LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Avec de la persévérance et de l’endurance, nous pouvons obtenir tout ce que nous voulons.” Mike Tyson

<I>La nouvelle du vendredi</I> : Les promesses politiques

Publié le vendredi 6 octobre 2006 à 07h52min

PARTAGER :                          

Pour montrer à son mari que son grenier ne contenait plus une graine, Sabine avait balayé le fond de celui-ci qui n’était que de la cendre et avait laissé choir le panier devant son mari. La chute du panier avait soulevé tellement la poussière que Julien s’empressa de couvrir son plat de tô chaud qu’elle lui avait servi.

Il laissa échapper un soupir profond, prit sa tête entre ses mains. Ses enfants, Solange et Thomas, avaient assisté à cette triste scène. Solange avait pris la main de son père et lui disait :

- Pardonne maman car elle ne sait que faire. Elle nous a fait vendre ses beaux pagnes et c’est avec cet argent qu’elle a acheté un peu de mil.

- Han ! s’était-il écrié. Pourquoi ne m’avoir pas informé de cette situation ! Bon, qui irai-je voir pour me sortir d’affaires ? Tiens, il y a mon ami Zakarie, on dirait que la manne est tombée chez lui.

Julien se rendit chez Zakarie et lui demanda de l’aide. Il lui fit savoir que les champs ne rapportaient plus grand-chose. Mieux valait pour lui faire la politique. Il ouvrit de grands yeux, et Zakarie avait compris qu’il ne comprenait pas ce qu’est la politique. Alors il lui fit comprendre que quand les hommes de la ville venaient dans des voitures cossues les convier aux réunions à la préfecture, il refusait toujours d’y participer en disant qu’il n’avait pas fini avec son champ pour écouter des balivernes. C’est ce qui explique justement son aisance. Bien sûr, il lui fit savoir que ce n’était pas toutes les rencontres qui étaient bénéfiques. Il y avait particulièrement une, celle du P.O.T. (Parti Obligatoire pour Tous) ayant comme symbole le caméléon accroché à un arbre aux feuilles jaunies. C’est KASAK TUF MA KI qui était proposé comme candidat à la présidence. "Une fois que tu y adhères, tu avais droit au sorgho, à la farine et à l’huile américains ou arabes. Si tu militais beaucoup, tu pouvais avoir un vélo et cinquante mille francs pour le travail dans ton village."

D’accord, d’accord disait Julien, va leur dire tout de suite que je ne jure que par eux. Ou bien, non ! bon, allons ensemble comme ça j’aurai ma farine et mon huile, et Sabine me fera du bon couscous ce soir.

Julien abandonna son champ pour la politique. Il était devenu un militant intrépide du P.O.T. Il avait bien assimilé les slogans et organisait les meetings au niveau de son village. Lui et Zakarie étaient les responsables du parti dans leur village. A deux, ils pouvaient mobiliser une foule immense seulement quand le candidat, les responsables politiques et les fidèles militants du centre arrivaient. A cette occasion, les feuilles circulaient et personne ne voulait être en reste. Ils formaient équipe, Zakarie et lui, ils étaient responsables politiques du village. Ils se donnaient de grandes poignées de mains et se tapaient dans le dos avec de larges sourires. Les responsables villageois qu’ils étaient partaient très souvent en ville pour assister à des réunions aux instances supérieures. Ils pouvaient même prendre la parole au

même titre que ceux de la ville et étaient mieux écoutés. Une Pick-up venait les prendre et les ramenait. Ils faisaient désormais partie des grands du pays. Ils avaient droit aux tee-shirts et gadgets qu’ils distribuaient d’abord à leurs femmes, enfants, proches et ensuite à ceux qui venaient régulièrement à leurs réunions.

Les élections approchaient et il était difficile de trouver Julien à la maison. Il était souvent en campagne dans les différents secteurs du village sur son nouveau vélo. Son candidat lui promit, de reconstruire sa vieille case, lui offrir un travail en ville, construire un barrage dans son village, faire des forages dans chaque secteur du village, construire un dispensaire, et la gratuité de la scolarité.

Son candidat avait gagné aux élections. Et son village avait fait un bon score pour le candidat KASAK TUF MA KI. Ayant attendu en vain ses camarades de lutte du Centre et leur Pick-up de voyage, il finit par rejoindre la capitale par ses propres moyens pour rendre visite à ses camarades élus à la magistrature suprême et aux législatives. Il se rendit à la présidence où il rencontra un mur de béton. Son nom n’avait plus de résonance pour le nouveau locataire du palais présidentiel. A l’Assemblée nationale, le député était toujours en réunion. Il alla jusqu’à la résidence de ceux-¬ci, une barrière rigide de police et de cerbères l’en empêchaient. Toutes les promesses faites pendant la campagne électorale s’envolèrent en fumée. Il croyait que c’était un rêve. Après une longue attente en ville, et après avoir épuisé le peu d’argent qu’il possédait encore, il décida de regagner le village jurant ne plus faire la politique.

Il trouva sa maison vide et il comprit que sa femme et ses enfants avaient rejoint ses beaux-parents. Quelle honte pour lui ! Il demanda de l’aide à ses voisins qui avaient voté mais n’avaient pas abandonné leur champ pour la politique. Mais la solidarité au village était toujours de rigueur. Le peu qu’il reçut ne pouvait le tenir jusqu’à la saison prochaine. Son ami Zakarie était dans la même situation que lui, deux familles sur le dos des laborieux prévoyants cultivateurs, c’était trop.

Ses camarades de la ville quant à eux vivaient dans l’opulence et ignoraient qu’ils avaient sillonné la région et bu le dolo avec Julien. Le pauvre Julien était devenu plus pauvre qu’il ne l’était auparavant. A force de trop se plaindre on le taxa d’aigri et de bavard. Julien apprit à ses dépens en arrêtant une idée de l’Homme comme Albert Einstein qui dit "de l’Homme je ne dis plus rien, il est inconstant". Alors :

Méfiez-vous des amitiés politiques. Une fois hissées elles ne se souviendront plus des épaules qui les ont soutenues pour monter.

Augustine Bambara

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique