Burkina/Numérique : Facebook, cet outil privilégié de communication officielle de certains ministères et institutions
Au Burkina Faso, Facebook est devenu au fil du temps un outil privilégié de communication pour les ministères et institutions au détriment de leurs sites web officiels. Pour les responsables en charge de la communication de ces ministères et institutions, la pratique s’est imposée par contrainte pour répondre aux besoins des consommateurs. En revanche, c’est une erreur de privilégier Facebook comme canal officiel de publication en raison de sa non maîtrise, selon les spécialistes des nouveaux médias. Dans ce reportage, nous avons fait le constat du site du Service d’information du gouvernement (SIG) et du Premier ministère.
Sur le site officiel du Premier ministère, la deuxième plus grande institution après la Présidence du Faso, des articles de 2022 passent toujours en boucle. Les plus récents articles datent de novembre 2022. A la Une sont entre autres, l’audience accordée par le Premier ministre Me Apollinaire Joachimson Kyelem de Tambela au directeur régional pour l’Afrique de l’Institut national démocrate pour les affaires internationales (NDI), Dr Christopher Fomunyoh le 28 novembre 2022. Cet article est suivi de deux autres, notamment, des audiences du 29 novembre 2022 accordées à l’ancien ambassadeur de France au Burkina Luc Hallade et à la représentante spéciale de l’Union européenne (UE) pour le Sahel, Emanuela Del Re.
Face à ce constat, nous avons décidé de saisir la direction de la communication de la primature pour comprendre cette situation. Jean Victor Ouédraogo, de la direction de la communication du Premier ministère, nous conseille de prendre attache avec son collègue Jean Baptiste Dipama. Il est conseiller en sciences et techniques de l’information et de la communication et chargé de missions à la primature. Pour cet enseignant en communication et en marketing digital en service à la primature, le site de l’institution est en panne depuis 2019. C’est une des raisons qui explique le choix de Facebook comme principal canal d’information. « Nous sommes sur Facebook par contrainte. Nous sommes conscient que Facebook n’est pas une plateforme de publication parce qu’on ne maîtrise pas les algorithmes de la plateforme », a-t-il laissé entendre. L’idéal, c’est de publier sur le site internet et de faire la promotion sur la page Facebook », a t-il soutenu.
Le site web du Premier ministère, selon ses dires, a été relooké en 2019 par l’Agence nationale de promotion des technologies de l’information et de la communication (ANPTIC). Malheureusement, déplore t-il, ils n’ont pas suffisamment impliqué les acteurs. « Ils ont conçu le site web avec un Content management system (CMS) très compliqué et peu performant », a-t-il expliqué.
A l’entendre, le blocage du site est dû à ce système de gestion de contenus. « Si vous partez sur le site, il n’y a pas d’archives, c’est comme si la structure a commencé en 2019 », regrette t-il. Cette situation, souligne t-il, peut induire en erreur les étudiants et les chercheurs qui viendront sur le site à la recherche d’archives. A l’en croire, des démarches ont été entreprises pour concevoir un autre site plus moderne afin de récupérer les publications.
A cause de la lourdeur administrative, rien n’a été fait d’abord, nous a t-il fait savoir. Mais il garde quand-même l’espoir qu’une solution sera trouvée pour sortir le site de sa léthargie. « La publication des informations sur le site institutionnel est plus crédible que sur Facebook qu’on ne contrôle pas. Pour une institution comme la nôtre, on ne peut pas nous prendre au sérieux si on continue de fonctionner seulement sur Facebook », a t-il dénoncé.
Comme le site du Premier ministère à l’abandon, beaucoup d’autres ministères et institutions souffrent de la même maladie. Le site du Service d’information du gouvernement (SIG) un peu plus dynamique que le site de la primature n’est pas non plus exploité selon les exigences du numérique. Un site web selon, Jean Baptiste Dipama, spécialiste des nouveaux médias, est une plateforme de diffusion et la page Facebook, une plateforme de promotion des contenus du site institutionnel. Mais au SIG, Facebook est devenu un outil de communication privilégié au détriment du site institutionnel. « C’est par contrainte que nous publions sur Facebook sinon nous savons que ce n’est pas la pratique enseignée et conseillée », a expliqué le coordonnateur du SIG, Jérémie Sié Koulibaly.
Facebook, le choix privilégié de publication pour le SIG
Tout est parti de la rencontre du président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré avec les ‘’wayiyans’’, les organisations de la société civile (https://lefaso.net/spip.php?article128066) le 17 février 2024, au palais des Sports de Ouaga 2000. Notre site n’avait pas un reporter pour ce meeting de soutien à la transition. Par curiosité, nous décidons de faire "un tour" sur le site web du SIG dans l’espoir d’en savoir plus sur le contenu de cette rencontre entre le chef de l’État et ses partisans. Même au lendemain de la rencontre, il n’y avait toujours pas d’article sur la rencontre du président.
Pour le coordonnateur du SIG, Jérémie Sié Koulibaly, ce choix d’omniprésence sur Facebook consiste à répondre aux habitudes de consommation des populations qui sont beaucoup plus présentes sur cette plateforme numérique que le site institutionnel. « Nous sommes conscients que la pratique en la matière est de publier sur le site web qui est quand-même le portail officiel de l’institution surtout vis-à-vis de l’étranger. Ce sont des pratiques professionnelles que nous n’ignorons pas mais par la force des choses, on s’est rendu compte que le nombre de visites sur le site n’est pas très suffisant. Il y a des moments où nous communiquons dans l’urgence pour que les messages portés dans l’espace public soient le plus simplement accessibles aux populations. Si nous publions sur le site web, il n’est pas toujours évident pour le public d’aller voir », a t-il expliqué.
Pour lui, cet état de fait n’est pas lié à un problème de compétences ou de ressources humaines. « Nous observons qu’il y a une grande tendance sur Facebook et WhatsApp. C’est pourquoi, nous y sommes. Parce que la communication du gouvernement souscrit au devoir de redevabilité des pouvoir publics vis-à-vis des populations. Si nous devons nous adresser à ces populations par le biais de notre site web, très peu de gens iront voir là-bas », a-t-il laissé entendre.
Toutefois, le premier responsable du SIG reconnaît qu’il y a des pannes récurrentes au niveau du site web. C’est l’une des raisons qui expliquent aussi l’usage de Facebook, a t-il mentionné.
« Facebook ne devrait pas être l’outil privilégié de communication », Dr Cyriaque Paré
Dr Cyriaque Paré est enseignant des médias et de la communication numérique dans les instituts et universités. Pour cet érudit des Technologies de l’information et de la communication (TIC), la page Facebook ne devrait pas être un outil privilégié de communication pour des institutions et ministères. Même s’il reconnaît que Facebook est un site web, il n’est pas conseillé qu’il soit le canal officiel de publication, a laissé entendre le fondateur du journal en ligne, LeFaso.net. « C’est une mauvaise perception de penser que la meilleure façon est de publier sur Facebook pour rencontrer le public. Il ne faudrait pas encourager les lecteurs à rester sur Facebook. Facebook est une plateforme qui permet de diriger les lecteurs sur le site web là où il y a une meilleure maîtrise », a t-il confié.
Pour le fondateur de l’Institut supérieur de la communication et du multimédia (ISCOM), il y a un fossé entre Facebook et le site institutionnel même s’il admet que ce sont des outils complémentaires. « Facebook est un outil de partage qui sert à développer la viralité des contenus publiés alors que le site web est un outil de communication plus institutionnelle qui permet de capitaliser les publications, et d’avoir la main sur ce qui est publié ».
Pour lui, le manque de maîtrise des algorithmes de Facebook, contrairement au site web, est une preuve qu’il ne doit pas être un canal officiel de publication. « Ce que l’on publie sur Facebook peut nous échapper puisque nous n’avons pas la main sur l’outil », a t-il fait savoir, citant la panne mondiale intervenue sur la plateforme le mardi 5 mars 2024 comme preuve. Pour Dr Cyriaque Paré, la mauvaise répartition des responsabilités est l’une des raisons l’amalgame au niveau de la gestion des sites web institutionnels. « Normalement, c’est le communicant qui a la main sur les publications et l’informaticien pour les pannes. Quand il y a cette mauvaise répartition de la gestion des sites, il peut y avoir des freins dans la fluidité de l’information mise en ligne », a-t-il conclu. [ Cliquez ici pour lire l’intégralité ]
Serge Ika Ki
Lefaso.net
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