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Basile Guissou : « Mon pays n’a pas besoin de révolution aujourd’hui »

Publié le jeudi 6 août 2009 à 02h40min

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Basile Guissou

Le 4 août 1983 est une date importante dans l’histoire du Burkina Faso. Elle marque l’avènement de la révolution, il y a 26 ans. C’était aussi l’époque des comités de défense de la révolution, communément appelés les CDR. Fasozine.com a rencontré pour vous l’un des acteurs civils de cette révolution, le Professeur Basile Guissou, actuellement Délégué général du centre national de recherche scientifique et technologique, CNRST, chercheur s’interessant à la sociologie politique.

Fasozine.com :Quels souvenirs gardez-vous aujourd’hui de la révolution du 4 août 1983 ?

Basile Guissou :Vous savez, c’est peut être un devoir de mémoire qui construit la Nation. Il faut remonter plus loin pour comprendre pourquoi la révolution du 4 août 1983 a marqué l’histoire politique de notre pays. Depuis les années 1970, il est apparu, précisément au sein de l’Union générale des étudiants voltaïques de l’époque, lors de son 5ème congrès, une réorientation politique qui mettait en première ligne la lutte pour une révolution démocratique et populaire au Burkina Faso et qui se démarquait de toutes les formations politiques qui avaient à l’époque préconisé les négociations et la collaboration avec la France.

Cette ligne anti-impérialiste qui a triomphé au 5ème congrès et qui s’est renforcée aux 6ème, 7ème et 8ème congrès a vu la naissance des partis politiques comme le parti africain de l’indépendance (PAI), l’Organisation communiste voltaïque (OCV), l’Union des luttes communistes
(ULC), le Parti communiste révolutionnaire (PCRV), qui avaient, tous, leurs journaux et qui diffusaient leurs idées au sein de la jeunesse, demandant une rupture avec l’ancienne politique. Cette ligne politique a aussi pénétré les rangs des jeunes officiers. C’est une rencontre de volonté et de patriotisme qui a conduit à la révolution du 4 août 1983. Donc il ne faut jamais oublier cette date. C’est la résultante de plus d’une décennie de combat des idées qui a permis en 1983 à un groupe de jeunes officiers et deux partis politiques, le PAI et l’ULC, de renverser le régime de Jean-Baptiste Ouédraogo à l’époque.

Et c’est dans la nuit du 4 août que le Capitaine Thomas Sankara annonçait le triomphe de la révolution et appelait à créer les comités de défense de la révolution (CDR) dans tous les quartiers des villes et dans les 8000 villages du Burkina Faso. Et je crois que c’était la première fois de notre histoire politique qu’on pouvait dire que le pays entier, à travers ses villages et ses quartiers des villes a mis en place des structures politiques vraiment populaires, mais en même temps, dangereuses parce que le Conseil national de la révolution (CNR) n’était pas dans les 8000 villages pour organiser les élections. Donc, il y a eu des CDR dans les 8000 villages, mais Dieu seul sait quelle était la qualité de tous ces CDR. Et c’est cela aussi qui par la suite va créer beaucoup de problèmes pour diriger, gérer à partir de Ouagadougou, des structures aussi décentralisées et autonomes. En tout cas, pour une première fois de notre histoire politique, il y a eu un souffle populaire, une volonté de changement qui s’est manifestée au sommet et aussi à la base, ce qui a permis de faire des changements en un temps record.

Quels étaient ces changements ?

Si je prends la construction des écoles, on a été presque à 900 classes par an. Rien qu’avec celui du Sourou, on a multiplié la quantité d’eau de nos barrages, de 300 millions de mètres cube à 600 millions de mètres cube dès 1984. Donc en un an, les centres de santé, la formation des jeunes, le reboisement, la lutte contre la désertification, les feux de brousse et la divagation des animaux,tout a changé. Il y avait un enthousiasme à construire, à bâtir jusqu’à changer le nom de la Haute Volta en Burkina Faso, c’est à dire « la patrie des hommes intègres ». Le drapeau et l’hymne national ont également changé. Je crois que c’était un moment fort de notre histoire que nous devons commémorer dans la réflexion critique pour continuer à aller de l’avant.

Vous avez tantôt évoqué les points positifs de la révolution. Quels ont été ses aspects négatifs ?

C’est à ceux qui nous critiquent de parler des points négatifs, moi personnellement, je l’ai répété partout, je ne ferai pas de mea culpa d’avoir participé à la révolution au Burkina Faso, cela est clair. Pour moi, les points négatifs appartiennent à nos critiques.

Etes-vous nostalgique de la révolution aujourd’hui ?

Non, pas du tout. C’est un moment historique, il fallait le faire, on l’a fait. Je pense que le Burkina doit continuer à aller de l’avant. On ne pleure pas une situation qu’on a pas été incapable de maîtriser. Il faut espérer mieux faire, c’est tout.

Pensez-vous que de nos jours, le Burkina a besoin d’une autre révolution ?
Si peut-être aujourd’hui on déclare qu’il y a une révolution, la moitié de ceux qui parlent de changement vont quitter le pays. C’est une réalité, donc je regarde cela avec un peu de distance. Je pense que le pays change, il changera à son rythme en gérant ses contradictions. Je pense que l’histoire ne se recommence pas, il faut l’assumer, il faut continuer parce qu’il y a des changements que la réalité et l’évolution de notre société vont nous imposer. Mais je ne pense pas particulièrement que mon pays a besoin d’une révolution aujourd’hui.

Pourquoi dites que vous n’avez pas été capables de maîtriser cette situation ?

Pace qu’elle était immaîtrisable, c’est tout. C’est aussi simple, si elle était maîtrisable, elle l’aurait été. Si elle ne l’a pas été c’est qu’elle n’était pas maîtrisable.

Quelles différences faites-vous entre l’époque de la révolution et aujourd’hui ?

J’ai l’habitude de dire que autre temps, autres mœurs. Vous ne pouvez pas comparer les débats institutionnels et constitutionnels qu’on lit dans les journaux, les régimes parlementaire, semi présidentiel, etc., avec les comités de défense de la révolution (CDR) et le Conseil national de la révolution (CNR) qui était un Etat d’exception. C’était le rapport de forces qui tranchait sur le terrain. On ne fonctionnait pas du tout à partir des mêmes critères. Donc autre temps, autres mœurs. Je pense que le pays ne recule pas, il avance.

Quels rapports pouvez-vous faire entre les temps des indépendances et la révolution ?

Il faut honorer nos pères, ils ont fait ce qu’ils ont pu, avec les moyens qu’ils avaient. La Haute Volta de 1960 n’est pas du tout celle de 1983, encore moins le Burkina Faso d’aujourd’hui. Je pense que pendant les indépendances, c’était beaucoup plus le gouvernement français, le Général De Gaulle, qui pilotait pratiquement la politique du pouvoir dans la Haute Volta parce que le Conseil politique n’était pas au diapason des défis de l’époque sur le plan mondial. Ce n’est pas pour rien que les accords de coopération, les constitutions ont été directement copiés sur ceux de la France. A ce jour, nos relations avec la France sont totalement différentes, tout comme nos rapports avec les pays voisins. Je pense qu’il y a une évolution qui peut paraître trop lente, mais il y a une évolution, et c’est cela l’essentiel. On ne recule pas.

Quel rôle avez-vous joué pendant la révolution ?

Pendant la révolution, j’ai occupé trois postes ministériels en quatre ans. J’ai été ministre de l’Environnement et du tourisme en 1983. En 1984, j’ai été ministre des Relations extérieures et de la coopération jusqu’en 1986. Et en 1987, avant de quitter le gouvernement, j’étais ministre de l’Information. J’ai quitté le gouvernement en août 1987.

Vous souvenez-vous encore des indépendances ?

A l’époque des indépendances en 1960, j’avais 11 ans. Je ne me souviens pas de grand chose concernant la fête de l’indépendance. Je reconnais que je n’ai aucun souvenir. Mais je vous remercie de me donner l’occasion de parler d’une période de ma vie qui m’a beaucoup marquée et qui continue de m’inspirer dans mes combats d’aujourd’hui, parce que c’est un devoir de mémoire.

Et quel est votre combat aujourd’hui ?

Je suis chercheur de profession et je m’intéresse à la sociologie politique. Je suis maître de recherche, j’encadre des étudiants et je donne aussi des cours à l’Université. J’ai fait un doctorat sur la construction de l’Etat post colonial en Afrique, principalement au Burkina Faso. Donc, c’est un terrain qui n’est pas moins difficile que celui que j’occupais en tant que ministre. J’essaye de donner le meilleur de moi-même pour permettre aux générations montantes de comprendre notre rôle complexe dans l’histoire politique afin d’apporter leur contribution pour l’amélioration de l’héritage que nous leur laissons. Voilà un peu mon combat aujourd’hui.

Kpénahie Traoré

Fasozine

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