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Affaire « jeteuse de cauris, accoucheuse villageoise ou tueuse de femmes ? » de Réo

Publié le mardi 25 juillet 2006 à 07h34min

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Dans son édition du 7 juin 2006, Sidwaya, sous la plume de Kantigui, lève le lièvre d’une « jeteuse de cauris, accoucheuse ou tueuse de femmes ? » à Réo. Suite à cette publication de Kantigui, cette affaire sera au centre d’une controverse qui a suscité des réactions des plus inattendues.

Pour mieux informer ses lecteurs sur cette affaire, une équipe de Sidwaya a séjourné à Réo du 15 au 17 juillet 2006. Chronique de 72 heures d’enquête au pied du mont Sanguié.

La vieille Salamata, accoucheuse villageoise au secteur n°9 de Réo est loin d’être une anonyme dans le Sanguié, et même dans le Boulkiemdé. En effet, l’équipe de Sidwaya en partance pour Réo, a pu le constater dès son escale de Koudougou. Quelques témoignages à travers cette ville ont permis de remarquer que Salamata est bien connue par là.

D.D. est serveuse au « foyer du forestier », petit maquis situé dans l’enceinte du service de l’Environnement. Pendant qu’elle servait un verre, l’équipe de Sidwaya lui demande si elle a entendu parler de l’accoucheuse de Réo.
« Oui, beaucoup de femmes vont accoucher chez elle. Il paraît qu’elle peut prédire l’issue de l’accouchement ainsi que le destin de l’enfant qui va naître ». En dehors de D.D, 3 personnes sur 7 interrogées à Koudougou disent avoir entendu parler de l’accoucheuse du secteur n°9 de Réo.

Dimanche 16 juillet 2006, c’est le 21 de Réo. La ville est très animée, le marché archi-comble. Adiza vend des légumes au marché. Elle a entendu parler de la vieille Salamata du secteur n°9, mais ne l’a jamais sollicitée pour aucun de ses trois accouchements. « Les gens disent beaucoup du bien d’elle. Elle aurait des qualités extraordinaires, mais moi je ne suis pas allée chez elle, je ne sais pas comment elle fait exactement », témoigne Adiza. X est tenancière d’un débit de boisson à Réo. Elle refuse de parler de la vieille Salamata à des journalistes.

Quant à Martine, gérante de télécentre, elle dit avoir entendu parler plusieurs fois de la vieille Salamata. « Je ne l’ai jamais vue puisque je n’ai pas encore accouché ». « Je ne sais pas d’abord » répond-elle à la question de savoir si elle aura recours à Salamata à l’avenir. Concernant les cas de décès chez la vieille accoucheuse, Martine, tout comme la plupart des femmes interrogées, avoue que les rumeurs font état de pareils cas. Mais elle n’a jamais été témoin, ni ne connaît aucun proche de victime. A la maternité du district sanitaire de Réo, Mme Salamata n’est pas une inconnue.

31 cas d’accouchement chez la dame en janvier 2005

M. Christophe Ouédraogo, responsable de la santé de la reproduction et ses collaborateurs sont bien informés de l’existence de cette dame et de son activité. En effet, selon des membres du service de la maternité, beaucoup de femmes dans la zone ne fréquentent pas la maternité au moment de leur accouchement. Les femmes ici, sollicitent la maternité uniquement pour les consultations pré et postnatales. Beaucoup d’entre elles sont très régulières à la maternité mais à quelques jours de leur accouchement, elles disparaissent pour accoucher on ne sait où et réapparaissent après pour le suivi de l’enfant. Selon les chiffres de la maternité, plus de 70 % de femmes sont dans ce cas à Réo. Toutefois, M. Ouédraogo et ses collègues ne présument pas a priori que c’est chez l’accoucheuse que toutes ces femmes vont, même si une correlation peut être faite. Concernant les cas de décès chez la dame, les responsables de la maternité disent n’en avoir jamais constaté même s’ils reconnaissent l’existence de rumeurs persistantes faisant état de tels cas de figure. En outre, la maternité du district enregistre très couramment des cas de complications dues certainement à des tentatives d’accouchement traditionnel échouées. En de pareilles circonstances, les femmes arrivent généralement très épuisées, toutes choses qui ne facilitent pas leur accouchement.

De la provenance de ces cas, M. Ouédraogo dit ne rien savoir car les femmes n’acceptent jamais avouer qu’elles ont d’abord tenté d’accoucher traditionnellement. En outre, une petite enquête initiée par le district aurait permis de dénombrer pour le seul mois de janvier 2005, 31 cas d’accouchements chez la dame en question. C’est dire qu’elle est très sollicitée dans la zone pour les accouchements, reconnaissent les responsables de la santé publique de Réo. Au niveau des populations de Réo, beaucoup de femmes lient cette situation au fait qu’elle peut, avant de procéder à l’accouchement de la femme qui arrive, faire des prédications sur le déroulement de l’accouchement et même sur le destin de l’enfant qui va naître. C’est ce qui motive surtout beaucoup de femmes à recourir à elle. Aussi, certaines femmes expliquent leur refus d’accoucher à la maternité et leur recours aux accoucheuses traditionnelles comme la vieille Salamata par l’accueil. Pour cette catégorie de femmes dont fait partie Rosine, ménagère à Nédongoalè : « Les matrones à l’hôpital, sont très dures avec les femmes quand elles vont pour accoucher. Souvent, elles crient sur les pauvres femmes déjà meurtries par la souffrance de leur état de travail. Ces dames sans cœur vont souvent même jusqu’à taper les futures mères en travail. Chez les accoucheuses traditionnelles ce n’est pas le cas. Elles sont plus attentives et plus accueillantes », explique Rosine. Cependant, Mme Bassolet, sage-femme à la maternité du district de Réo proteste énergiquement contre une telle « allégation ». « Quelle fierté y a-t-il à crier sur une femme en travail ? » se demande-t-elle avant d’expliquer qu’il peut arriver souvent qu’elles puissent, dans un souci de préserver la vie de l’enfant et même de la mère, élever quelque peu le ton sur elle pour l’amener à « pousser » l’enfant dehors.

En plus, poursuit Mme Mariam Ouattara, sage-femme au district de Réo, « la politique actuelle au niveau de la maternité est d’amener les femmes à choisir elles-mêmes leur matrone en arrivant pour leur accouchement. Cela leur permet d’être à l’aise durant l’accouchement ».

Après le district, cap sur le secteur n°9 de Réo. C’est dans ce quartier périphérique à quelques 5 km du centre-ville que réside Salamata. Avant d’atteindre son domicile, le CSPS du secteur semble incontournable. Elle y a exercé de par le passé en tant qu’accoucheuse villageoise. Ici, M. Amed Diarra, major des lieux et son staff de 6 femmes, savent beaucoup de Salamata. L’affluence des femmes chez elle est de notoriété publique. Des cas de décès n’ont jamais été constatés par M. Amed Diarra, et ses « femmes ». Seulement, au cours des visites sporadiques que le CSPS lui rendait pour la superviser, voir ses conditions de travail, lui prodiguer des conseils, le principal constat qu’il est loisible de faire, concerne surtout la mesure d’hygiène qui n’est pas du tout de rigueur, avouent les responsables du CSPS. Pour eux, il sera très difficile de détourner les femmes de l’accoucheuse étant donné le capital de confiance dont elle jouit au sein des populations. Pour cela, préconise Mme Bayala Elisabeth, matrone au CSPS, il faut urgemment réhabiliter la maternité du CSPS afin de la ramener sous la surveillance des accoucheuses modernes et dans des conditions d’hygiène plus agréables et cela évitera bien de désagréments. Le commissariat de police de Réo aussi dit n’avoir jamais enregistré des plaintes relatives à la pratique de l’accoucheuse. Il n’y a que les rumeurs qui circulent, déclare le commissaire Dabaré.

Il est 11h 30 mn précises ce lundi. Après maints renseignements, le véhicule de Sidwaya s’immobilise devant la concession de Salamata. Des habitants sont à l’ombre. Certains s’éloignent en voyant approcher le véhicule. Quelques enfants curieux accourent. La peur se lit sur certains visages. Il faut signaler que suite à l’écrit de Kantigui, certaines rumeurs des plus folles faisaient état, dans la zone, de recherches de la gendarmerie en vue de l’arrestation de Salamata. Il n’en fallait donc pas plus pour que la venue du véhicule de Sidwaya devant la concession soit source d’inquiétude pour les locataires des lieux. « Angnonon » lance l’un des membres de l’équipe. Ce bonjour en lyélé semble avoir apporté un peu d’assurance sur les visages. Mais cela ne suffisait pas pour que l’on réponde par l’affirmative à la question de savoir s’il s’agissait bel et bien de la concession de Salamata. Il a fallu user de beaucoup de diplomatie pour que l’on introduise l’équipe. La « maternité » au sein de laquelle officie dame Salamata est une maison en terre battue à l’extrême droite de la concession. A l’intérieur, seuls un lit, un banc, une natte constituent l’essentiel du décor. Il faut noter que le lit en question n’est pas destiné aux « visiteuses » de Salamata. C’est plutôt à même le sol que celles-ci sont reçues et accouchent leurs enfants. Après lui avoir exposé le motif de la visite de Sidwaya, non sans beaucoup de motifs de mise en confiance, la vieille dame, assise au fond de la maison, en train de trier des céréales, ne trouve aucun inconvénient à parler de son activité afin de couper cours aux diverses spéculations sur son compte. Selon elle, ce travail est un don pour elle. Elle l’aurait appris de son père qui le faisait de son vivant. Elle dit avoir commencé ce travail à l’âge de 12 ans au moment où elle même ne pouvait pas encore procréer. Par la suite, elle a été contactée par les services de santé publique pour exercer en tant qu’accoucheuse au CSPS. Elle y restera pendant 12 ans et aucun problème n’a été relevé durant tout ce temps. C’est lorsque le bâtiment de cette maternité est tombé en ruines qu’elle serait revenue chez elle mais depuis lors, sa maison ne désemplit pas. Cela fait 6 ans qu’elle est chez elle et aucun problème n’est survenu dans l’exercice de son travail. « Je pense que c’est parce que mon travail satisfait les femmes qu’elles continuent à venir. S’il y avait des problèmes ici, elles ne viendraient plus », affirme-t-elle.

Des conditions de travail déplorables

Elle reçoit en moyenne 6 à 7 femmes par jour pour leur accouchement. Dans le mois, elle avoisine souvent la cinquantaine de femmes. « Lorsque je vois venir une femme dont le cas semble compliqué, je ne la reçois pas. Je la réfère aux services de santé. Certaines ont des problèmes de manque de sang, je les reconnais à vue d’œil et comme je n’ai pas du sang pour elles, je préfère les référer aux services compétentes », explique-t-elle. La seule fois qu’elle aurait rencontré un problème remonte à un peu plus d’une année. Il s’agit d’une femme qui avait été mordue par un serpent pendant qu’elle était en travail. En arrivant chez elle, la femme aurait perdu trop de sang et elle n’a pu être sauvée. Par contre, elle aurait réussi à extraire l’enfant qui serait vivant actuellement. « Les femmes qui viennent ici, arrivent de partout. Non seulement des villages environnants comme Perkouan, Djoro, Tchalgo, Tenado... mais aussi de villes lointaines telles Koudougou ou même de Ouagadougou », poursuit-elle.

Selon elle, son travail n’a pas de prix. Elle dit être là pour aider les pauvres. Cependant, si une femme décide après son accouchement de lui offrir quelque chose, elle l’accepte volontiers. Un fait anodin qu’il faut cependant, relever à ce niveau concerne la présence d’un lot de carnets de santé à côté d’elle. A la question de savoir à qui ces carnets appartiennent, la dame répond que certaines, après leur accouchement, n’ayant rien à lui offrir, décident de lui confier leurs carnets en promettant de revenir. Toute chose qui peut paraître bien contradictoire avec le fait que ses prestations soient gratuites.

Comme matériel de travail, Salamata ne dispose en tout et pour tout que de quelques paires de gants usagés, de paires de ciseaux dont l’apparence poussiéreuse en dit long sur l’utilité dans le travail de Salamata.

En tout état de cause, les conditions de travail de Salamata sont des plus déplorables. Les mouches qui accueillent à l’entrée de la case ainsi que les odeurs des plus suffocantes qui entretiennent l’intérieur de la pièce en sont les indicateurs les plus tangibles. Est-il encore besoin de dire dans ces conditions que l’accoucheuse ne dispose pas de table d’accouchement ? Le sol cimenté de sa maison fait office de table d’accouchement. Pendant l’entretien, des gémissements proviennent du fond de la pièce. Dans la pénombre, une femme gît par terre. « Elle vient d’arriver, il y a 30 mn. Elle accouchera tout à l’heure » professe Salamata en l’indiquant.

Pour sa relève, Salamata indique une jeune dame qui venait de signer son entrée dans la pièce. C’est elle et une autre qui est sa propre fille qui sont formées actuellement pour qu’en cas de disparition de Salamata, l’œuvre soit pérennisée. A cette allure, il ne serait sans doute pas incongru de souhaiter que cette dame soit sous la surveillance des accoucheuses modernes, comme l’a souhaité Mme Bayala du CSPS du secteur n°9, afin de travailler dans des conditions plus acceptables, étant donné qu’il est visiblement impossible d’estomper l’affluence des femmes de la zone vers elle. Encore faut-il que la maternité du CSPS soit fonctionnelle.

Ladji BAMA (bamayacou@yahoo.fr)
Stagiaire

Sidwaya

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