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ERNEST NONGMA OUEDRAOGO, maire de la commune de Bokin : "Nous essayons d’appliquer la politique de Sankara"

Publié le mercredi 14 octobre 2009 à 06h24min

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Le soleil était au zénith lorsque nous arrivions à Bokin le 10 octobre 2009 après avoir avalé 53km de poussière à partir de Yako. Malgré ce soleil de plomb, le premier maire de la commune de Bokin était disposé à nous recevoir dans sa modeste demeure revêtue de blanc (mot d’ordre révolutionnaire). Sankariste convaincu, ancien ministre, président d’honneur de l’UNIR/PS , maire de la ville d’origine du président Thomas Sankara, Ernest Nongma Ouédraogo (E.N.O.) a répondu sans détour à nos questions. C’est un maire "résidant" qui se dit "être occupé à temps plein par les préoccupations des siens", malgré le poids de son âge. Officieusement, la mairie a aménagé dans ses nouveaux locaux le 4 août 2009, "date historique d’extrême importance pour tout sankariste". D’un ton posé M. Ouédraogo se prononce, dans l’interview qui suit, sur sa commune, la nomination du chef de file de l’opposition, l’idéal sankariste et les missions de bons offices du président Blaise Compaoré.

"Le Pays" : Si vous deviez présenter votre commune en quelques mots, que diriez-vous ?

Ernest Nongma Ouédraogo : Disons que c’est une commune rurale de 55 000 habitants répartis dans 40 villages. Elle est érigée en commune depuis trois décennies mais sous délégation spéciale. La commune est dirigée actuellement par un conseil municipal de 81 membres dont 46 sankaristes depuis 2006. Tous les membres du bureau du conseil sont sankaristes, les autres n’ayant pas voulu être candidats aux différents postes à pourvoir.

Quel bilan faites-vous de votre action depuis 2006, date à laquelle vous avez été porté à la tête du conseil municipal ?

C’est un peu tôt pour faire le bilan mais un bilan partiel est toujours possible. J’ai mis l’accent sur les principaux problèmes que nous vivons dans la commune. Le tout premier problème ici, c’est la soif ; les hommes ont soif, les animaux ont soif, les plantes ont soif. Alors je mets l’accent sur l’eau potable et grâce à des partenaires sociaux et au développement, on arrive à avoir, parfois bon an mal an, quatre à cinq forages avec des pompes à motricité humaine. Pour le maraîchage par exemple, on aménage certaines vallées, certains cours d’eau du Nakambé qui est le fleuve de la province pour occuper les gens en saison sèche dans la culture de la tomate, des oignons. Pour les animaux, nous essayons de réaliser des boulis, des pompes aussi pour leur permettre de s’abreuver. Après l’eau, il faut manger et les bonnes récoltes ne sont pas toujours au rendez-vous. Nous souhaitons par exemple une dernière pluie pour parachever notre saison hivernale cette année. Au plan sanitaire et éducatif, les infrastructures sont suffisantes mais nous nous attelons à offrir les meilleures conditions. En attendant, nous composons avec les classes-paillotes dans le domaine de l’éducation, dans l’espoir de l’accompagnement de nos partenaires. Au plan de l’enseignement secondaire, il y a deux établissements secondaires, en plus de celui existant, qui sont en vue et qui viendront résorber le problème de nos nombreux admis du CEP qui désirent poursuivre leur cursus scolaire. Dans l’ensemble, je tiens ma feuille de route.

Quelles sont les difficultés majeures auxquelles vous faites face dans l’exécution de vos missions ?

C’est vrai que les populations me comprennent mais les adversaires aussi sont là. Ils ne démordent pas, ils tiennent toujours à me bouter hors de la mairie, mais c’est de bonne guerre. Je crois que c’est normal qu’ils me jettent des peaux de banane et c’est à moi de savoir les éviter.

Quels sont les atouts de votre commune ?

La transparence totale dans la gestion du budget, des investissements. Tout est clair et à tout moment le conseil municipal est régulièrement informé de ce que nous entreprenons. On essaie également de diversifier les réalisations en prenant en compte tout le territoire communal autant que possible. Tous les 54 500 habitants sont concernés par notre action et les présidents de CVD (Comité villageois de développement) sont convoqués pour répercuter l’information auprès des populations. C’est sans haine et sans rancœur que les populations adhèrent à mon action.

N’êtes–vous pas aidé par le fait que votre commune soit la ville d’origine du président Thomas Sankara ?

S’agissant du président Thomas Sankara, les gens ne passent pas leur temps à se lamenter. Ils ont perdu un fils et ils ont un autre qui essaie de travailler à partir de ce que le premier avait proposé. Ils s’adaptent et ils agissent dans le sens du développement.

Quelle est la place de Bokin dans l’accomplissement de l’idéal sankariste ?

Bokin, c’est une commune comme les autres du pays. Nous avons des sankaristes dans presque toutes les communes du pays. Donc le sankarisme est un peu partout. Evidemment, ici, nous avons la majorité et c’est la politique de Thomas Sankara que nous essayons d’appliquer ici. C’est peut-être cela qui se fait le plus.

Y a-t-il des symboles réhabilités ou réalisés à Bokin qui rappellent l’image et l’action du président Sankara ?

Il est difficile d’appliquer tous les mots d’ordre de la Révolution mais de temps en temps, il y a des possibilités d’en faire quelques-uns. Je citerai en exemple le mot d’ordre de <> qui m’amène à peindre ma propre cour en blanc. Nous essayons de dire aux gens qu’il faut produire ce qu’on consomme et consommer ce qu’on produit. C’est lorsque l’on n’arrive pas à produire ce que l’on consomme qu’il faut aller chercher à l’étranger. Il faut encourager les gens dans ce sens. Au plan infrastructurel, nous n’y sommes pas d’abord. Comme je l’ai dit plus haut, la priorité c’est l’eau potable. Dès qu’on va s’y mettre, on va baptiser des rues, construire des monuments, des places ; mais en ce moment-là, l’eau est notre priorité. En temps indiqué, nous allons restaurer la Révolution et c’est clair. Nous rendrons hommage aux révolutionnaires mais aussi aux non-révolutionnaires qui ont œuvré au développement de Bokin. Nous ne pouvons pas les oublier. S’agissant de la parcelle du président Sankara, elle est bel et bien là et elle a été clôturée. Je pense que les héritiers de Thomas Sankara vont la mettre en valeur en érigeant quelque chose d’acceptable.

Nous sommes à quelques heures du 22e anniversaire de la disparition du président Thomas Sankara. Sous quel signe allez-vous le commémorer ?

Il y a un comité d’organisation qui planche là-dessus. Il est évident que j’y serai, j’espère, le jour venu. De temps en temps, je fais le point avec les camarades, au regard de ma distance avec la capitale, et ça va bon train. Nous allons nous retrouver, comme chaque année, pour commémorer cet anniversaire sans violence, sans haine et avec l’ensemble de la famille sankariste.

M. Bénéwendé Sankara, président de l’UNIR/PS vient d’être nommé chef de file de l’opposition, le parti dont vous êtes président d’honneur. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

Oui, c’est une très bonne chose. C’est clair et net parce que l’on a divagué pendant un certain temps. On a créé la confusion entre la participation au gouvernement et l’opposition. On a pensé que l’opposition pouvait être de l’opposition et participer au gouvernement. L’opposition pourrait faire partie d’un gouvernement s’il y a par exemple une crise nationale qui appelle à un gouvernement d’union nationale pour juguler la crise. Mais en situation normale, quand on est de l’opposition, il y a quelque chose qui ne va pas si on se retrouve au gouvernement. Par conséquent, la clarté ayant été retrouvée, cette fonction de chef de file de l’opposition a été effectivement attribuée à celui qui remplit les conditions. Il appartient au chef de file, à son parti et aux autres sankaristes, de rassembler toute l’opposition pour faire vivre cette opposition et progresser vers la prise du pouvoir. Il ne faut pas passer tout le temps dans le rôle de chef de file de l’opposition, ce n’est pas une fin en soi mais ça peut être un tremplin pour accéder au pouvoir. Il faut donc absolument rassembler toute l’opposition et je crois que là c’est une opportunité.

Evidemment, certains pensent que Me Sankara s’est déjà proclamé président mais en fait c’est conjoncturel. Nous n’avons pas les moyens comme les autres pour organiser un congrès extraordinaire, et c’est pourquoi nous avons saisi l’opportunité du dernier congrès pour prendre cette décision en désignant notre candidat à la présidentielle. Néanmoins, nous sommes ouverts à la discussion avec les autres partis de la même ligne politique, c’est-à-dire de l’opposition. Cependant, il ne serait pas logique que le chef de file de l’opposition ne soit pas le candidat de toute l’opposition.

"On ne doit même pas parler avec Dadis"

La crise économique et financière est passée par là. En tant que sankariste, quelle lecture faites-vous de la situation dans notre pays ?

A mon avis, si c’était Sankara qui avait été là, la crise serait moins violente pour nous parce que justement, en appliquant certains mots d’ordre de la Révolution, on aurait ajuster notre mode de vie en consommant par exemple ce que nous produisons. Ça semble banal mais c’est évident. La preuve c’est que eux-mêmes (le pouvoir) reviennent là-dessus. Bien sûr, tout n’était pas parfait dans la Révolution. D’ailleurs, nous étions prêts à corriger nos erreurs puisque nous les avions relevées au quotidien. En ce moment, on aurait mieux supporté la crise plus que maintenant.

Seriez-vous candidat à votre propre succession à la tête du conseil municipal de Bokin ?

Ça ne dépend pas tellement de moi mais plutôt des camarades. Il y a aussi l’âge, je ne suis pas au bout du rouleau mais on pourrait trouver un jeune camarade plus solide qui pourrait mieux faire face aux coups de boutoir des adversaires. Tout dépendra de l’évolution. Peut-être qu’à 6 mois de l’échéance, je pourrai vous répondre avec exactitude. Les camarades se seraient déjà prononcés.

Quelque chose vous serait-il resté sur le cœur ?

Je constate que Blaise Compaoré est nommé médiateur en Guinée-Conakry. Je crois qu’il est le mieux indiqué pour le faire. Quand il y a un bain de sang, c’est à lui qu’il faut faire appel. Là où les gens sont indignés, choqués, lui il est à l’aise. Il sourit avec Dadis, il sourit avec l’opposition. Il est vraiment à l’aise. Il y en a qui ne peuvent pas parler à Dadis parce qu’ils sont choqués par la barbarie. On ne doit même pas parler avec Dadis, mais Blaise Compaoré aime ça. S’agissant des sinistrés, chacun a contribué dans la province et dans la région. Comme d’habitude, il faut craindre les risques de détournement. Je ne sais pas à quel point c’est bien géré ; je ne connais pas les détails mais ce que nous entendons est triste. Enfin, je dois vous dire merci pour être venu jusqu’à moi.

Propos recueillis par Abdoulaye DIANDA (Collaborateur)

Le Pays

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