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Tena Tower Complex à Ouaga 2000 : Rêve architectural ou « vanité commerciale » ? (2/2)

Publié le jeudi 15 décembre 2011 à 09h45min

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Blaise Carroz, après sept années passées à la tête de l’Aquaparc du Bouveret (cf. LDD Burkina Faso 0286/Lundi 12 décembre 2011), avait d’autres projets en perspective. Ce sera La Marina de Port-Valais, « considérée comme une réussite majeure ». Il lui avait fallu trouver 35 millions de francs suisses pour l’Aquaparc. Il lui en faudra 65 pour La Marina, présentée comme une réalisation unique en Suisse.

142 appartements les pieds dans l’eau avec un poste d’amarrage pour la plupart d’entre eux permettant aux heureux (et riches) propriétaires de rejoindre le lac Léman par un canal. 2000-2007 : ce sera un nouveau septennat pour Carroz dans le cadre de cette opération. Il va céder White Sands SA, la société d’exploitation de La Marina, à un homme d’affaires belge « tous azimuts » : Thierry Dubuisson installé, lui aussi, à l’île de la Dominique, dans les Caraïbes.

Carroz va s’attaquer alors à un nouveau projet immobilier, plus ambitieux encore. A Montreux, sur les bords du Léman, ce sera le rachat du vieil hôtel Le National et sa transformation en résidence de luxe. Le National est un immense bâtiment érigé en 1873 alors que Montreux commençait à s’imposer comme une destination de villégiature. Architecturalement, rien de glorieux ; un style « renaissance-rococo » dans l’air du temps. Mais, avec le temps, un site historique dans lequel on aurait bien vu évoluer les héros de Hermann Hesse ou de Thomas Mann.

Montreux a brillé jusqu’au début du XXème siècle. Les deux guerres mondiales lui ont été fatales. Gstaad, Verbier… lui ont été préférées ; les rives du lac n’étaient plus « tendances ». A la fin des années 1960, Claude Nobs en fait une destination internationale pour tous les « jazzeux » de la planète. C’est le temps des grands festivals, de la « contestation » mondiale, des rassemblements de la jeunesse. Montreux, pourtant authentiquement bourgeoise et totalement ringarde, se retrouve « dans le vent ».

Le National, quant à lui, dépassé depuis longtemps malgré d’incessants travaux « d’aménagement », a été fermé en 1983. Ses seuls acquis : la vue sur les Alpes et le lac. Carroz l’a acquis en 2005 pour en faire un complexe immobilier de luxe : 77 logements ; 12 locaux commerciaux. Coût de l’opération : 103 millions de francs suisses ! « Je ne reste pas dans une société dès lors que l’opération est terminée ». Le National est une affaire bouclée depuis 2010.

Carroz va porter son regard vers d’autres horizons ; lointains cette fois. Ce n’est plus la Suisse mais l’île de la Dominique (dont la capitale est Roseau ; elle est située entre Martinique et Guadeloupe) : 70.000 habitants seulement ! Ce sera le complexe touristique de Mero Beach. 200 millions de francs suisses cette fois. Et la rencontre avec l’architecte Manuelle Gautrand (cf. LDD Burkina Faso 0286/Lundi 12 décembre 2011). Un chantier de 36 mois au moins. Pour Gautrand, c’est une première puisque ce sont là des maisons individuelles. « Pour la vingtaine de bâtiments de ce ressort de luxe, a écrit Catherine Deydier dans Propriétés de France (mars-avril 2011), elle a conçu six modèles de villas différents, dans un esprit contemporain autour du thème de l’eau. Les accès à la mer et les piscines privatives déterminent le style des maisons, également conçues dans une optique écologique ». Carroz-Gautrand. La boucle et bouclée et nous revoilà à… Ouaga.

Penchons-nous, à nouveau, sur le projet Tena Tower Complex à Ouaga 2000. Si les projets de Carroz, jusqu’à présent, s’inscrivent dans une logique « industrielle », on peut s’étonner de retrouver le promoteur immobilier suisse du côté de Ouaga 2000. C’est, dit-on, que « le cœur à des raisons… ». Fort belle raison d’ailleurs : Marata Tapsoba. Une « executive woman » façon panthère noire. Manifestement, une personne qui maîtrise le terrain et qui a des relations. Comment dit-on en langue mooré ? « Tengun-bilum » ?

Sa carte de visite présente Marata Carroz Tapsoba comme « owner » de Realtacama FZE avec une adresse à Sharjah, aux Emirats arabes unis, une autre à Roseau, dans l’île de la Dominique. Savoir-faire et faire savoir. Avec ce qu’il faut d’orgueilleuse humilité quand on est née en terre sahélienne ! Le Tena Tower Complex, c’est son truc. Elle en parle avec enthousiasme, passion, détermination ; balaie d’un mot, d’un sourire, d’un regard parfois, tout soupçon de suspicion. Quand la machine MCT est en marche, rien ne semble pouvoir l’arrêter. C’est « Miss Caterpillar ». Sa « tower » doit, pour reprendre les mots de Frank Lloyd Wright, être « la bannière du succès » du Burkina Faso.

Wright évoquait le « succès commercial américain » ; MCT pense, elle, sans doute, aux succès diplomatiques burkinabè. Elle ne supporte pas la vision que l’on peut avoir, ailleurs, de la femme africaine ; elle a entrepris d’en promouvoir le côté « sûre d’elle-même et dominatrice ». Tenakourou lui tient à cœur. Parce que c’est un « sommet », le « pic » du Burkina Faso (747 mètres) ; et que son ambition est, justement, que les Burkinabè atteignent des sommets.

Le 14 décembre 2007, elle avait déjà créé la Fondation Tenakourou International School (TIS) ; un projet d’école bilingue pour tirer les gosses vers le haut (avec la ministre Odile Bonkoungou dans le conseil d’administration). Elle n’était pas encore Carroz alors mais Piemontoy. C’est, ensuite, que les ambitions de l’un vont se trouver en adéquation avec les ambitions de l’autre. Le couple Carroz-Tapsoba est du genre : « Si c’est possible faites-le. Si c’est impossible, alors nous allons le faire ».

Le Burkina Faso n’est pas un désert architectural, mais il faut bien reconnaître qu’il n’y a pas de quoi s’enthousiasmer quand on « visite » la capitale. Il est vrai qu’il n’y avait que 60.000 habitants au moment de l’indépendance et qu’on en compterait près de 2 millions actuellement (le projet de Grand Ouaga rassemblera plus de 4,5 millions de Ouagalais en 2015 !) ; autrement dit, l’urbanisation, si tant est qu’il y ait eu une démarche en la matière, a été, de tout temps, dépassée par la croissance de la population.

Ouaga 2000 avait vocation à changer la donne. On ne peut pas dire vraiment que, jusqu’à présent, ce soit une réussite. Kosyam - la présidence de la République - les ambassades, les ministères en cours de construction, l’hôtel Laico et le « centre commercial » El Fateh Center, le centre des conférences, le Palais des sports, le Monument des Martyrs… autant de bâtiments « posés là » mais qui ne semblent, jamais, être conçus comme des « lieux de vie ». Les immenses résidences privées ne sont, souvent, que des conglomérats d’habitations aux allures de forteresse, autant de « Bastilles » derrière lesquelles on se demande quels « secrets » leurs propriétaires veulent cacher à la population comme si l’opulence des uns n’était pas, toujours, une injure à la pauvreté des autres. Pas besoin qu’elle soit ostentatoire pour cela. Ouaga 2000 n’est pas une ville ouverte ; c’est une « ville-classe » qui défend ses privilèges.

Je ne suis pas certain que le Tena Tower Complex, s’il voit le jour, changera la physionomie de Ouaga 2000. On me rétorquera que cela n’a aucune importance puisque c’est, d’emblée, un projet pour les « en haut d’en haut » et que 99,99 % des Ouagalais continueront à « ramer » dans les quartiers et à mettre des heures pour aller d’un endroit à l’autre (Ouaga c’est, dit-on, en superficie, 1,3 fois Abidjan et 6,5 fois Cotonou !).

On peut espérer, cependant, que des Ouagalais s’empareront de ce projet - y compris à l’état de projet - pour poser le problème de ce que doit être la ville demain et son architecture. Il serait bon d’ailleurs que Manuelle Gautrand soit invitée à Ouaga pour parler de sa vision de spécialiste de « l’urbain ». Je suis certain que cela passionnerait nombre de jeunes et de professionnels du secteur. Je ne doute pas que les Carroz Tapsoba ne soient ouverts à une telle proposition. Enfin, je l’espère !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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