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Politique nationale : Luc Marius Ibriga distille ses vérités

Publié le jeudi 4 mars 2010 à 01h53min

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Luc Marius Ibriga

De la levée de suspension de Salif Diallo des instances du Congrès pour la démocratie et le progrès au débat sur une nouvelle révision ou non de l’article 37 de la Constitution sur la limitation des mandats présidentiels, en passant par la création, par Zéphirin Diabré, de l’Union pour le progrès et le changement, le professeur de droit public Luc Marius Ibriga, enseignant-chercheur à l’Université de Ouagadougou, donne son point de vue. Il évoque aussi, avec notre reporter, la situation au Niger, où les militaires ont renversé, le 18 février dernier, le président Mamadou Tandja…

Fasozine.com : Le Bureau politique national du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) vient de lever la suspension de Salif Diallo des instances du parti. Quelle lecture faites-vous de cette décision ?

Luc Marius Ibriga : C’était une tempête dans un verre d’eau ! Compte tenu des positionnements de Salif Diallo et de ses relations avec le chef de l’Etat, cela ressemblait à une simple formalité. Il n’y avait donc pas besoin de faire autant de foin pour revenir à la levée de la suspension, en nous disant simplement qu’il a fait son autocritique, alors que les points sur lesquels il était intervenu semblaient déranger fortement le parti. Quand on lit le communiqué, c’est la procédure qui est plus mise en avant, plutôt que le fond. Alors qu’on aurait aimé savoir si Salif Diallo avait écrit, noir sur blanc, qu’il reniait ce qu’il a dit concernant la patrimonialisation du pouvoir, la nécessité d’une refondation du système politique burkinabè. Mais on dit simplement qu’il a fait son autocritique pour le fait seulement qu’il n’a pas respecté la procédure disciplinaire au sein du parti. C’est une question de forme plutôt que de fond. En cela, je ne sais pas si l’individu remet en cause son point de vue. Auquel cas, il ne serait pas un homme de parole.

Quel peut être l’impact d’une telle décision sur les enjeux politiques au Burkina Faso ?

Je ne vois pas d’impact sur les enjeux politiques du Burkina Faso dans la mesure où, même si cette décision est prise à Kosyam plutôt que sur l’Avenue Kwame Nkrumah (où se trouve le siège du CDP, NDLR), le fait est là, qu’il n’y a pas de dimension politique des hommes politiques. Des questions aussi fondamentales auraient pu être réglées à l’interne plutôt que d’être portées sur la place publique, de façon à dire que c’est la fin de Salif Diallo qui, aujourd’hui, revient par la grande porte. Certains, qui ont bandé les muscles à un moment donné, doivent avoir aujourd’hui la queue entre les jambes, puisque M. Diallo revient dans le parti. Et il est désolant d’entendre que les militants de Ouahigouya sont contents de cela alors qu’ils n’ont manifesté aucun soutien à l’individu au moment où il était dans la traversée du désert. Cela montre bien le clientélisme et le servilisme de certaines classes politiques. C’est désolant pour notre pays parce que qu’il n’y a pas de débat de fond, mais des questions de positionnement, qui ne résolvent pas le problème.

Mais doit-on s’attendre à ce que les règles du jeu politique soient revues avec le retour de Salif Diallo ?

Non. Salif Diallo rentre dans les rangs. Peut-être qu’il s’est rendu compte qu’il ne serait rien en dehors du CDP… Mais je trouve qu’il maintient ce qu’il avait dit.

Le président Afrique - Moyen-Orient d’Areva, Zéphirin Diabré, vient de créer l’Union pour le progrès et le changement (UPC). Quelle valeur ajoutée peut apporter ce parti à la vie politique au Burkina ?

La naissance d’un parti politique est toujours quelque chose à saluer, en ce sens que cela suppose l’engagement d’hommes et de femmes à vouloir influer sur le destin de leur pays. En ce qui concerne le Burkina Faso, un parti qui naît doit pouvoir inscrire le rassemblement des forces politiques dans ses objectifs. Aujourd’hui, Zéphirin Diabré peut constituer un pôle de rassemblement d’une certaine frange de l’opposition politique, afin de former une alternative crédible. Je ne vois pas l’UPC comme un parti de plus. Sinon, ce serait une déception. L’UPC devrait avoir comme objectif le rassemblement, la construction d’une opposition crédible. Les uns et les autres ont pensé que le forum des citoyens sur l’alternance, qui s’est tenu du 1er au 3 mars 2009, était une façon pour lui d’entrer en politique.

Pensez-vous que Zéphirin Diabré a raison de monter dans l’arène ?

M. Diabré était déjà un homme politique. Il a été député, ministre, etc. C’est un homme qui aime faire la politique. M. Diabré a pensé, à un moment donné, rassembler des citoyens démocrates pour réfléchir sur l’avenir du pays. Et ce sont ces citoyens, dont certains provenaient de partis politiques de toutes les obédiences, qui ont demandé, lors du forum, qui ont demandé que l’initiative soit pérennisée. De ce forum, les conclusions faisaient état de la nécessité d’une citoyenneté consciente, active. Et il faut qu’on travaille à cela. Mais pour ceux qui veulent gérer le pouvoir, ils ont aussi un chemin à emprunter.

Les organisations ont pour mission de rassembler le maximum de citoyens qui pensent qu’on doit travailler à ce que la démocratie s’ancre au Burkina par le renouvellement de la classe politique plutôt que d’aller dans un système de sclérose, qui va nous conduire tout droit à une situation de bouleversement violent.

Vous dirigez, depuis sa création en 2009, le Forum des citoyennes et citoyens de l’Alternance (Focal). Est-ce une machine mise en place pour soutenir M. Diabré dans sa quête du pouvoir d’Etat ?

Non. Le Focal n’est pas une machine mise en place pour soutenir M. Diabré. C’est d’ailleurs ce qui a conduit à faire la césure. Le forum a rassemblé des citoyens burkinabè. Il y en a qui, dans leur actions, ont envie de travailler à sensibiliser le peuple à une citoyenneté active et clairvoyante. Voilà pourquoi ceux qui veulent conquérir le pouvoir d’Etat doivent le faire selon un axe clair.

Quelles seront, en ce moment, les relations de ce Forum avec l’UPC ?

Il n’y a pas de relations entre les deux. Le Focal est une organisation de masse, de la société civile, qui va travailler à sensibiliser la population sur la nécessité de l’alternance. Pour ce faire, il s’adresse à tous ceux qui considèrent que la démocratie burkinabè, pour s’approfondir, a besoin de l’alternance. Et pour qu’elle puisse arriver, il faut que les citoyens soient conscients pour vouloir essayer avec d’autres personnes. Le travail de Focal s’arrête là.

Peut-on dire que l’article 37 est antidémocratique ?

Ceux qui avancent cet argument ont la mémoire courte. En 1997, les mêmes ont usé de cet argument du caractère non démocratique de l’article 37 pour lever la limitation du nombre des mandats. Pourquoi revenir sur cet article après les évènements de 1998, si on était sûr qu’il était antidémocratique ? Cet argument ne tient pas. En démocratie, la liberté a toujours une limitation. Pour preuve, si on prend ce cas, est-ce à dire que parce qu’un parti a la majorité, il peut tout faire ? Non. La liberté est toujours limitée. Même les droits des citoyens reconnus par la Constitution sont toujours limités. On devrait donc dire que c’est antidémocratique de sanctionner ceux qui troublent l’ordre public et accepter qu’en démocratie les gens doivent s’exprimer comme ils veulent.

Pour les élections, il est mis dans la Constitution que tous les Burkinabè sont en droit de voter. Mais la loi fixe un âge et des conditions pour pouvoir voter et pour être éligible. On dirait donc que ces dispositions de la loi sont antidémocratiques. Pour être président du Faso, il faut avoir au moins 40 ans et disposer d’une caution. Disons que cela est aussi antidémocratique. C’est un argument spécieux, qui ne marche pas parce que la démocratie n’est pas le fait de tout faire. Pourquoi on ne revendique pas ce caractère démocratique dans d’autres domaines ? On en est même venu à corser les conditions pour se présenter aux élections. Pourquoi ne pas laisser à qui le veut, le droit de se présenter aux élections ? Dans cette affaire, les gens doivent avoir le sens de la parole donnée. On ne doit pas instrumentaliser la Constitution pour servir les intérêts d’un groupe. La limitation du nombre des mandats présidentiels et la réduction de sa durée sont des preuves claires que les populations ne veulent pas d’un pouvoir continu au Burkina Faso.

D’ailleurs, si on prend l’histoire des Constitutions burkinabè, toutes avaient prévu la limitation du nombre des mandats, sauf celle de la Iere République. On ne va pas me dire que ces Républiques n’étaient pas démocratiques ! Mais cela est dû au fait que notre société soit bâtie sur une base duale. Il y a une excroissance dite moderne, dans laquelle se trouve la construction démocratique, et il y a un tréfonds traditionnel, fondé sur des règles féodales. Or, en démocratie, le pouvoir est fondé sur la compétence et le renouvellement de la légitimité par l’élection, alors que le pouvoir traditionnel est fondé sur la naissance. Une fois que vous l’avez, c’est la mort qui vous en sépare. C’est ainsi que les hommes politiques jouent sur les deux modes.

Pour l’appropriation des valeurs de la démocratie, il faut nécessairement l’alternance. Il faut un renouvellement de la classe pour que les gens sachent que personne n’est né pour gouverner. L’article 37 est un objet de fixation pour le Burkina. Et il n’est pas normal que toute une génération n’ait comme président une seule personne. Ceux qui disent qu’une personne est la plus indiquée pour gouverner font une injure à leur propre intelligence.

Etes-vous de ceux qui font confiance aux militaires qui se sont emparés du pouvoir au Niger, dans leur mission avouée de « restauration de la démocratie » ?

Par principe, je suis contre les coups d’Etat. Pour moi, il n’y a pas de coup d’Etat démocratique ou salutaire, parce qu’il est déjà une approche messianique du pouvoir. Des gens, parce qu’ils ont les armes, disent vouloir sauver la nation. Si les coups d’Etat pouvaient résoudre les problèmes en Afrique, nous aurions avancé en démocratie. Les partis de l’opposition et les organisations de la société civile doivent travailler à ce qu’il y ait une opposition forte à des projets comme ceux proposés par Mamadou Tandja. Si celui-ci avait reculé de par l’action des citoyens, cela aurait été une victoire de la démocratie, plutôt que de compter sur les militaires pour venir au pouvoir.

Mais le problème est que si ceux qui sont au pouvoir ferment toutes les issues de respiration démocratique, ils ne peuvent que récolter des coups d’Etats. Le fait d’avoir des actes anticonstitutionnels ont conduit les militaires à bout. Au regard de cela, il faut faire en sorte que les scénarii qui se sont produits dans d’autres pays ne viennent pas au Burkina. On ne peut pas se féliciter d’un coup d’Etat, mais on peut comprendre l’exaspération d’une population. C’est pour cela qu’on dit que les tripatouillages et l’instrumentalisation de la Constitution exposent ceux qui le font à des situations de ce genre.

Mais, peut-on faire confiance à la junte nigérienne ?

Je ne me prononce pas là-dessus, parce que l’expérience a démontré que les professions de foi au départ ne sont pas tenues par la suite. Seulement, j’espère que ces militaires tiendront parole puisqu’ils ont juré sur le coran et ont fait un serment de militaire. Et j’espère qu’ils auront au moins le sens de la parole donnée.

Jacques Théodore Balima

Fasozine

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