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Site granitique de Pissy : Le gagne-pain de ces vieilles femmes

Publié le mercredi 30 août 2006 à 06h50min

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Un site de granit où les conditions de travail ne sont pas des plus enviables. Cela existe à Ouagadougou, au quartier Pissy. De vieilles femmes y passent la journée afin d’avoir de quoi nourrir leurs familles. Il n’y a pas que des femmes sur le site, on y rencontre également des hommes et des enfants. Pour toucher du doigt les réalités de ce monde à part entière, nous nous y sommes rendus. Reportage.

Des femmes, de vieilles femmes ! Il y en a de tous les âges, et de toutes les tailles. Elles sont là, dans ce ravin, croupissant sous le soleil, ce chaud soleil de Ouaga. Mais, cela ne les empêche pas de taper, de taper encore, et de toujours taper de toute leur force sur la pierre. Elles tapent du matin au soir, toujours le même geste, pour concasser le granit et le revendre. La majorité des gens portent des pantalons et des habits peu appréciables. Poussière et sueur se confondent sur leur visage. D’aucuns imagineraient difficilement que ce site existe, dans un coin de Ouagadougou, la capitale du Burkina.

Aucune âme sensible ne peut rester indifférente face à la misère que vit une certaine frange de la société dans ce ravin. L’origine du site ? Nombreux sont ceux qui y travaillent sans pour autant la connaître. Pourtant, il y en a qui s’y trouvent depuis des années. Seul le remplaçant du doyen des lieux accepte de nous situer. Le doyen en question se nommait Jérôme Kaboré. Il a été

le gardien d’une entreprise qui a travaillé sur ces lieux. Celle-ci s’occupait de la construction des routes de la ville de Ouagadougou. Ce sont les membres de cette entreprise qui ont commencé à extraire le granit sur le site. Après leur départ, le site est revenu à Jérôme le gardien. C’est à lui que la population demandait l’autorisation d’extraire le granit à leur tour pour le revendre à des particuliers. Avec le lotissement du quartier, dans les années 1987, la vente de cette roche a commencé à prendre de l’ampleur et a atteint son stade actuel.

Barres à mine et pneux comme outils de travail

Le site en lui-même est un ravin géant où s’affairent des centaines de personnes que nous avons vues sur les lieux. C’était au mois de juin 2006, à une heure où les rayons du soleil étaient ardents. Les uns s’affairent à creuser avec de grosses barres à mine pour découvrir la roche, d’autres la brûlent à l’aide de gros pneus pour la ramollir et la fendre en gros morceaux afin de faciliter le concassage. Ce processus peut durer dix jours, nous a-t-on expliqué.

Une fois la roche fragmentée, elle est vendue par mesure (un gros plat) aux femmes qui, dès lors, commencent leur travail. Tôt le matin, Mariam Sawadogo, la responsable des femmes, et les autres, quittent leurs foyers respectifs en direction du site. Sur place, elles cherchent à se procurer le granit dont le plat se vend à 250 F CFA. Une fois concassée, cette même quantité de granit est revendue à 300 F CFA, soit un bénéfice de 50 F CFA. Ce qui, selon les concasseuses, est peu rentable, vu les efforts qu’elles fournissent.

Cependant, elles ne s’en plaignent pas car cet argent permet de subvenir aux besoins de la famille. D’autres ont choisi de transporter sur la tête des plats de granit pour les amener au point de revente. Cela, moyennant une pièce de 100 F CFA au bout de trois voyages. Et quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous rencontrâmes, à l’entrée du ravin, une femme enceinte, presqu’à terme, transportant un plat bien chargé sur la tête.

Tout un monde

Des femmes, il y en a de tous les âges. "J’ai de grands enfants", nous confie Justine Congo, concasseuse depuis plus de six ans, issue du quartier Pissy. Elle refusera cependant de nous communiquer son âge. Elle a apparemment la cinquantaine bien remplie. Mais ce n’est pas son âge qui l’empêchera d’ être toujours sur le site chaque matin et d’en repartir à la tombée de la nuit. Ses enfants ne travaillent pas. Certains sont sur le site avec elle. L’argent qu’elle y gagne entretient toute sa famille. Le cœur serré, la gorge nouée, avec une voix empreinte de regret, Justine Congo évoque le temps passé, ce bonheur, perdu. "C’est la vie," finit-elle par dire après un long soupir. Une nostalgie qui en dit long sur sa souffrance.

Les enfants formés à autre chose

Presque toutes les femmes sont en pantalon sur le site. Cela les protège des étincelles que produit le granit sur lequel elles tapent à l’aide de marteau. Des accidents, il en arrive souvent. Les victimes se font soigner dans un dispensaire non loin du site. Des associations telles que "Terre des hommes", initient les enfants dont les parents travaillent sur le site à des activités génératrices de revenus : la couture, la soudure, la menuiserie, etc. Les tout-petits de 3 à 4 ans sont gardés dans un centre, à l’abri de la poussière, du soleil et de l’odeur nauséabonde que dégagent les pneus.

D’autres enfants ont choisi d’aider leurs parents. C’est le cas de Chantal Zongo, élève en classe de CP2 à l’école Wend Panga. Elle casse du granit pour aider sa tante qui travaille sur le site. "A midi, ma tante me donne de l’argent, de quoi acheter à manger", nous confie-t-elle. Pendant l’année scolaire, elle vient sur le site à la sortie des classes pour manger et repartir suivre ses cours dans l’après-midi. Chantal Zongo peut concasser un plat de granit par jour. Elle est souvent confrontée à des accidents de travail. "Il m’arrive de me blesser les doigts, mais dès que je suis guérie, je recommence", a-t-elle déclaré.

L’existence du site profite à plus d’un. Certains s’y enrichissent en exploitant les concasseuses. Et ce, à travers des financements reçus de partenaires qui croient venir en aide à ces pauvres femmes. "Ici, nous ne recevons que des miettes", affirment les concasseuses qui disent être au courant de ces pratiques.

Les politiciens ne sont jamais loin

Le site est aussi le lieu de prédilection des hommes politiques en période de campagnes électorales."Quand ils arrivent, ils promettent de nous sortir de là", nous confie Mariam Sawadogo. "En retour, nous les acclamons, nous promettons de voter pour eux et ils s’en vont", ajoute-t-elle. Mariam Sawadogo reste cependant convaincue que l’éradication de la pauvreté au Burkina, dans les plus brefs délais n’est qu’un leurre.

En saison pluvieuse, le site est envahi d’eau. Cela ne facilite pas le travail des concasseurs. Mariam Sawadogo lance un appel aux autorités compétentes afin qu’elles les aident à évacuer cette eau lorsque cela s’avère nécessaire. Espérons qu’elle sera entendue par ces autorités dont certaines utilisent ce matériau pour construire leurs maisons sans trop savoir dans quelles conditions et à quel prix il est obtenu.

Par Christine SAWADOGO

Le Pays

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