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Chronique de la fondation « houphouëtiste » de la République de Côte d’Ivoire (4/5)

Publié le vendredi 12 août 2011 à 14h10min

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A quelques encablures des « indépendances », pour Félix Houphouët-Boigny, président du mouvement « panAOF » : le RDA, pas de doute : « Il s’agit de faire évoluer la France et les territoires d’outre-mer vers un Etat fédéral, un gouvernement fédéral et les gouvernements autonomes…, la solidarité économique devant être étroitement associée à la politique de l’ensemble franco-africain ». Mais la volonté d’union formulée par le président du RDA s’était heurtée, rapidement, aux réalités politiques françaises et africaines.

En février-mars 1958, le RDA prendra l’initiative de regrouper un certain nombre de partis africains pour définir un programme minimum en trois points : statut d’autonomie interne totale (assemblée et gouvernement) pour les territoires ; solidarité des territoires ; république fédérale avec la France sur la base d’une libre coopération, de l’égalité absolue du droit à l’indépendance. La République fédérale aurait eu en charge la diplomatie, la défense, la monnaie, l’enseignement supérieur et la magistrature.

Mais le Charles De Gaulle allait accéder au pouvoir à la suite de la « crise algérienne » et l’élaboration d’une nouvelle constitution remettait les compteurs à zéro. D’autant plus que bien des territoires voyaient poindre à l’horizon la perspective, rapprochée, d’une indépendance qui allait donner des velléités de jouer cavalier seul à certains leaders africains. Ministre d’Etat du général De Gaulle, Houphouët-Boigny avait été appelé à participer aux travaux du comité constitutionnel qui avait en charge d’élaborer la Constitution de la future Vème République. Dans cette perspective, les parlementaires africains de toutes tendances politiques allaient se réunir à Paris, salle Colbert, afin de formuler, globalement, leurs revendications et leurs espérances. Objectifs : élargissement de la loi-cadre de 1956 (dite « Loi Defferre ») et autonomie des pouvoirs locaux. Le projet de texte constitutionnel établissait notamment que les dispositions concernant les liens de la Communauté franco-africaine seraient révisées tous les cinq ans. C’était une disposition à laquelle s’opposera le leader du RDA, estimant que cette procédure allait engendrer l’instabilité et exprimer une absence de confiance dans les institutions.

En fait, d’ores et déjà, le projet de communauté est mort-né, le rêve d’union de Houphouët-Boigny va s’évanouir. Sans qu’il puisse mener un dernier combat. Il était stipulé dans la Constitution de 1958 que les territoires d’outre-mer disposaient d’un délai de quatre mois pour adhérer à la Communauté groupés ou isolément. « D’octobre à décembre, rappellera Gabriel Lisette (cf. LDD Côte d’Ivoire 0337/Mardi 9 août 2011), en Afrique occidentale comme en Afrique équatoriale, ils optent successivement pour le statut d’Etat et adhèrent individuellement à la Communauté qui comporte dès lors douze membres en plus de la République française ». Houphouët-Boigny lancera dès lors l’idée de « l’Entente », conseil au sein duquel les Etats membres de la Communauté organiseraient la coopération et la solidarité entre les anciens territoires de l’AOF sans création d’institutions souveraines. Sa proposition allait faire éclater le projet de constitution du Mali qui prévoyait, initialement, de regrouper le Sénégal, le Soudan français (actuel Mali), la Haute-Volta (Burkina Faso) et le Dahomey (Bénin). Ces deux derniers pays décideront alors de rejoindre l’Entente qui rassemblait déjà le Niger et la Côte d’Ivoire.

Faible satisfaction pour Houphouët-Boigny. D’autant plus qu’au référendum du 28 septembre 1958 la Guinée de Ahmed Sékou Touré aura répondu « non », accédant ainsi, aussitôt, à l’indépendance. Un indépendance qui n’était pas, alors, ouvertement revendiquée par les leaders des partis africains ayant pignon sur rue à Paris. Plus tard, Houphouët-Boigny racontera comment, lors des discussions du projet de texte constitutionnel, De Gaulle s’était exclamé : « Pourquoi ne pas aller jusqu’à prévoir l’indépendance comme une alternative possible pour tous les territoires de la Communauté dans le projet de Constitution, l’indépendance à prendre à tout moment par un vote positif des assemblées de ces territoires de la Communauté ? ».

Dès 1958, Conakry avait franchi le pas. Les autres capitales suivront deux ans plus tard obligeant à réviser, le 4 juin 1960, la Constitution qui établissait l’incompatibilité entre la qualité d’Etat indépendant et d’Etat membre de la Communauté. Exit l’union. Quelques mois plus tôt, à Abidjan (3-5 juin 1959), lors du congrès extraordinaire du RDA, Houphouët-Boigny, premier ministre de la Côte d’Ivoire, aura dressé un bilan pour l’avenir. Dans ce texte, essentiel, il évoquait les limites qu’il entendait fixer à son action. « Ce qui compte, c’est la réalité de la liberté, c’est la réalité de l’indépendance. Bien sûr, sur le plan idéologique ou psychologique - pourquoi ne pas l’avouer honnêtement ? - notre conception peut paraître faible […]. Nous pensons réaliser l’unité véritable dans le cadre d’un grand ensemble politique et économique et par la réconciliation, l’amitié, la fraternité et par une saine appréciation des véritables intérêts des masses africaines […]. On peut s’affranchir de la tutelle de tel ou tel colonisateur. Mais, à moins d’installer tout de suite le communisme international en Afrique - un maître dont on ne se débarrasserait que très difficilement -, on est obligé, pour procurer un niveau de vie décent aux masses africaines, de s’adresser à des capitalistes étrangers qui imposeront leur loi.

« Nous ne voyons, quant à nous, aucune nécessité, ni aucun profit pour les masses qui nous font confiance à leur imposer le poids inutile d’une armée coûteuse et d’une diplomatie ruineuse, incompétente et squelettique, comme nous le voyons dans certains pays qui ont acquis, il y a quelques années, leur indépendance nominale [Houphouët-Boigny évoque, bien sûr, le Ghana et la Guinée, ses deux « bêtes noires »]… Dans ce domaine comme en tout autre, la façon de donner vaut mieux que ce que l’on donne. Ce que nos Etats souhaitent, pour l’avenir - et il est essentiel que la République française le sache pour mieux mener son action -, c’est une organisation rationnelle de la solidarité économique et financière leur permettant de féconder les immenses richesses qu’ils recèlent et, ainsi, d’enrichir le patrimoine commun dont dépendra, en définitive, le bonheur des hommes ». L’Histoire, qui ne peut bien juger que dans le long terme, quand elle aura comparé les évolutions des uns et des autres, dira si Houphouët-Boigny a eu raison ou tort de suivre la voie qu’il s’était fixée à la fin des années quarante ; mais d’ores et déjà, il apparaît, à la fin des années 1950, que c’était un « cul de sac ».

La constance dans une démarche pragmatique - que d’autres qualifieront d’opportuniste - paraît caractériser la pensée de Houphouët-Boigny. Le général De Gaulle disait de lui qu’il était « un cerveau politique de premier ordre, de plain-pied avec toutes les questions ». Le 7 août 1960, la Côte d’Ivoire devenait indépendante. Houphouët-Boigny ne l’avait pas voulue sous cette forme ; sans pouvoir, non plus, la refuser. Ce jour-là, dans son « discours d’indépendance », il s’était battu une fois encore pour la cause unitaire… franco-africaine : « Trop de problèmes nous sont, en effet, communs, pour que nous ne tentions pas de les résoudre en frères. Ne visons pas des buts irréalisables, du moins dans un délai rapproché. Certes, dans la vie des peuples, il faut sans cesse considérer l’avenir, même le plus lointain. L’Afrique est le pays des rêves, dit-on. Mais en Afrique l’action talonne le rêve. Nos populations demandent des satisfactions immédiates. Or, de quoi avons-nous besoin dans l’immédiat, notre dignité satisfaite dans l’acquisition de notre indépendance ? C’est d’élever le niveau de vie des populations qui veulent, à bon droit, se sentir les égales des populations les mieux pourvues et les plus évoluées ».

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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