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Pr Gnissa Isaïe Konaté, ministre de la Recherche scientifique et de l’innovation : « Nous avons compris que la création de ce ministère correspondait à une vision du développement »

Publié le vendredi 21 octobre 2011 à 02h26min

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Le 16 janvier 2011, le ministère de la Recherche scientifique et de l’innovation a été porté sur les fonts baptismaux. Ainsi donc, la recherche au Burkina Faso venait d’être dotée d’un département ministériel et non greffée à l’ex-ministère des Enseignements secondaire et supérieur. L’opportunité et la pertinence de cette réorientation gouvernementale avaient fait couler beaucoup d’encre et de salive. Dix mois après son « enfantement », nous avons échangé avec le premier responsable de ce nouveau département, le Pr Gnissa Isaïe Konaté. Il présente les grands chantiers de son ministère, établit le lien entre la recherche et le développement. Mais avant, il témoigne de la justesse de la vision ayant abouti à la naissance du MRSI.

Gnissa Isaïe Konaté (G.I.K) : Nous avons compris que la création de ce ministère correspondait à une vision du développement. Si vous avez remarqué, tous les pays qui ont émergé ces 50 dernières années, se sont appuyés sur la recherche scientifique et technologique, ainsi que sur l’innovation. Ces pays sont passés du statut de receveur à celui de donneur. On peut citer quelques cas comme l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde, la Chine, la Corée du Sud. A l’indépendance en effet, un pays comme le Ghana était au même niveau de développement que la Corée du Sud. C’est en s’inspirant de cette vérité universelle que les plus hautes autorités de ce pays ont estimé que si nous voulons que le programme du chef de l’Etat, « Bâtir, ensemble, un Burkina émergent », ainsi que la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD) arrivent à placer le Burkina sur la voie de l’émergence, qu’il y ait un département qui se consacre exclusivement à la recherche scientifique et technologique et à l’innovation.

Cela se voit d’ailleurs, à travers les missions qu’on nous a confiées. Les autorités s’attendent à ce que la recherche scientifique et l’innovation contribuent à la transformation qualitative de nos systèmes productifs. Il ne s’agit pas seulement du domaine agricole. Il y a d’autres secteurs comme l’énergie, les mines, etc., tous aussi importants que la recherche peut transformer qualitativement, en y apportant de nouvelles technologies et de l’innovation. Ainsi, se décline notre mission principale. Pour mener à bien cette mission, il faut remplir un ensemble de conditions.

Sidwaya (S) : Quels sont ces préalables à l’accomplissement de votre mission ?

G.I.K : Une des premières questions, c’est qu’il faut avoir une politique de la recherche scientifique et de l’innovation, assortie de plans stratégiques et opérationnels de mise en œuvre. Cette étape conceptuelle est nécessaire, pour ne pas tirer dans tous les sens, faute d’avoir identifié clairement les priorités. Pour le moment, il n’existe pas encore de politique nationale en matière de recherche scientifique. Il y a seulement eu en 1995, un plan stratégique de la recherche scientifique et technologique. La deuxième question importante est que pour mettre la politique en œuvre, il faut disposer d’un cadre institutionnel adéquat. Le ministère doit s’organiser de façon à ce que les structures et les organes à mettre en place soient au service des missions à lui confiées. Un autre défi important est la mobilisation de ressources financières adéquates pour permettre la mise en œuvre de ces plans stratégiques et opérationnels. La recherche scientifique coûte cher.

Comme vous le savez, la recherche et l’innovation se font dans le monde entier. Et on peut réaliser des économies d’échelle et de temps, lorsqu’on établit une bonne coopération avec les autres pays qui font de la recherche. Conséquemment, nous avons aussi pour mission de développer une coopération large avec les autres pays dans le domaine de la recherche scientifique et de l’innovation. Les différentes tâches énumérées doivent nous permettre d’obtenir des résultats. Mais si les résultats et les innovations ne sont pas appliqués, ils ne produiront pas les effets escomptés. C’est pourquoi, notre département a, par ailleurs, la responsabilité d’ouvrir la recherche au monde des entreprises.

S : C’est-à-dire ?

G.I.K : Nous travaillons par exemple, sur l’agro-alimentaire, notamment la transformation des produits agricoles. Il est judicieux de le faire avec les PME, les PMI ou les grosses industries qui exercent dans ce domaine. Ces industries peuvent nous aider à orienter le produit de la recherche vers les consommations des populations burkinabè, voire d’ailleurs, en ce sens qu’elles connaissent mieux les besoins du marché.
Vous savez qu’il y a des thématiques émergentes comme les changements climatiques, la biotechnologie. Notre rôle est également de renforcer les recherches sur ces thématiques, afin d’éclairer, non seulement les décideurs, mais aussi les producteurs. Aujourd’hui, pour peu qu’il y ait des inondations ou une sécheresse, les changements climatiques sont pointés du doigt. Il importe d’avoir des bases scientifiques à ces affirmations.

S : Qu’avez-vous pu faire concrètement depuis votre installation ?

G.I.K : Nous avons commencé avec quelques difficultés. Quand vous êtes créé en janvier, cela veut dire que le budget de l’Etat a déjà été réparti. Donc, vous ne disposez pas de budget en tant que tel. Cela a été un handicap important pour nous. Nous avons néanmoins fait des réalisations avec quelque peine. Pour l’élaboration de la politique de la recherche scientifique et de l’innovation, nous avons pris la résolution, dès le mois de février, de faire un état des lieux. N’ayant pas de budget, nous avons approché des partenaires. Nous avons élaboré les termes de référence d’une étude globale qui consiste à faire l’état des lieux des résultats de la recherche et des innovations au Burkina, aussi bien au niveau des institutions publiques que du privé.

Il est question de voir dans l’existant, les technologies et innovations qui sont réellement utilisées. Nous allons également identifier les demandes de technologies et d’innovations, c’est-à-dire approcher les utilisateurs, que ce soit dans l’agriculture, l’agro-industrie, le bâtiment et les travaux publics, en vue de recueillir leurs besoins. Avec ces données, nous pourrions repérer les secteurs prioritaires et construire notre politique autour de ceux-ci.

A ce sujet, nous avons pu identifier une dizaine de domaines dans lesquels nous allons travailler : agriculture, agro-alimentaire, agroforesterie, élevage, productions végétales et variétés améliorées, le milieu de culture, la santé, les matériaux de construction, l’énergie, les substances naturelles, les sciences sociales et humaines. Pour certains de ces domaines, nous avons déjà obtenu les financements et incessamment, les études vont démarrer. La politique inclut un aspect qu’on omet souvent, c’est la valorisation des résultats. Ça ne sert à rien de développer des technologies ou des innovations, si celles-ci ne sont pas valorisées. Nous aurons également à élaborer une stratégie nationale de valorisation des résultats de la recherche. Nous avons réalisé des avancées à ce niveau aussi.

En ce qui concerne la création d’un cadre institutionnel adapté, nous avons mis en place la plupart des organes du ministère. La majorité des postes ont été pourvus. Nous estimons que dans cet exercice, il sied de tenir compte de l’existant. Le CNRST est l’une des plus vieilles institutions du Burkina. Il faut faire un audit de cette structure pour voir ce qui reste à améliorer et procéder à une refondation, en vue de l’inscrire dans le cadre institutionnel global intégré pour la recherche. Pour cet autre projet, nous sommes assez bien avancé. Nous avons déjà élaboré les termes de référence de l’audit et acquis le financement. Un premier avis appel d’offres a été lancé et s’est révélé infructueux. Nous sommes en train de réfléchir avec le ministère en charge des Finances, en vue de trouver une formule plus souple. C’est un domaine spécifique et les bureaux d’étude ayant les compétences requises pour un tel audit, ne courent pas les rues.

S : La recherche nécessite d’importants investissements financiers dont les fruits s’inscrivent le plus souvent, sur le long terme. Disposez-vous des moyens de votre politique ?

G. I. K : Dans la mobilisation des ressources, nous avons demandé et obtenu du gouvernement, la création d’un fonds spécifique destiné à la recherche que nous avons appelé « Fonds national de la recherche scientifique et de l’innovation pour le développement (FONRID) ». Le gouvernement a affirmé sa volonté de faire de la recherche un outil de développement, en mettant de l’argent dans ledit fonds. L’objectif est de réussir à financer de façon sécurisée et pérenne les activités de recherche et d’innovation. L’ennemi essentiel de la recherche, ce sont les ruptures de financement. Et lorsqu’on s’arrête en matière de recherche, on recule, on perd le bénéfice de tout ce qu’on a pu engranger.

Du point de vue de la coopération scientifique également, nous avons engagé des actions. Il va se tenir à Niamey, les 24 et 25 octobre prochains, une conférence internationale tripartite Brésil-Afrique-France sur les questions de désertification et le développement durable. Nous avons également établi des collaborations avec d’autres pays. A ce titre, du 7 au 11 novembre, une délégation burkinabè se rendra en Corée du Sud, un exemple de pays qui s’est développé, grâce à la recherche scientifique et technologique et à l’innovation. Nous irons nous inspirer de leur expérience et l’adapter à nos conditions. L’innovation a une connotation hautement culturelle. Quelque chose qui peut être considérée comme une innovation au Burkina peut passer inaperçue ailleurs. Ce que nous allons voir chez les autres, nous n’allons le pas copier systématiquement, mais essayer de l’adapter à notre contexte socioculturel.

Par rapport aux thématiques émergentes, nous sommes aussi à l’œuvre. C’est le cas de la biotechnologie. Nous sommes en train de travailler sérieusement sur la problématique de la biosécurité. Nous avons une loi sur la biosécurité qui date de 2006. Nous l’avons relue pour en tirer une nouvelle loi qui est actuellement l’objet de finalisation avant d’être soumise à l’Assemblée nationale. Nous avons également un projet de construction d’un laboratoire de biosécurité. Ce laboratoire aura une envergure régionale. Les démarches pour la construction de ce laboratoire sont avancées. Nous avons prévu de faire la pose de la première pierre avant la fin de cette année 2011. Nous pensons être sur la bonne trajectoire avec une équipe très motivée, bien consciente du défi que les pouvoirs publics nous ont posé. C’est ce que les chercheurs veulent, avoir des orientations claires et des moyens pour travailler.

S : La recherche implique aussi la disponibilité de ressources humaines au diapason des technologies. Existe-t-il une politique en matière de formation initiale et continue des chercheurs burkinabè ?

G.I.K : Une de nos missions est d’assurer le recrutement et la formation continue de jeunes chercheurs. Je pense que c’est ce que le CNRST sait faire le mieux. On fait énormément de formations de courte et de moyenne durée, et aussi des formations doctorales. Sur la scène internationale, les partenaires offrent des possibilités de formation. Il faut en profiter. Quelques fois, il suffit d’aller sur des sites internet pour saisir les opportunités de bourses. Nous venons de recevoir une longue liste de bourses offertes par plusieurs pays. Nous allons imputer cette liste aux instituts de recherche. Il y a également des formations dans le cadre des projets de recherche. Jusqu’aujourd’hui, notre recherche est financée sur la base de projets. Cela a des avantages et des inconvénients. Les chercheurs travaillent régulièrement, mais pas toujours dans les domaines prioritaires du pays et la durée ne dépend pas de nous. Des instituts comme l’INERA ou l’IRSS disposent de près de la moitié du budget total du CNRST, estimé à 6 milliards. Les financements de la recherche se font sur fond de compétitions. Donc, il faut avoir un bon projet, de bonnes ressources humaines et un background. Les chercheurs du CNRST parviennent à obtenir des financements.

S : Votre département est transversal, parce que les recherches se font sur plusieurs domaines. Comment intériorisez-vous cette réalité dans vos pratiques de tous les jours ?

G.I.K : C’est une question fondamentale. Nous travaillons à intégrer d’autres départements ministériels dans nos projets de recherche. La société ouest-africaine de chimie, nous a associé à l’organisation d’un atelier régional sur les matériaux de construction à Bobo-Dioulasso, en fin octobre-début novembre,. Les ministères en charge de l’habitat, et du commerce, seront associés. A l’issue de cet atelier, nous allons mettre en place un programme national de recherche et d’innovation sur les matériaux de construction. Notre démarche va toujours s’inscrire dans cette logique de coopération. Nous ne pouvons pas travailler en vase clos. Nous devons travailler avec les autres ministères, l’enseignement, la santé, etc.

Récemment, nous avons participé à une rencontre avec le ministère de l’Environnement et du développement durable sur le « moringa », une plante appelée « arsantiga » en langue nationale mooré. Il s’agit d’une plante-miracle dont les vertus sont nombreuses. C’est un complément alimentaire, car ses feuilles sont plus riches en sels minéraux, en protéines et en vitamines que la spiruline ou la plupart des légumes que nous consommons. Ses graines contiennent une huile dont la qualité est supérieure à la plupart des huiles végétales. De plus, cette plante est plus facile à produire que la spiruline. Le ministère en charge de l’environnement a un projet de plantation du « moringa ». En plus des propriétés alimentaires et nutritionnelles, les graines de moringa contiennent une protéine floculante qui a la propriété de décanter l’eau trouble et qui peut remplacer les substances chimiques utilisées par les compagnies d’eau. Nous allons approcher l’ONEA pour élaborer un programme intégré dans le sens de l’utilisation de cette graine pour la décantation des eaux.

Ce sont les actions intégrées qui nous manquent le plus. Chacun travaille de son côté avec pour ambition de développer le pays. La réalité est qu’aucun département ministériel ne peut tout seul développer le pays. Mettons-nous ensemble. Si nous n’arrivons pas à mener des actions intégrées, nous n’aurons pas d’impact. C’est pour cela nous avons prévu d’associer tous les départements ministériels à l’élaboration de notre politique nationale. C’est à ce prix que notre politique pourra répondre aux priorités du développement au Burkina Faso.

S : Vous étiez à U-Pharma, l’une de vos structures de recherche, le vendredi 7 octobre 2011. Que retenez-vous de cette visite ?

G.I.K : Quand on dirige un département ministériel, il ne faut jamais couper le contact avec la base. Il faut écouter les doléances, même si on ne peut pas les satisfaire toutes et aussi encourager les agents. Montrer aux gens que ce qu’ils font est important pour le pays. La deuxième raison, c’était pour faire passer une autre façon de voir la recherche pour le développement au niveau des chercheurs. Nous avons visité une unité extraordinaire. On ne peut pas continuer à garder cette unité dans l’ombre. Il faut qu’elle contribue à l’approvisionnement des populations en médicaments. Tout ce qui est médicament générique en comprimé, en gélule ou en sirop (le paracétamol, la chloroquine, etc.) peut être produit à U-Pharma. La structure dispose par exemple, d’un appareil capable de produire, en 10 heures de fonctionnement, 22 millions de comprimés par jour, pour ce qui est des médicaments de synthèse. Il y a à côté, les phyto-médicaments.

70% de Burkinabè ont encore recours à la pharmacopée traditionnelle pour se soigner, dans des conditions pas toujours sécurisantes, en termes de dose, de durée de traitement, etc. Or à U-Pharma, il existe une chaîne qui permet de partir des feuilles ou des racines de plantes récoltées pour sortir des comprimés ou des gélules. C’est le cas du « Faca », efficace dans la prise en charge de la drépanocytose dont la commercialisation est autorisée par le ministère de la Santé. Nous sommes en train de réfléchir à la production de ce médicament, sous la forme de sirop.

Interview réalisée par Koumia Alassane KARAMA
(karamalass@yahoo.fr)

Sidwaya

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