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Salif Diallo : “Il faut dissoudre l’Assemblée et instaurer un régime parlementaire”

Publié le jeudi 9 juillet 2009 à 02h33min

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Présent à Vienne où se déroulait jeudi dernier l’élection du nouveau directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), nous n’avons pas manqué d’approcher l’ambassadeur du Burkina Faso en Autriche et dans cinq autres pays européens (1) ainsi qu’auprès des organismes internationaux siégeant dans la capitale autrichienne. Depuis son éviction spectaculaire du gouvernement à la Pâques 2008 suivi de son “exil” autrichien quelques mois plus tard, c’est la première fois qu’il s’exprime publiquement. Une partie de l’opinion avait vu dans son limogeage le dénouement des luttes de clans qui ont cours dans la galaxie Compaoré. L’intéressé ne semble pourtant pas amer, ou feint-il de ne pas l’être. Ce vendredi 2 juillet 2009 au 5e étage du Strohgasse 14c A-1030 Vienna, Gorba en bras de chemise nous accorde quelques minutes entre deux rendez-vous. S’il a préféré ne pas trop s’étendre sur certains sujets, comme pour ne pas remuer le couteau dans la plaie, il évoque toutefois le prochain congrès du CDP, revient sur ses rapports avec Tertius Zongo et François Compaoré, parle de l’alternance et de la succession de Blaise Compaoré. Pour Salif Diallo, il faut remettre à plat les institutions du pays en dissolvant l’Assemblée pour instaurer un régime parlementaire qui transformerait le président du Faso en une sorte de reine d’Angleterre au-dessus de la mêlée, pour ainsi dire. Manœuvre politique ou lecture lucide de la situation nationale pour quelqu’un qui a pris du recul en traversant son désert ? Allez savoir ! Une chose est sûre, sa suggestion ne manquera pas de faire du bruit, et beaucoup de bruit dans le landernau politique.

Monsieur l’ambassadeur, quelle appréciation faites- vous de l’élection du nouveau Directeur général de l’AIEA ?

• Comme vous le savez, le Burkina Faso est membre du Conseil des Gouverneurs de l’AIEA avec 34 autres pays, qui avaient la responsabilité d’élire le Directeur général de l’Agence. Nous estimons que l’importance et la délicatesse des charges de la fonction commandaient que notre choix se portât sur un homme sage, compétent, ayant une expérience en matière de nucléaire et de diplomatie, mais aussi qui ait le courage de ses idées et de ses convictions. L’AIEA est devenue un enjeu au niveau international pour deux raisons majeures :

 l’amenuisement des énergies fossiles et l’engouement des Etats pour d’autres formes d’énergies au rang desquelles l’énergie nucléaire ;

 la tendance à la prolifération nucléaire militaire qui sape la sécurité internationale.

Bien entendu, nous avons reçu des instructions fermes du Président du Faso pour ce qui est des positions à défendre à l’AIEA et nous nous en sommes tenu à cela.

Que va-t-on concrètement tirer de cette élection de M. Amano que le Burkina a fortement soutenu ?

• C’est vrai que lors de la dernière TICAD à Tokyo, le Président du Faso avait assuré le Japon de notre soutien. Il faut dire que ce pays, qui a été meurtri deux fois par l’arme nucléaire, connaît mieux que quiconque la portée et les dangers de la prolifération nucléaire. Cela dit, l’AIEA finance une dizaine de projets au Burkina, et le nouveau Directeur, avec qui nous avons déjà échangé, nous a laissé entrevoir un appui plus conséquent pour renforcer ces projets.

Vous êtes Ambassadeur depuis 08 mois en Autriche, comment appréciez-vous cette nouvelle fonction ?

• J’essaye de faire au mieux dans l’intérêt de notre pays.

Comment vivez- vous votre “exil” autrichien ?

• Cela ne me pose pas de difficultés particulières. L’Autriche est une belle contrée, mais c’est vrai que j’ai quand même le manque du pays ; les débuts sont toujours difficiles, mais je m’accroche. L’important pour moi est d’apporter ma petite contribution à la résolution des problèmes de mon pays, qu’importe l’endroit où je peux le faire.

Par “manque du pays”, doit–on surtout entendre l’agitation politique qui manque à la bête politique que vous êtes ?

• Je dois reconnaître que l’environnement politique ouagalais me manque.

La vie politique nationale a connu récemment un évènement majeur, notamment le forum sur l’alternance avec monsieur Zéphirin Diabré. Ce forum a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Qu’en pensez-vous ?

• J’ai suivi avec intérêt ce débat sur l’alternance. Il faut tout d’abord noter que monsieur Zéphirin Diabré et ses compagnons n’ont fait qu’exercer leur droit d’exprimer leur opinion. La question de l’alternance n’est pas une question taboue qu’il faut contourner.

Maintenant, entre cette revendication et la réalité du terrain politique, il y a un grand fossé. Car, en ce moment précis, j’évalue le rapport de force politique à 70% voire plus en faveur du camp du Président Blaise Compaoré. Donc, si l’opposition veut parvenir à matérialiser l’alternance, il lui faut réaliser un gigantesque travail de terrain.

Pour moi, le meilleur moyen de créer une alternance dans notre pays, dans la paix et la stabilité, c’est de réformer profondément les institutions actuelles, pour approfondir la démocratie en donnant des chances égales à tous les partis politiques.

C’est pourquoi ma suggestion est d’aller aujourd’hui vers un régime parlementaire, qui nous éviterait une patrimonialisation de l’Etat.

Qu’entendez–vous par régime parlementaire ?

• Il existe plusieurs variantes de régimes parlementaires, mais pour ce qui est de notre situation, je pense humblement que le Président du Faso, au regard de ses prérogatives constitutionnelles actuelles, peut lancer une grande consultation au-delà des partis pour englober la société civile. On aboutirait pour ainsi dire à la mise en place d’un Exécutif responsable devant un nouveau Parlement.

Cela sous entend que le parti majoritaire que nous formons aujourd’hui accepte que le président du Faso dissolve de manière anticipée l’actuelle Assemblée Nationale pour aller vers de nouvelles élections générales. Cela constitue des sacrifices difficiles pour nous, mais je pense que c’est la voie de l’approfondissement de la démocratie, de la stabilité et de la paix dans notre pays.

Là, monsieur l’ambassadeur, vous faites pratiquement dans les points de vue de l’opposition ?

• Ce n’est pas parce qu’une idée est émise par l’opposition qu’elle est forcément mauvaise et à écarter. J’ai avancé cette idée il y a déjà quelques années pendant que j’étais au pays et au Gouvernement. Je crois le Président Compaoré patriote, et donc à même de s’élever au-dessus des intérêts partisans pour aller vers un compromis historique sur cette question avec l’opposition démocratique de notre pays, sans chercher à la dompter ou à obtenir d’elle une allégeance complaisante.

Dans tous les cas, ce n’est qu’un avis personnel. Mais je crois fortement que les réformes institutionnelles et politiques sont incontournables dans notre pays à travers un vaste dialogue avec toutes ses composantes politiques. Il revient au Président du Faso d’en décider au regard de ses prérogatives constitutionnelles.

Pensez-vous que vos camarades du CDP vous suivront dans cette voie ?

• J’avoue que c’est une question difficile sur laquelle le Président du parti et moi avons échangé plus d’une fois. Je ne présage de rien. Mais si cette option est prise, elle suppose beaucoup de sacrifices de notre part. Il ne s’agit pas ici de préserver des intérêts personnels ou partisans, mais plutôt de préserver la paix et la stabilité pour un avenir serein de notre pays.

C’est d’un nouveau départ institutionnel qu’il s’agit. Du reste, un régime parlementaire responsabiliserait plus le CDP et lui permettrait de survivre politiquement au président Compaoré. Encore une fois, ce n’est qu’un avis personnel et je pense que le congrès, qui est souverain,devrait se pencher sur des problèmes de ce genre.

Ne craignez–vous pas que le Président du Faso n’apprécie pas et vous fasse subir ses foudres ?

• Je donne un point de vue politique, je ne vois pas pourquoi le Président du Faso va se fâcher ? S’il doit l’être, c’est contre ceux qui lui « pompent » l’air tous les jours avec des pseudo lectures de la situation nationale, qui veulent maintenir le statu quo, croyant qu’avec le temps et par des tours de passe- passe, ils pourront hériter de son pouvoir ou conserver des avantages.

A qui pensez-vous en disant cela ? A François Compaoré qu’on suspecte de vouloir succéder à son frère ?

• Vous savez, moi, je n’avance pas masqué. François Compaoré ne m’a jamais dit qu’il avait des prétentions à succéder à son frère et je pense qu’il ne nourrit pas pareilles ambitions. On m’a souvent accusé à tort de le combattre.

Certains en ont fait un fonds de commerce alors que je n’ai aucune inimitié pour lui. Je défends des idées que je crois être justes. S’il s’avère que monsieur François Compaoré ou d’autres sont hostiles à ces vues, je n’y peux rien. Il faut, une fois de plus, éviter de subjectiviser le débat politique.

L’élection présidentielle est prévue en 2010. Pensez-vous qu’on peut réaliser les réformes dont vous parlez avant cette échéance ?

• Tout dépend des acteurs politiques (opposition et majorité). Car, si on veut réformer et œuvrer dans une perspective de paix et de progrès pour notre pays, on peut bel et bien repousser la date de l’élection présidentielle afin de :
 avoir un fichier électoral transparent et consensuel ;

 convenir de pièces de votation sécurisées et acceptées par tous.

Ne faisons pas dans le fétichisme des dates. S’il faut reculer les dates des élections pour parvenir à des réformes salvatrices, les acteurs politiques peuvent en convenir.

Et le gouvernement dans tout ça ?

• Dans ces conditions, le Premier Ministre, Tertius Zongo, en accord avec le Président du Faso, pourrait intégrer l’opposition dans son Gouvernement pour qu’elle participe, surveille et contrôle la mise en place de ces réformes. Et ce gouvernement pourrait, par exemple, installer une Constituante qui intègre toutes les composantes socio- politiques. Je précise encore que ce ne sont que des suggestions émanant d’un regard lointain.

Le front social est agité ces derniers temps, avec notamment la crise à l’université. Que pensez-vous de cette situation ?

• La question sociale est d’une importance capitale, mais aussi d’une complexité certaine. C’est pourquoi je pense qu’il faut privilégier toujours le dialogue pour trouver des solutions justes aux problèmes des travailleurs de notre pays. Pour arriver à résoudre de façon structurelle ces problèmes, il faut opérer une révision de nos accords avec le FMI et la Banque Mondiale.

Car des questions relatives à la masse salariale à contenir, certaines privatisations prévues ou conseillées par ces institutions limitent les marges de manœuvre du gouvernement, qui est de bonne foi et de bonne volonté.

Il se susurre que vous ne serez plus commissaire politique du CDP au Nord, de même que M. Paramanga Ernest Yonli en poste à Washington ; qu’en est-il exactement ?

• Personnellement, je n’en fais pas un problème. Que je sois à la direction du parti ou à la base, l’essentiel pour moi, c’est de pouvoir défendre mes idées et que mon parti occupe sa place et joue son véritable rôle.

Parlons maintenant de votre départ du gouvernement ; vous avez été un jour de pâques évincé de manière spectaculaire. Qu’avez-vous ressenti ce jour-là : dépit, résignation, colère, ou les trois à la fois ?

• Aucun de ces sentiments ne m’a habité. Quand on est ministre, on se dit qu’à tout moment on peut quitter le navire gouvernemental, j’ai intériorisé cet aspect des choses. Ensuite, en politique, je m’attends à tous les avatars, car, dans ce domaine rien n’est jamais acquis définitivement. Enfin, je suis un militant et prêt à servir partout où on estime que je peux être utile.

A ce qu’on dit, vos rapports avec Tertius Zongo n’ont pas toujours été faciles, et que de vous deux quelqu’un était de trop dans le navire gouvernemental ; d’où votre éjection.

• A ce sujet, j’ai été surpris d’entendre ce genre d’assertions. Des personnes bien pensantes ont fait campagne sur ce thème. Je puis vous dire que le Premier Ministre et moi avons toujours entretenu des rapports très cordiaux.

J’ai eu l’impression que, dans certains milieux, on tenait à cogner nos têtes. Pourquoi faire ? je ne saurais le dire. En tout cas, je ne me souviens pas avoir eu des dissensions personnelles ou politiques avec le Premier Ministre Zongo.

Si loin de votre base, parvenez-vous à tenir vos troupes, notamment celle du Yatenga ?

• Le CDP tel que je le connais est un parti organisé, et, nul n’est indispensable, surtout dans ce genre de structure. Il appartient donc aux militants où qu’ils soient de s’organiser et de continuer à militer selon leurs convictions propres.

Pour finir, apprenez que votre club l’USO est tombé en 2e division. Quel commentaires faites–vous ?

• Ce n’est pas la première fois que cela arrive à l’USO, et, s’il plaît à Dieu, nous reviendrons en 1re division et, pourquoi pas, à la tête du championnat.

Interview réalisé à Vienne par Ousséni Ilboudo

L’Observateur Paalga

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