Burkina/Médias : « Pour mieux réussir dans le journalisme, il faut de l’humilité, de la modestie et l’envie d’apprendre », Alain Saint Robespierre, rédacteur en chef de L’Observateur Paalga
Grand reporter, éditorialiste chevronné, rédacteur en chef, Alain Zongo dit Alain Saint Robespierre, est l’une des figures de proue qui ont contribué à bâtir la réputation du doyen des quotidiens privés du Burkina, L’Observateur Paalga. Entraîné par la passion du journalisme, il a dû démissionner de la fonction publique pour intégrer le privé afin de vivre sa passion. Et ce, malgré les réticences de son épouse. Dans cette interview, le lauréat du prix CNN, rédacteur en chef de "L’Obs", nous raconte son aventure dans le journalisme.
Lefaso.net : Comment êtes-vous arrivé dans le journalisme ?
Alain Saint Robespierre : Je suis arrivé dans le journalisme par passion, comme beaucoup de journalistes d’ailleurs. Seulement ma formation initiale ne me prédestinait pas au journalisme puisque j’ai fait des études en géographie. Je suis urbaniste de formation. Après l’université, j’ai débuté ma carrière comme professeur à Gourcy où j’ai fait trois ans. Après, j’ai été affecté à Ouahigouya. Et Ouahigouya étant un centre assez grand et aussi connu pour son dynamisme politique, j’ai demandé au Directeur de publication (DP) si je pouvais être correspondant de son journal dans le Yatenga. Il m’a dit qu’il n’y a pas de problème.
C’est ainsi que j’ai commencé. Je me suis intéressé aux reportages de terrain. Et, petit à petit, il a apprécié ce que je faisais. Un jour, il m’a appelé pour me dire que ma façon d’écrire correspond à sa vision de grand reporter. En ce moment, l’Observateur n’avait pas de grand reporter et il m’a demandé si je voulais faire une petite aventure avec lui et repartir après au cas où cela ne me conviendrait pas. Je n’ai pas hésité, j’ai démissionné de la fonction publique pour le rejoindre. Le 4 janvier 2006, j’ai atterri à L’Observateur en tant que grand reporter. C’est ainsi que je suis arrivé dans le journalisme sans avoir fait une école de journalisme. J’ai appris sur le tas.
Beaucoup de lecteurs de L’Observateur Paalga vous découvrent à travers votre nom de plume, Alain Saint Robespierre. Quelle est l’histoire qui se cache derrière ce nom ?
Comme je vous le disais, j’ai fait de la géographie à l’université de Ouagadougou. En première et deuxième année, nous avons eu un tronc commun avec ceux qui font l’histoire. C’est ainsi que nous avons étudié la révolution française (1789) dont l’un des principaux acteurs était Maximilien Robespierre. J’étais beaucoup fasciné par le personnage si bien que les camarades de la faculté ont commencé à me surnommer Robespierre. C’est ainsi que le nom est resté. Quand je suis devenu correspondant de L’Observateur à Ouahigouya, j’ai opté pour le nom de plume Robespierre pour qu’on ne sache pas que c’est moi qui écrit. C’était quelqu’un qui a imposé la terreur à son époque, j’ai voulu atténuer les choses en ajoutant Saint.
Comment vous êtes-vous senti lors des premiers moments de reportage, vous qui n’êtes pas passé par une école de journalisme ?
Je n’ai pas senti de barrière parce que j’avais déjà à mon compteur une expérience de trois ans en tant que correspondant local. Après la parution de mes papiers (reportages) je relisais pour voir là où il y a eu des redressements. Donc, c’est ainsi que je me suis formé. Quand je suis arrivé à la rédaction, avec l’expérience des uns et des autres, surtout avec l’esprit de collaboration qu’il y avait, je n’ai pas du tout eu des difficultés.
Comme je suis venu pour être un grand reporter, on ne me programmait pas pour les "hier il s’est ouvert" comme les ouvertures d’ateliers, de séminaires et autres. Je ne faisais que des grands reportages. Donc je pouvais faire deux semaines sans aller sur le terrain parce qu’il faut trouver un sujet assez original. Au début, je faisais deux grands reportages par mois. Cela faisait que je m’ennuyais un peu. Au fur et à mesure, vu mon style d’écriture, il m’a été demandé de m’essayer aux éditoriaux. J’ai commencé et ils ont très bien apprécié. Je deviens alors éditorialiste et grand reporter. Pour tout vous dire, il n’y a pas eu trop de difficultés au niveau de la reconversion.
Vous démissionnez de la fonction publique pour le privé à cause de votre passion. Si c’était à refaire, est-ce que vous alliez refaire le même choix ? Autrement dit, n’avez-vous pas de regret ?
Pas du tout ! Franchement je ne regrette pas. Si c’était à refaire, j’allais faire le même choix. C’est vrai au début quand je quittais, quand on mettait les gains sur la balance, à priori, c’est comme si financièrement je perdais. Mais comme c’est quelque chose qui m’animait, je n’ai pas regardé le gain.
Au début, mon épouse était très réticente mais je me suis jeté quand-même. Grâce à Dieu et à l’ensemble des collègues à L’Observateur, je ne regrette pas. Parce que dans le journalisme, il y a des aventures qu’on vit et qu’on ne peut pas vivre en tant que professeur. C’est vrai que c’est un métier qui a ses propres contraintes, il a ce côté plaisir, anecdotes, les petits voyages, l’un dans l’autre, je n’ai pas perdu.
Dans votre carrière, vous avez plusieurs fois été distingués. Pouvez-vous nous citer quelques prix que vous avez reçu ?
Comme je le disais, je suis venu à L’Observateur Paalga en 2006 et six ans après, j’ai été nommé rédacteur en chef adjoint et l’année qui a suivi j’ai été nommé rédacteur en chef. En 2007, j’ai eu le prix CNN, meilleur journaliste francophone, en 2009 encore, j’ai été nominé pour le prix CNN, mais j’ai reçu le deuxième prix. J’ai eu des Galians 4 ou 5 fois. A l’époque, les Galians n’étaient pas bien payés. C’était 500 000 francs CFA.
Votre journal a célébré ses 50 ans en mai dernier. Aujourd’hui, comment se porte L’Observateur Paalga ?
C’est une question difficile. L’état de santé d’un organe de presse ou d’une entreprise se mesure sur plusieurs tableaux cliniques. Il y a l’aspect financier, fonctionnement, production et autres. L’un dans l’autre, on peut dire que L’Observateur Paalga va comme les autres médias dans notre pays. Il y a d’abord le contexte international qui fait qu’aujourd’hui les médias traditionnels comme les médias papiers par exemple, vivent une situation très difficile parce que la conjoncture internationale est telle que les prix des intrants ont été multipliés par deux, trois voire quatre.
Ce qui fait qu’il y a une incidence financière. Sur le plan financier, c’est à l’image de tous les médias, je dirai même à l’image du pays. L’autre aspect aussi pour les journaux papiers, on constate que les tirages baissent de plus en plus parce que les gens ne lisent plus à cause de la concurrence avec les autres médias, notamment les médias en ligne et les réseaux sociaux. Ce qui fait qu’il y a une petite désaffection par rapport au journal papier. Cela se ressent sur la trésorerie.
Avec aussi les répercussions de la situation sécuritaire au niveau des finances du pays, cela fait qu’il y a des créances au niveau de l’Etat. Vous savez que l’Etat, comme le disent certains, n’est pas un bon payeur, même s’il finit toujours par s’acquitter. Mais on a toujours beaucoup de choses au niveau des organismes étatiques. Ça rentre très difficilement ; ce qui fait que ce n’est plus comme avant. Au niveau de l’environnement du travail, le contexte sécuritaire et humanitaire, le métier ne s’exerce plus comme avant.
Avec la crise sécuritaire et humanitaire, les conditions de travail des médias sont devenues très difficiles ; comment vivez-vous cela à L’Observateur Paalga ?
La pratique journalistique a changé. On est obligé de s’accommoder de la vision du gouvernement actuel, de l’environnement social. Vous savez qu’il y a le gouvernement et ses partisans et il y a aussi les textes qui régissent le fonctionnement de notre activité. Cela fait qu’on est pris entre plusieurs facteurs qui font qu’aujourd’hui on écrit la peur au ventre. Pour certains sujets, vous êtes obligés de vous imposer l’autocensure. Il y a certains partisans qui ont menacé vis-à-vis les hommes de médias, leurs familles.
Donc, sur certains sujets même si on accepte l’aborder, c’est vraiment avec des pincettes. On n’y va pas comme on le faisait d’habitude. Quand on écrit, c’est avec la peur au ventre, c’est comme si on marchait sur les œufs. Il y a tout cela qui fait que l’exercice du métier est devenu, je ne dirai pas périlleux, mais vraiment le plaisir qu’on avait, l’aisance avec laquelle on abordait certains sujets, même les sujets qui fâchent, aujourd’hui on n’a plus ça. Le métier devient de plus en plus difficile.
L’Observateur Paalga, ce sont des grands titres. C’est l’une de vos marques. Comment se passe la rédaction des titres ? Y a-t-il un comité titraille en votre sein ?
Ce sont des compliments qui nous reviennent souvent. L’Observateur a souvent de ces titres géniaux et certains nous ont demandé s’il y a un laboratoire ou un petit comité qui fait les titres. Il n’y a pas de petit comité. Il n’y a pas des gens qui sont affectés à une tâche précise pour les titres. Dans l’après-midi, on demande de nous apporter les titres des sujets principaux. Souvent le directeur des rédactions et moi, discutons sur les titres. Quand on nous apporte, on propose des titres. Sinon, il n’y a pas un comité qui se réunit pour cela. Parfois même on se demande quel titre mettre ? Le meilleur titre c’est celui qu’on n’a pas cherché.
Dans votre journal, on parle de deux générations. Une génération beaucoup plus ancienne qui a contribué à bâtir la réputation de L’Obs et une autre récente qui est en train de ‘’bâtir sa propre pyramide’’. Comment se passe le coaching entre les anciens et les jeunes ?
Vous pouvez être rassuré. Il n’y a pas de conflit de génération même s’il y a deux générations. Nous on tend vers les anciens même si je ne suis pas ancien dans la boite ; c’est par rapport à mon âge. Je suis parmi ceux qui sont anciens. La meilleure façon de constater l’ambiance, la symbiose qu’il y a entre l’ancienne génération et la nouvelle, c’est quand vous venez assister à une conférence de rédaction. Quand on entre en conférence de rédaction, il n’y a plus de chef ni de subalterne. Les débats sont ouverts et tout le monde a droit à la parole. Tout le monde peut être critiqué. C’est cette ambiance qui fait que les nouveaux retrouvent rapidement leur chemin quand ils arrivent. Le courant passe très bien entre les deux générations.
Mais on est très regardant sur l’encadrement. Quand on sent que l’esprit n’est pas à l’apprentissage réel, là, on ne le fait pas en conférence de rédaction. On appelle l’intéressé dans le bureau pour lui dire qu’il ne prend pas en compte les remarques. Cela fait que la jeune génération se retrouve très rapidement. La preuve, quand ils finissent leur stage, ils ne veulent même pas partir. Ils demandent à prolonger, or on ne peut pas prolonger indéfiniment un stage.
Quelles sont les anecdotes qui vous restent encore intactes après tant d’années de pratique terrain ?
On ne peut pas faire le journalisme sans avoir vécu des situations qui relèvent des anecdotes. Je me rappelle en 2008, il y avait une manifestation d’anciens militaires qui avaient un certain nombre de revendications avec la hiérarchie militaire. On m’avait commis pour les suivre. Je participais régulièrement à leurs rencontres et une fois même, ils sont sortis pour manifester. Ils ont été gazés, ils se sont donnés rendez-vous une nuit vers le stade municipal, vers minuit. Je suis allé, j’ai assisté à tout. On est venu encore les gazer.
Le lendemain, j’ai fait mon papier et dans mon titre, j’ai mis : La troupe persiste, le Mogho tempère et le commando ouvre le feu. Le titre est passé et le lendemain, on m’a dit que l’Etat-major de la gendarmerie a appelé qu’ils ont besoin du journaliste qui a écrit le reportage parce qu’on appelle d’un peu partout pour dire que le commando a ouvert le feu sur la troupe. J’ai été convoqué à la gendarmerie où j’ai fait plus de 8 heures. On m’a posé des questions. Je dis le ‘’commandement ouvre le feu’’ n’est pas au sens premier.
C’est pour dire que le commandement a haussé le ton. C’était ma toute première fois d’être convoqué par la hiérarchie militaire et j’avoue que cela n’a pas été du tout simple.
L’autre anecdote, c’était en 2007 quand j’ai été nominé pour le prix CNN, le prix du meilleur journaliste francophone. On devait recevoir le prix en Afrique du Sud, précisément à Cape Town. Je me suis rendu là-bas. C’était l’anglais et avec notre anglais du lycée, on ne comprenait pas grand-chose.
On m’a donné un interprète et une chambre. Chaque nuit, on sortait ensemble. C’était ma première fois de voir un hôtel avec un tel luxe où il y avait tout. Dans ma chambre, il y avait un petit frigo où il y avait de l’alcool ; du vin ; de l’eau, du sirop etc. Donc chaque nuit, de retour avec mon interprète, on se mettait à boire. Le lendemain quand je sors, je reviens trouver qu’on a encore tout mis. Pour moi, c’était gratuit et j’ai passé tout mon temps à boire. Le jour de mon départ, je fais mon sac, arrivé à la réception, on me dit que je ne peux pas partir parce qu’il y a de la boisson que j’ai consommée.
C’était cher. Il montait à plus de 300 000 francs CFA. Et je devais payer. J’ai pris mon prix mais on ne m’avait pas encore viré l’argent. J’étais là, je ne savais pas quoi faire. J’ai appelé une des organisatrices pour lui expliquer que je ne savais que ce qui était dans le frigo était à vendre. Elle a compris que c’était de l’ignorance et elle a sorti sa carte bancaire pour faire débiter. J’ai pu regagner l’aéroport pour venir à Ouagadougou. Depuis ce temps, quand je vais dans un hôtel, même si c’est de l’eau même qu’ils ont posé, j’évite de boire.
A travers votre parcours, on a l’impression que le bon journaliste n’est pas forcément celui qui a fait des études en journalisme. Il peut venir d’ailleurs et réussir avec brio. Vous en êtes un exemple parfait, comment cette conversion s’est passée ?
Je ne sais pas si je suis l’exemple parfait mais je me dis que le journalisme a une particularité, c’est assez ouvert. Ce n’est pas forcément une question de diplôme. C’est beaucoup plus une question d’humilité, de modestie et surtout l’envie d’apprendre et toujours savoir se remettre en cause. Ce sont les principales leçons que j’ai tirées.
Je sais que l’apprentissage des techniques à l’école est indispensable mais celui qui n’est pas passé par une école de journalisme, ce n’est pas un obstacle dirimant. Si la personne s’y met, ça va marcher. La preuve, mon directeur de publication, Edouard Ouédraogo, était professeur. Il est aussi venu dans le journalisme mais il est l’une des références du journalisme au Burkina et en Afrique. Ne pas faire l’école de journalisme n’est pas un obstacle dirimant.
Comment appréciez-vous la qualité de la jeune génération de journalistes ?
Ce n’est pas dans le journalisme seulement. Il y a un peu partout ce qu’on appelle la crise de vocation, que ce soit dans le monde de l’enseignement, la santé, le journalisme etc. Beaucoup de gens ne viennent plus par vocation. C’est la réalité qui est là parce que les gens cherchent un boulot qui va leur permettre de subvenir à leurs besoins. Cela joue. Quand vous n’êtes pas venu dans un métier par passion, quel que soit le montant qu’on va vous payer ou les avantages auxquels vous aurez droit ; si ce n’est pas la vocation, ça va toujours clocher quelque part.
Nous ressentons cela quand-même au niveau de certains jeunes journalistes. Ils viennent bardés de diplômes mais sur le terrain, on sent qu’il y a beaucoup de choses qui manquent. Parfois on est étonné que certains disent qu’ils ont le master 1 ou 2, quand ils te produisent un travail, tu sens qu’il y a beaucoup de choses à revoir. Mais je ne mets pas en cause les écoles de journalisme, c’est un problème que nous rencontrons de plus en plus. D’année en année, on sent que le niveau de ceux qu’on reçoit a baissé surtout au niveau du maniement de la langue.
Comment faire, selon vous, pour redresser la barre puisque vous parlez d’une baisse de niveau ?
Rien n’est inaccessible. Vous pouvez venir dans le journalisme sans avoir fait un seul jour dans une école de journalisme mais si vous avez les fondamentaux et l’envie d’apprendre, vous allez vous en sortir. C’est la modestie, l’humilité et surtout lire les productions des autres. Moi quand je suis venu, conscient de mes lacunes, je partais chaque jour à Marina market pour acheter les journaux français. Il s’agit de Le Point, Aujourd’hui la France, Nice Soir etc. Je les achetais pour lire chaque fois les reportages. Même si c’est un ancien numéro, j’achète pour lire.
Quand je vois une tournure d’une phrase, je commence à m’en inspirer. J’étais vraiment fasciné par leur façon d’écrire et je lisais énormément. Les journaux burkinabè aussi, je les lisais, comme Sidwaya, Le Pays etc. Quand je produis un article aujourd’hui, demain quand ça va paraître, je relis pour voir la correction afin de tenir compte dans les autres productions. Il faut surtout lire, lire les productions des autres journalistes.
C’est vrai qu’on ne peut pas lire tous les journaux mais chacun doit quand-même avoir un journal étranger auquel il est attaché. Soit le journal fait des éditos (éditoriaux dans le jargon), soit des reportages très pertinents. Lire pour voir comment se font les attaques, les tournures de phrases, les chutes. Pour moi avec l’humilité, la modestie et l’envie d’apprendre, on peut s’en sortir facilement.
Serge Ika Ki
Lefaso.net