Ouagadougou / Pénurie de gaz butane : Une situation répétitive, pénible pour tous les acteurs de la chaîne
Depuis un certain moment, c’est la chasse aux camions de livraisons de gaz butane dans la ville de Ouagadougou. La raison n’est rien d’autre qu’une baisse d’approvisionnement des points de vente agréés. Dans cette situation, seuls les plus chanceux trouvent leurs comptes tandis que de nombreuses personnes se promènent avec leurs bouteilles espérant avoir gain de cause. L’entreprise Sodigaz qui détient 60% de part de marché de distribution du gaz butane évoque plusieurs raisons à ce problème.
« Pas de gaz svp ! », c’est cette phrase qui accueille toute personne qui franchit la grille de la boutique agréée de la marque Sodigaz dans le quartier Wemtenga. A l’intérieur, la secrétaire, assise sur une chaise, surfe sur son téléphone. Actuellement la boutique tourne au ralenti par manque de gaz de recharge. « Nous pouvons passer deux semaines ou un mois sans recevoir de bouteilles de recharge ici depuis la période de novembre », nous dit la secrétaire Alima Kaboré, ajoutant que leur dernier approvisionnement date de mi-janvier 2024. Elle affirme ne pas connaître les raisons de ce manque de gaz car c’est son patron qui s’occupe de la commande. « Chaque jour que Dieu fait, les clients viennent réclamer le gaz ici. C’est pourquoi nous avons écrit qu’il n’y a pas de gaz de recharge. Et le jour que nous recevons un dépôt, c’est la débandade et nous avons du mal à gérer la foule. »
Ailleurs au quartier Karpala, le point de vente agréé de Ali a été ravitaillé le lundi 5 février. Chez lui également, l’approvisionnement se fait rare. « Je peux appeler Sodigaz 20 ou 30 fois par jour pour savoir si le gaz va venir, mais très souvent, ils ne répondent pas. La dernière fois j’étais obligé de fermer ma boutique le temps que les gens se calment parce qu’ils se battaient dans le rang », nous raconte-t-il. Il a finalement pu écouler son stock mais ne se réjouit pas de cette situation qui ne l’arrange pas. « Heureusement que j’ai mon activité de mécanique aussi sinon je ne pourrai pas survivre. Chaque année c’est la même chose mais cette fois-ci, la situation a trop duré », ajoute-t-il.
Plusieurs boutiques ont dû mettre la clé sous le paillasson en raison de cette longue rupture d’approvisionnement.
Quelle est la cause de cette pénurie ?
Le besoin en moyenne de gaz butane par jour serait de 800 tonnes alors que Sodigaz APC ne bénéficie que de 400 tonnes. Ce qui représente la moitié de la demande des clients du plus grand distributeur. Selon les explications de Sodigaz APC, le secteur du gaz est très bien organisé. « Nous les marqueteurs, nous partons avec nos bouteilles à la SONABHY pour l’emplissage. C’est elle qui emplit nos bouteilles. Notre rôle est de transporter les bouteilles vers les points de vente agréés.
Ces points de vente agréés sont identifiés et marqués au mur par un numéro PLV de la personne et notre contact. En cas de situation qui n’est pas conforme, le client peut nous appeler. Le rôle de ces points de vente agréés c’est de vendre le gaz au consommateur final que nous sommes tous. Ils n’ont pas le droit de vendre à une autre personne que le consommateur final. Mais nous constatons que nos bouteilles se retrouvent dans des lieux que nous appelons le secteur informel », nous explique le directeur de la communication et des affaires corporatives de Sodigaz APC, Noraogo Sawadogo.
C’est une situation malheureuse qui perdure depuis de nombreuses années de façon cyclique. Il y a des périodes où la demande de gaz s’intensifie et les gens sont dans les difficultés. « Mais depuis septembre 2023, nous avons pu constater, au vu de l’évolution, que c’est de façon périodique qu’il y a le manque de gaz. Et nous risquons de rentrer dans un cycle si on ne prend pas des mesures », indique-t-il.
La société aurait eu plusieurs rencontres avec la Société nationale burkinabè d’hydrocarbures (SONABHY) pour voir comment livrer des quantités de gaz suffisantes aux marqueteurs pour prendre en charge le besoin de l’ensemble de la population. Etant donné que seule la SONABHY a le monopole de l’importation, du stockage et de l’emplissage, ce serait elle qui permet aux marqueteurs comme Sodigaz APC d’avoir du gaz dans les bouteilles pour les remettre aux revendeurs agrées. La SONABHY a fait beaucoup d’efforts pour augmenter les capacités des distributeurs selon Noraogo Sawadogo, mais malheureusement, ce ne serait pas suffisant.
Pour lui, ce sont des situations conjoncturelles qui ont fait que la demande a augmenté de façon exponentielle. « Je parle de la situation nationale qui a fait que les PDI qui ont besoin de consommer de l’énergie utilisent le gaz butane. Alors que ces personnes-là n’étaient pas prévues. Ceux qui n’utilisaient pas le gaz parce qu’ils avaient la possibilité d’aller chercher du bois en brousse, surtout dans les villages, ne peuvent plus y aller aujourd’hui. La cherté du bois et du charbon a entraîné des gens à devenir de nouveaux consommateurs de gaz. Cette situation n’a pas été suffisamment anticipée pour mettre à la disposition des marqueteurs assez de gaz pour la recharge », a-t-il déploré.
Sodigaz APC propose que la SONABHY ouvre périodiquement le marché aux entreprises privées
Noraogo Sawadogo propose un certain nombre de solutions pour sortir de cette situation de pénurie permanente. Il faut d’abord se donner les moyens de disponibiliser plus de gaz afin que les populations en bénéficient. « La loi permet qu’une entité publique, face à un besoin, puisse déléguer une partie de ses prérogatives. C’est ce qu’on appelle la délégation de service public. Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est que la SONABHY puisse ouvrir la possibilité à des entreprises privées qui peuvent le faire selon des conditions bien précises pour apporter leur contribution afin de disponibiliser le gaz.
Ce partenariat gagnant/gagnant a déjà été fait auparavant par la SONABHY et nous les encourageons dans cette approche », propose Noraogo Sawadogo ajoutant que Sodigaz est preneuse de toute bonne solution. Il pense que de plus en plus, on adresse de mauvaises solutions à un vrai problème. « Si c’est parce que par exemple le gaz est détourné qu’est-ce qu’on doit faire ? » se questionne-t-il.
« Il y avait des périodes de l’année où l’on ne parlait même pas de gaz parce qu’il y en avait suffisamment. Mais si ça continue ainsi, on aura plus de périodes où le gaz ne va plus suffire parce que tous ceux qui utilisent le gaz de nos jours ne vont plus retourner ni au charbon ni au bois. Plus les années passent, plus le besoin se fera grand. Il faut trouver des solutions structurelles au lieu de trouver des demi-mesures », dit-il.
« Sodigaz APC est impuissante face à la surenchère des prix du gaz butane »
Pour Sodigaz, la surenchère est la conséquence du manque de gaz sur le marché. « C’est comme lorsque le carburant a manqué dans les stations d’essence. Nous avons tous accepté d’acheter l’essence à un prix hors norme. Des gens qu’on supposait honnêtes ont utilisé la situation pour s’enrichir. Mais aujourd’hui, c’est une situation qui est derrière nous parce qu’il y’a suffisamment de carburant. C’est exactement la même chose pour le gaz tant qu’il y’aura un manque. Il est difficile d’éradiquer le phénomène de spéculation tant qu’il y aura un manque », évoque le directeur de la communication de Sodigaz APC.
Rien que pour 2024, Sodigaz APC indique avoir fermé 22 points de vente dans la ville de Ouagadougou. « Sur la période 2022 à maintenant, nous avons fermé 142 points de vente parce qu’ils n’ont pas respecté les contrats qui nous lient. C’est ce que nous pouvons faire. Par contre ce que nous ne pouvons pas faire, c’est de faire en sorte que 24h/24h, sur les 1 000 points de vente à Ouagadougou, il y ait un agent pour surveiller ce que nos revendeurs agréés font. Nous ne pouvons pas être garants des 1 000 revendeurs pour dire qu’ils ont une moralité qui respecte nos cahiers de charge ». L’entreprise se dit impuissante face à la réalité car elle n’a aucune force ou capacité pour les arrêter.
Cependant, en dehors du problème économique que cela pose il pourrait y avoir un problème de sécurité. « Nous sommes heureux de constater que ces derniers temps, la Brigade mobile de contrôle économique et de la répression des fraudes (BMCRF) fait des sorties pour ramasser les bouteilles. Il ne faut pas profiter d’une situation de difficulté des Burkinabè pour les exploiter. Nous sommes déterminés à aider le gouvernement à trouver une solution dans ce sens », a-t-il dit pour conclure.
Sodigaz APC détient 60% de part du marché de distribution du gaz butane au Burkina Faso. Mais toutes les marques qui distribuent le gaz butane font face à la pénurie. Nous avons aussi approché des gérants de station d’hydrocarbures telles que Total Energies et Oryx qui n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Nous avons également contacté la Sonabhy pour tenter de comprendre la situation. Nous sommes toujours dans l’attente de leur retour.
Farida Thiombiano
Lefaso.net