de Me Hermann Yaméogo, y est représenté. Alors même que nous ne sommes pas dans un gouvernement d’union nationale. Si on prend aussi le cas de la commune rurale de Bagré, on a une Mairie dirigée par le CDP en coalition avec l’UNIR/PS, parti du chef de file sortant de l’opposition. Donc, quand vous avez une opposition qui donne des signes contraires au peuple, il est normal que le pouvoir s’en sente ragaillardi et se dise que s’il veut faire quelque chose, ça peut passer.

Mais je pense que là où le pouvoir a un peu tort, c’est dans la sous-estimation des citoyens, surtout les jeunes qui sont véritablement mécontents. J’estime que le pouvoir devrait réfléchir par deux fois avant de poser le référendum sur la modification de l’article 37. S’il pense que l’opposition n’est pas assez unie et forte, il ne faut quand même pas qu’il oublie la poussée de ce que certains qualifient d’incivisme et que nous, nous appelons le mécontentement des citoyens. Ne pas prendre cela en considération, ça peut plonger notre pays dans un chao inimaginable.

Je voudrais, pour terminer, saluer la mémoire de Norbert Zongo ; celui-là même qui s’est battu et s’est sacrifié pour la liberté de la presse et pour la démocratie dans notre pays. Cela devrait interpeller toute la classe politique au sacrifice, à la prise de bons choix en mobilisant toutes nos intelligences, pour le bonheur du Burkina Faso. Ce qui passe par la démocratie et aussi par le renouvellement de la classe politique.

Etienne Traoré, Vice président du PDS/Metba (Parti pour la démocratie et le socialisme/ Parti des bâtisseurs) :

Moi je ne suis pas surpris par cette annonce. En septembre dernier, j’écrivais sur mon blog que Blaise Compaoré lors de ses interviews aux USA nous disait en termes voilés ceci : "je me prépare pour la présidentielle 2015. Mais c’est moi qui choisirai le moment et la forme pour le dire".

L’histoire retiendra que cela a été fait un 12 décembre, lendemain de la fête nationale, à Dori, fief de son principal challenger (l’honorable Arba Diallo) à la présidentielle de 2010. Il pense que le moment est arrivé, car convaincu d’être en train de retourner le rapport des forces en sa faveur. Il peut alors ouvrir la voie en s’achetant un référendum.

Moi je suis convaincu qu’il se lance dans une aventure périlleuse pour notre pays en osant briser un consensus populaire et démocratique chèrement acquis en 1991. Je rappelle qu’en démocratie, le consensus est toujours supérieur à la majorité, car il réunit plus de volontés citoyennes et évite les divisions au sein du peuple.

Aujourd’hui, toute éventuelle majorité constituerait un recul, sinon une trahison par rapport à l’esprit et la lettre de notre Constitution actuelle, cause principale de notre stabilité politique.

Après 28 ans de pouvoir, Blaise Compaoré qui s’est déjà fait voter une amnistie, devrait se retirer en laissant un pays apaisé et démocratiquement plus avancé. Mais hélas, Blaise Compaoré, en montrant ainsi qu’il aime son fauteuil plus que son pays, court le risque insensé de laisser un pays divisé et peut-être ensanglanté. Notre peuple ne mérite pas cela ! Au PDS/METBA donc, nous restons hostiles à toute trahison du consensus populaire de 1991 et nous nous joindrons à toutes initiatives pour la contrer.

Ablassé Ouédraogo, président du parti « Le Faso Autrement »

Le président du Faso fait purement et simplement de la provocation, car pour qui vit au Burkina Faso et est au contact de la réalité du Burkina profond, il apparaît nettement que la majorité des Burkinabè reste opposée à l’idée d’une pérennisation de M. Blaise Compaoré au pouvoir après 2015.

Avec cette déclaration, le président Compaoré indique avoir compris que sa décision pour sa candidature pour un nouveau mandat à la Présidence de la République ne dépend pas seulement de lui comme il l’avait déclaré à Yamoussokro, le mardi 30 juillet 2013 ; et cela est un grand progrès.

Le Burkina Faso est une République qui est régie et gouvernée par des lois et des règles, dont la loi fondamentale, c’est-à-dire la Constitution qui autorise effectivement le président du Faso à recourir au référendum pour consulter les populations sur les questions d’importance nationale, comme la modification de l’article 37 de la Constitution. C’est donc son droit légitime de le faire.

Seulement, il se pose la question de l’utilité et de la pertinence d’une telle consultation dans un climat social aussi en constante détérioration. Ce faisant, le président du Faso emboîte le pas de l’ancien président Mamadou Tandja du Niger qui avait des chantiers à terminer et qui ne les terminera jamais. Rappelons-nous qu’à l’époque, le président Compaoré avait déconseillé un tel exercice à son frère Tandja en lui disant avec force, de Tunis, qu’il allait droit dans le mur.

Aujourd’hui, nous voulons donner le même conseil au président Compaoré, qu’il commettrait une grave erreur qui pourrait être fatale à la 4ème République. Que lui aussi, il allait tout droit dans le flanc de la montagne et que cela pourrait faire mal, immensément au Burkina Faso et certainement par ricochet à lui-même. Par conséquent, vouloir s’emmurer dans cette intention de modifier la Constitution et de mettre en place le Sénat, ressemble fort à un ultime baroud d’honneur. Ce qui n’est pas utile et nécessaire dans le contexte actuel d’un Burkina qui a changé et ses femmes et ses hommes avec.

Le président Compaoré a dit avoir appris du président Mandela. C’est à ne rien comprendre, quand on sait que Mandela, que tout le monde entier célèbre et glorifie, n’a jamais cherché à s’accrocher à un quelconque pouvoir. Et c’est cela sa stature qui a fait de lui un monument, un modèle pour nous tous. Et par conséquent, le président Compaoré devrait revoir la copie avant qu’il ne soit trop tard.

En 26 ans d’exercice du pouvoir, M. Blaise Compaoré a beaucoup fait pour son pays, et le peuple burkinabè lui en est reconnaissant. Que peut-il réaliser de plus en cinq ans et qu’il n’a pas pu faire en plus d’un quart de siècle ? Qu’il accepte de partir du pouvoir par la grande porte en novembre 2015 en respectant simplement la Constitution et son article 37 qui limite les mandats présidentiels au nombre de deux. Ainsi, incontestablement, il deviendra l’homme le plus adulé de son pays, du Continent et aussi du monde. Et là, il aura vraiment appris de Nelson Rolihlahla Mandela.

S’il choisit de faire différemment, l’adage populaire qui dit que « quand l’âne va vous terrasser, vous ne voyez pas ses oreilles » pourrait encore une fois se vérifier.

Propos recueillis par Fulbert Paré

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